Chambon-sur-Lignon. Un petit village français typique, calme, charmant, entouré des collines verdoyantes de la Haute-Loire. C’est l’Auvergne que chante Brassens.

La route principale coupe le village en deux. Son épicerie, son bistrot sur la gauche, son monument historique à droite, rien de spécial a priori. Juste une plaque discrète, sur un édifice, dont les premières lignes sont écrites en hébreu, « Le Souvenir du Juste restera pour Toujours », puis, en français, quelques lignes qui remercient les habitants du village et la communauté protestante “d'avoir caché, protégé, sauvé au péril de leur vie, par milliers, tous les persécutés pendant la guerre de 39-45”. C’est signé : Les Juifs réfugiés au Chambon-sur-Lignon et dans les communes avoisinantes.

Fait exceptionnel dans les annales du Mémorial de la Shoah, Yad Vachem, ce lieu a été reconnu en 1990 dans son intégralité « Juste parmi les Nations » : un village entier qui a œuvré nuit et jour, au sauvetage de milliers de Juifs.

L’un d’eux, Eric Schwam, 12 ans, fuyant son Autriche natale avec ses parents, trouvera refuge dans ce village de Haute-Loire. Le père d’Eric était médecin, de Vienne, et est arrivé à Chambon en 1943, avec sa femme, son petit garçon, et leur grand-mère.

Ce petit village, point minuscule sur la carte française, peuplé de gens simples et bons, agriculteurs, petits commerçants et artisans, s’est distingué dans les années de la guerre comme un îlot d'héroïsme et d’humanité véritable.

Les Juifs en fuite qui avaient eu la chance de s’y retrouver, furent cachés dans les maisons des habitants, dans les fermes et dans les établissements publics de l’endroit. Lorsque les patrouilles de nazis approchaient, les habitants se dépêchaient d'avertir les Juifs et de les emmener dans les terrains et la forêt proches, où ils attendaient que la menace passe.

Un témoin de Chambon raconte : “Une fois que les SS quittaient le village après leur inspection, nous nous rendions dans la forêt et aux alentours, et nous commencions à chanter un air à haute voix, pour faire savoir aux personnes cachées qu’elles pouvaient revenir en sécurité au village.”

Mais l’aide des Auvergnats ne s'arrêtait pas là.

Les Chambonnais se souciaient de délivrer aux Juifs des faux papiers, des bons de ravitaillement et les aidèrent à passer la frontière pour la Suisse. On estime de 3000 à 5000 le nombre de Juifs sauvés d’une mort certaine par le village.

Qui a été l’instigateur de ce sauvetage ?

D’après les chiffres, les 5000 habitants de Chambon et des environs, fermes et hameaux environnants compris, auraient sauvé entre 3000 et 5000 Juifs. Le chef de l’église protestante du village s’appelait Pasteur André Trocmé, et ce fut lui l’initiateur de ce sauvetage. Il considérait les Juifs comme “les hommes de la Bible”.

Il était un symbole de pacifisme (ce qui lui valut d'être muté dans ce petit village, car l’Église protestante ne partageait pas ses vues) et, pourtant, quand l’heure le demandait, il appelait dans des sermons très audacieux à l'action et à la résistance au nazisme.

Lorsque les officiers SS exigèrent qu’il leur livre une liste complète des Juifs des environs, il leur répondit : “Je ne connais pas de Juifs, je ne connais que des hommes...”

C’est lui, en prenant des risques énormes, avec sa femme Magda, alors qu’ils avaient 7 enfants en bas âge, qui a décidé d’organiser cet immense réseau de soutien et porter secours aux Juifs, en les cachant chez les habitants de la région. Ils localisèrent dans un premier temps des centaines de familles qui étaient d’accord de donner abri aux Juifs, parmi lesquels se trouvaient de nombreux enfants, qui avaient été séparés de leur famille. Pendant 3 ans, les Chambonnais vont leur assurer logis, nourriture, vêtements et, comme nous l’avons dit, également faux papiers et passage vers la Suisse.

Les nazis arrêtèrent Trocmé et deux autres pasteurs, les soupçonnant d’activités interdites. Ils furent heureusement libérés quatre semaines plus tard.

Par contre, le cousin d’André Trocmé, Daniel, qui dirigeait un orphelinat, fut arrêté en 1943 avec de nombreux enfants qu’il avait cachés. Ils furent tous déportés à Majdanek, où ils seront assassinés.

Épilogue

M. Schwam est décédé il y a 2 mois, à l'âge de 90 ans, sans laisser de descendance. Il était pharmacien et vivait à Lyon avec sa femme. On estime à 2 millions d’euros la somme qu’il lègue au village.

Ces hommes et ces femmes qui, sans compter, lui donnèrent refuge ainsi qu'à ses parents, aux heures les plus dramatiques de leur vie et de celles de milliers de réfugiés apeurés, affamés, traqués, il ne les a pas oubliés.

Cet épisode édifiant de la France sous l’occupation et le comportement de ce village et de ses habitants qui sortent de l’anonymat pour écrire l’histoire de France en lettres d’or n’est pas unique. Des individus, des communautés, des villages et même des pays, comme le Danemark, ont osé dire “Non !” aux projets sataniques de l’Allemagne et ont décidé de cacher et de sauver les victimes des persécutions.

Il est certain qu’on ne peut exiger du genre humain dans son intégralité de s’élever à de tels sommets d’humanité, mettant sa vie en péril pour sauver son prochain. 

Mais…

Une question cependant flotte dans l’air. 

Si l'on ne peut demander au commun des mortels de tels pics d’altruisme, on aurait pensé au moins que ne pas abuser, spoiler, dénoncer des êtres en détresse, hommes, femmes et enfants serait à portée de main du genre humain en général.

Surtout lorsque l’on sait qu’une action passive, comme celle de ne rien dire, n'entraînait pas de représailles. Si un gendarme ou même un milicien interrogeaient les voisins d'un immeuble, demandant si une famille unetelle était juive, on pouvait, sans se mettre en danger, répondre qu'on n'en savait rien. Des concierges sous l'Occupation ont parfois gagné leur paradis en évitant un mot, avec un haussement de sourcil, ou une moue qui pouvait en dire long.

Sans parler des dizaines de milliers de lettres de dénonciation qui affluaient au service de délation mis en place à cet effet par les nazis, et, ce, pour la France seulement.

Combien de Juifs auraient pu survivre, si les populations environnantes, les voisins, les collègues de travail s’étaient, sans faire d'actes héroïques, tout simplement abstenus de délation ? Combien d'hommes, de femmes et d’enfants ont été dénoncés ? Des dizaines de milliers, des centaines de milliers, plus ? Certains témoignages rapportent que les Allemands eux-mêmes étaient étonnés de la collaboration active des populations occupées à vendre “leurs Juifs”.

Que la mémoire du pasteur Trocmé, de sa femme Magda, du village Chambon-le-Lignon, et de tous ceux qui ont tendu la main au peuple juif aux heures les plus noires de son histoire, soit bénie et qu’ils reposent en paix. Que leur descendance continue dans la voie de leurs aînés, à montrer au monde les sommets d’humanité que des hommes et des femmes peuvent atteindre.

« Le Souvenir du Juste restera pour Toujours. »

Amen.