La Paracha commence par le récit du ‘Hessed incroyable qu’Avraham Avinou fit avec les trois anges. Tout de suite après, on nous relate la visite des anges à Sodome et la façon dont cette ville fut détruite ensuite.
Le rav Ya'acov Kamenetsky zatsal fait une remarque intéressante quant à la juxtaposition de ces deux incidents ; tous deux mettent l’accent sur la Hakhnassat Or’him (l’accueil réservé aux invités) [1].
L’histoire d’Avraham est l’exemple type de l’attitude à avoir lorsqu’on reçoit des invités et la façon optimale de subvenir aux besoins de ces derniers. Nous voyons comment Avraham ignore son propre état de santé, n’épargnant aucun effort pour mettre ses invités le plus à l’aise possible.
Immédiatement après, la Torah nous mène vers la ville de Sodome et nous montre l’antipathie de ses habitants pour cette même Mitsva, la Hakhnassat Or’him. Nous voyons que la vie de Loth est menacée parce qu’il nourrit et loge des visiteurs étrangers. Pourquoi la Torah insiste-t-elle sur le contraste marqué entre Avraham et les habitants de Sodome ?
Le rav Kamenetsky propose une réponse basée sur un autre aspect de l’épisode de Sodome. Hachem dit à Avraham qu’Il prévoit de détruire Sodome à cause du manque total d’égards que ses habitants témoignent l’un envers l’autre. Avraham s’inquiète infiniment pour ces mauvaises gens et implore Hachem de les épargner. Ses paroles sont dites avec tant de force qu’il doit introduire sa requête en demandant à Hachem de ne pas se fâcher du fait qu’il parle avec autant de franchise.
Le rav Kamenetsky explique que la Torah nous montre ici une facette du niveau incroyable d’Avraham dans le Ben Adam La’havéro (les relations entre un homme et son prochain). En général, nous dit-il, lorsqu’une personne excelle dans un trait de caractère, elle est particulièrement exigeante quant au comportement des autres personnes dans ce domaine. Par conséquent, elle a tendance à les juger très sévèrement s’ils semblent montrer une faille dans cette qualité.
Prenons pour exemple un homme qui fait très attention à manger du pain à Sé'ouda Chlichit (troisième repas du Chabbath) : il aura tendance à mal considérer ceux qui se contentent de manger des fruits pour Sé'ouda Chlichit...
La Torah juxtapose l’épisode montrant la grandeur de la Hakhnassat Or’him d’Avraham et la position abjecte de Sodome à ce sujet, puis elle montre comment, malgré tout, Avraham plaide en leur faveur et supplie Hachem de juger Sodome avec miséricorde. Cela montre qu’Avraham n’est pas tombé dans le piège du Yétser Hara' (mauvais penchant) qui nous incite à juger autrui avec rigueur dans les domaines où nous excellons. En dépit de l’immense fossé entre son ‘Hessed et celui de Sodome, il se fait beaucoup de souci pour leur bien-être.
Nous apprenons de l’explication du rav Kamenetsky qu’il n’est pas facile de considérer favorablement les faiblesses d’autrui dans les secteurs qui sont nos points forts. Pourquoi est-ce si difficile ?
Quand une personne excelle dans une bonne Midda (qualité), il lui est très difficile de comprendre qu’une autre puisse être moins méticuleuse dans ce domaine. Par exemple, si quelqu’un est très ponctuel, il aura beaucoup de mal à s’expliquer le retard constant de ses camarades.
Il est évident pour lui que le fait d’être retardataire témoigne d’un manque de considération vis-à-vis d’autrui. Son 'Avoda (« travail », efforts à accomplir) consiste à admettre que chacun a des points forts différents et qu’il existe certainement des domaines dans lesquels il est bien plus faible qu’un autre.
De plus, il lui faut se souvenir de la Michna dans Avot qui nous dit : « Ne juge pas ton prochain avant de te tenir à sa place ». Cela nous enseigne que les traits de caractère de l’individu sont liés aux circonstances de sa vie et qu’il est alors impossible de juger l’autre, car nous ne savons pas comment nous aurions réagi si nous avions été dans sa situation.
En intériorisant cet enseignement, nous arrivons à reconnaître que chacun a ses propres points forts et lacunes et qu’il ne convient donc pas d’être contrarié des imperfections d’autrui dans les domaines où nous-mêmes excellons.
Au début de la Paracha, nous trouvons un autre exemple montrant la grandeur d’Avraham dans ses relations avec les personnes se situant à un niveau inférieur au sien. La Torah décrit avec force détails, le délicieux repas qu’Avraham proposa à ses visiteurs. Le rav Issakhar Frand chlita souligne qu’Avraham lui-même était certainement peu intéressé à manger de tels mets. Néanmoins, il n’imposa pas son niveau personnel de Perichout (éloignement du monde physique) à ses invités et n’épargna aucun effort pour leur servir un repas délicieux.
Le rav Frand décrit comment l’une des plus grandes figures des générations récentes excellait dans ce domaine, celui de ne pas imposer ses propres exigences aux autres ; dans le réfrigérateur du rav Moché Feinstein zatsal se trouvaient divers condiments, des sauces délicates… Il est évident que le rav Moché Feinstein lui-même n’accordait pas d’importance à l’ajout de telles sauces pour agrémenter son repas – il vivait à un autre niveau, où de tels plaisirs physiques étaient insignifiants. Mais il n’attendait pas des autres un niveau d’abstinence équivalant au sien…
Il existe plusieurs façons d’imposer ses propres desiderata à autrui de manière négative. Par exemple, quelqu’un peut être très propre et soigné, ce qui est évidemment une qualité permettant de vivre selon un Séder (ordre). Cependant, il est fort probable qu’à un moment dans sa vie, il se trouvera une situation où il devra s’accommoder avec d’autres personnes, tel un camarade de chambre, un conjoint, ou ses propres enfants. Ceux-ci n’aspireront peut être pas à une propreté aussi rigoureuse dans la maison. Il risque d’être frustré par leur attitude et exiger que l’endroit soit rangé et nettoyé selon ses propres « normes de propreté ».
Dans ce scénario, cet individu impose sa façon de faire aux autres, ce qui semble être un comportement injuste vis-à-vis d’autrui. Une personne maniaque doit plutôt accepter que les autres ne puissent pas garder la maison aussi propre qu’elle le voudrait. Si elle se sent incapable de vivre correctement dans de telles conditions, elle doit se charger personnellement de maintenir la propreté de la maison selon ses impératifs.
La grande bonté d’Avraham Avinou est légendaire. Le rav Kamenestky nous enseigne ici un autre aspect de son extraordinaire Ben Adam La’havéro – il n’imposait pas ses propres exigences aux autres personnes et ne faisait pas preuve de sévérité à leur égard.
Puissions-nous mériter d’utiliser nos bonnes Middot (qualités) uniquement pour le bien.
[1] Émeth LeYaacov, Parachat Vayéra.