On l’a déjà souvent fait remarquer : la Torah n’est pas un livre d’Histoire, mais un recueil d’enseignements divins. C’est le sens du premier commentaire de Rachi sur Béréchit. Le but de la Torah est de faire connaître à l’homme la vérité divine dans le monde, comment D.ieu désire qu’on se conduise sur la terre qu’Il a créée. Dépassons l’aspect anecdotique, la Torah relate des faits quelquefois sans date précise, et quelquefois en une date et un calendrier apparemment inexacts. On pourrait citer des cas où les chiffres apparaissent faux. C’est le cas, par exemple, du nombre d’années passées en Égypte. Le texte biblique dit 430 ans alors que la réalité est de 210 ans. Les Sages expliquent ces difficultés, dans leurs commentaires. Il ne s’agit pas de faits d’Histoire, mais d’une réalité transcendantale. Chacune de ces imprécisions est expliquée par un principe général : « L’ordre de priorité des faits n’est pas observé dans le texte écrit ». La critique biblique – lecture textuelle non liée à la tradition – ne pouvait pas connaître la réalité divine des faits.

L’inverse – lecture de chaque mot – est aussi vrai, selon les Sages. Lorsqu’il est écrit : « Le jour où aura lieu l’héritage », il faut que ce soit « un jour » et pas « la nuit ». Lorsque les parents doivent prendre en main leur fils dévoyé pour l’amener devant les juges, il est nécessaire que les parents soient valides à tout point de vue. Cela est basé sur le fait qu’il est écrit : « et son père et sa mère le prendront ». Le texte de la Torah implique que les parents puissent le conduire. Ici, nous avons un exemple de texte « pris à la lettre ». Cela contredit apparemment ce que l’on a remarqué plus haut que la Torah ne donne pas de précisions exactes. En réalité, c’est le contraire qui est vrai ! Mais il s’agit ici de la vraie signification de la Torah : Torah veut dire « enseignement », direction de l’éducation du Juif observant. À partir de cette lecture, précision (dans les Halakhot) et imprécision (dans les dates) se rejoignent : ce n’est pas quand les évènements se sont passés qui est l’essentiel, mais comment observer les préceptes ordonnés par l’Éternel. Ici apparaît la différence entre une lecture qui se veut scientifique – d’après les critères de la littérature – et une lecture intérieure, traditionnelle, transmise de génération en génération.

L’intériorité, la tradition, la prise de conscience d’une réalité AUTRE, donne son sens au VERBE divin. Il ne s’agit pas de vieux textes, anciens, démodés, mais d’une présence, d’une actualité toujours concrétisée dans l’histoire du peuple. Les Sages expliquent pourquoi le texte parle de 430 ans, alors que la réalité est de 210. La puissance de la tradition éclaire un texte que la critique détruit. 

Un exemple de cette lecture, fondée sur la tradition, est la lecture spirituelle du livre « Cantique des Cantiques ». Alors qu’une approche textuelle donne l’impression d’un chant d’amour entre un berger et une bergère – chant lyrique, fondé sur une approche matérielle – les Sages voient ici le chant de l’amour entre le Créateur et Son peuple, avec ses diverses péripéties. Le Verbe divin éclaire ce qui peut apparaître comme « charnel ». Rabbi 'Akiva dit que ce chant est le plus saint des textes sacrés. Les Sages expliquent les divers échanges entre le berger et la bergère comme l’expression imagée des relations du Tout-Puissant avec la créature, et singulièrement avec le peuple d’Israël. Ce sont les aventures du Verbe divin qui sont symbolisées dans ce livre, qu’un profane ne pourrait comprendre. Alors une question essentielle se pose : pourquoi ce mystère, pourquoi ne fallait-il pas plutôt exprimer les choses clairement ?

La réponse à cette question s’inscrit précisément dans le mystère de la création. Les choses ne peuvent pas être exprimées de façon claire. Le terme « ’Olam » qui traduit le temps comme l’espace appartient à la racine du mot Né’elam (mystérieux, caché). Il faut décrypter, il faut approfondir, il faut se fier à une tradition trimillénaire. Le monde – selon les chercheurs – a été créé il y a plus d’un milliard d’années à la suite d’une gigantesque explosion nucléaire, qui n’a duré que quelques heures. Tel est le message que les scientifiques veulent donner. Tel n’est pas notre problème. Le Créateur a créé le monde il y a 5785 ans pour l’humanité. À nous de lire ce message, et de comprendre que le mystère de la création dépasse l’être humain, car le Verbe divin reste mystérieux pour le créé. Les événements sur terre s’inscrivent dans l’Histoire, mais le Créateur transcende le matériel, et toutes les hypothèses restent obscures. Seule la Parole divine s’adresse à l’homme et s’est révélée au Sinaï. Telle est notre foi qui traverse le temps, mais qui éclaire un monde obscur. La Révélation du Sinaï s’adresse à l’humanité, mais Israël en est le véhicule, avec toutes les vicissitudes que cela implique. L’enveloppe extérieure cache le véhicule, mais l’Histoire nous rappelle l’existence de ce véhicule, et ainsi s’exprime la proximité du créé avec le Tout-Puissant !