Quand la famine sévit en Erets Israël, Its’hak Avinou décida d’aller en Égypte. Mais Hachem l’en défendit et lui ordonna d’aller en terre de Pélichtim. Hachem le bénit alors : « Je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel et Je donnerai à tes descendants toutes ces terres. Et toutes les nations du monde s’estimeront bénies à travers tes descendants. Parce qu'Avraham écouta Ma voix et garda Mes préceptes (Michmarti), Mes commandements, Mes décrets et Ma Torah. »[1] Les commentaires diffèrent quant à la signification du mot « Michmarti ». Le Sforno écrit qu’il s’agit du ’Hessed, « ce qui est gardé (Michméret) pour moi ». Hachem fait donc l’éloge d’Avraham qui excella dans le ’Hessed et qui émula si bien cette qualité divine, qui est à la base de toute la création.
Le Sforno soulève ensuite une difficulté sur ce verset. À deux reprises, dans cette Paracha, Hachem bénit Its’hak, mais seulement par le mérite d’Avraham[2], tandis qu’Avraham et Yaakov furent toujours bénis par leur propre mérite et non grâce à celui de leurs ancêtres. Il explique que ces deux derniers ont enseigné la Parole de D.ieu ; les exploits d’Avraham sont bien connus et Yaakov enseignait aux gens qui venaient à la Yéchiva de Chem et Ever[3]. Par contre, Its’hak n’avait jusqu’alors pas diffusé le nom d’Hachem et n’était donc pas digne d’une bénédiction en son nom. Il n’est béni par son propre mérite que lorsqu’il émule son père et proclame le nom d’Hachem : « Il y construisit un Autel et proclama le nom d’Hachem. »[4] Peu après, Avimélekh lui propose un accord de paix et l’appelle « Béni d’Hachem »[5].
Rav Eliachiv commente ce Sforno. Its’hak Avinou était l’un des trois patriarches, il fut prêt à sacrifier sa vie pour Hachem, il était tellement saint qu’il ne pouvait quitter Erets Israël. Malgré tout, la Torah en parle comme s’il n’avait aucun mérite avant de propager la parole d’Hachem ! Et Rav Eliachiv d’expliquer : « Nous en déduisons l’incroyable mérite et la récompense que l’on reçoit quand on transmet la Crainte d’Hachem aux autres. »[6]
Rav ’Haïm de Volozhin écrit que le mot Brakha implique le Ribouï (l’abondance). Ainsi, l’objectif d’une Brakha est d’entraîner l’intensification ou la continuation d’une chose. Rav Its’hak Berkovits ajoute qu’une personne n’est digne de recevoir une Brakha que si elle contribue à un Ribouï, à une augmentation du nombre de gens qui suivront les voies d’Hachem. C’est pourquoi, en dépit de ses actes vertueux, Its’hak ne reçut de bénédiction par son propre mérite que lorsqu’il contribua à la diffusion du message divin.
Pourquoi Its’hak s’abstint-il de proclamer le nom d’Hachem jusqu’alors ? D’après Rav Eliachiv, puisque son père avait déjà fait connaître Hachem à tant de monde, Its’hak se dit qu’il n’avait pas besoin d’en faire de même.
On peut en tirer une leçon très pertinente dans le monde actuel – le fait que certaines personnes consacrent leur temps et fournissent tant d’efforts pour transmettre la Torah ne dispense pas les autres d’y contribuer d’une certaine manière. On pourrait arguer qu’il n’y a aucune nécessité à la chose. Mais cet argument est doublement faux : tout d’abord, nous apprenons du Sforno que si l’on rapproche d’autres personnes d’Hachem, cela nous est bénéfique et nous rend dignes de Brakha. De plus, le nombre de gens impliqués dans le Kirouv Ré’hokim (y compris ceux qui consacrent quelques heures par semaine pour étudier avec un débutant ou bien ceux qui invitent des Juifs non pratiquants à leur table du Chabbat…) est très petit comparé au nombre de Juifs laïques qui s’éloignent du judaïsme par millions. La seule façon de freiner cette tendance est de s’engager – responsabilité qui incombe à chaque Juif – à consacrer une partie de son temps au Kirouv.
Peu de personnes savent que les Guédolim ont demandé à ce que chaque Ben Torah consacre une partie de son temps précieux à rapprocher ses frères non-pratiquants. Rav Moché Feinstein lança un appel à tous les élèves de Yéchiva en 1973.[7] Il donna l’exemple de Moché Rabbénou qui était réticent à diriger le peuple juif, mais qui entreprit ce projet avec témérité. Rav Feinstein écrit : « À l’instar de Moché qui répondit à l’appel du Tout Puissant, parce qu’il n’y avait personne d’autre, les disciples de nos Yéchivot doivent en faire de même… personne d’autre n’est aussi qualifié pour cette mission. Dans de telles circonstances, l’étude de la Torah doit être interrompue. »[8] Il conclut en disant : « De la même manière que l’on doit donner au moins 10 % de notre argent à la Tsédaka, un Ben Torah doit consacrer un dixième de son temps pour les autres, pour les rapprocher de la Torah. Et celui qui a des capacités et des connaissances plus grandes doit y passer plus de temps, proportionnellement. »[9]
Plus récemment, Rav Wolbe enjoignit aux Avrékhim de consacrer une soirée par semaine à aller chez des personnes laïques et à leur montrer la beauté de la Torah et du judaïsme.
Ainsi, nous avons appris du Sforno que même un grand Tsadik ne mérite la Brakha que s’il diffuse la connaissance d’Hachem dans le monde. Et Rav Eliachiv nous enseigne que le fait que d’autres personnes font déjà le travail n’est pas un argument valable pour s’en dérober.
Puissions-nous tous mériter de jouer notre rôle – à savoir « Vayikra Béchem Hachem ».
[1] Parachat Toldot, Béréchit, 26:4-5.
[2] Une fois dans le verset précité, puis dans Béréchit, 26:24.
[3] Le Ramban, en revanche, écrit que Yaakov remplit son obligation de diffuser la parole de D.ieu à travers ses fils.
[4] Toldot, 26:25.
[5] Toldot, 26:29.
[6] Divré Haggada, p. 74-75.
[7] Tiré du « Jewish Observer », juin 1973, « Eye of a needle », p. 227-233.
[8] Ibid. p 230.
[9] Ibid. p 232.