Question d'une internaute : Je suis fiancée avec un garçon gentil, brillant, avec qui je m'entends très bien. On envisage de se marier prochainement, mais il y a un énorme problème que je n’arrive plus à gérer : ma mère cherche toujours à tout contrôler, et au final, je finis par faire ce qu'elle demande, pour avoir la paix, mais cela m'éloigne de mes amies et commence à créer des problèmes avec mon futur mari. Elle veut décider où nous passerons les fêtes, le Chabbath, où nous habiterons etc. Je sens que là c'est trop, et cela implique aussi mon couple maintenant. Merci de vos conseils !
La réponse de Mme Nathalie Seyman
Bravo à vous pour cet appel à l’aide qui n’est pas facile, il reste toujours un peu tabou de soulever les problèmes relationnels avec sa mère. Votre situation n’est pas simple et je comprends à quel point cela peut être pesant. Vous aimez profondément votre fiancé et avez envie de construire une vie avec lui, mais votre mère, à qui vous êtes naturellement attachée et à laquelle vous devez le respect, “profite” quelque part de ce statut pour exercer une ingérence, créant des tensions qui vous inquiètent pour votre avenir. À quel point le Kiboud Av Vaèm (respect des parents) est important et surtout jusqu’où se limite-t-il ? Doit-on se mettre de côté, mettre de côté son couple, sa vie, ses ambitions pour respecter et obéir à ses parents ? Ou doit-on s’opposer à eux, s’en détacher pour voler de nos propres ailes au risque d’altérer ce lien si précieux ?
Faisons le point ensemble !
1/ Le respect des parents est-il inconditionnel ?
"Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que l'Éternel, ton D.ieu, te donne." (Exode 20:12 et Deutéronome 5:16)
Dans le judaïsme, le respect des parents est une obligation morale car c’est un commandement divin de la Torah. C’est une valeur profondément ancrée dans le judaïsme. Donc cela voudrait dire que c’est un respect qui se donne indépendamment des erreurs ou comportements de nos parents. Il ne s'achète pas et ne se perd pas. Pour autant, ce respect doit-il être inconditionnel ou peut-il être affecté par les actions et/ou les désirs des parents ?
En règle générale, le respect fonctionne par la réciprocité. Si les parents ne remplissent pas leurs responsabilités de guides moraux envers leurs enfants par leur absence, ou bien pire, s’ils ne respectent pas leur rôle de protecteurs et d’accompagnateurs bienveillants, alors qu’en est-il ? S’ils ne prennent pas leurs responsabilités, doit-on garder les nôtres ?
Cette Mitsva est essentielle mais n’est pas sans nuances. Par exemple, si les parents demandent à leur enfant de transgresser une loi de la Torah ou de commettre une faute morale, l’enfant n’est pas tenu de leur obéir. Et c’est également le cas si cette demande concerne notre équilibre psychique. Nous ne pouvons pas sacrifier notre vie pour leur plaire. Un équilibre doit être trouvé entre le respect que nous leur devons et le respect que nous nous devons à nous-mêmes ! Honorer ses parents, c’est leur montrer de la gratitude, les traiter toujours avec bienveillance et respect, même (surtout) en cas de désaccord. Et se respecter soi-même, c’est ne pas s’oublier pour répondre à leurs attentes si cela va à l’encontre de notre bonheur, savoir leur dire ce qui, dans leurs paroles ou leur comportement, nous empêchent de vivre une vie saine, mais aussi savoir quand s’éloigner pour ne pas se mettre en danger psychologiquement parlant.
Si leurs conseils sont fondés sur l’amour et la sagesse, il sera bénéfique de les écouter, même si cela demande un effort. Mais si leurs attentes sont en contradiction avec la manière basique de vivre, il faut savoir poser des limites avec respect.
En cas d’ingérence négative répétée de l'un de ses parents (ou les deux), la première question à se poser est : quelle est leur intention ?
- Soit les parents sont juste maladroits dans leur communication mais leur but reste le bien-être de leur enfant. La communication reste donc possible.
- Soit l’enfant est confronté à un / des parent(s) toxique(s) et ce cas-là mérite un chapitre à part.
2/ Les parents toxiques ou la relation toxique parent / enfant
Attention : Il est essentiel dans cette situation très particulière de parler à un Rav compétent qui jugera au cas par cas pour trancher s’il s’agit d’un cas extrême qui sera exempté de la Mitsva du Kiboud Av Vaèm (respect des parents).
La relation entre un parent et son enfant est censée être un lien d’amour, de protection et de soutien. Pourtant, certaines dynamiques familiales peuvent devenir nocives, créant des blessures profondes et durables. Et quand on vit cela, il va être essentiel de bien faire la distinction entre un “parent toxique” et une “relation toxique” entre un parent et son enfant.
Cas du parent toxique
Un parent toxique est une personne qui, de manière constante, nuit à l’équilibre émotionnel de son enfant, volontairement ou non et cela, même à l’âge adulte. Il peut s’agir d’un parent manipulateur, autoritaire, culpabilisant ou indifférent aux besoins de son enfant. Parmi les signes :
- Manipulation et culpabilisation : par exemple : “Après tout ce que j’ai fait pour toi, tu me dois bien ça”.
- Absence de reconnaissance : l’enfant n’est jamais assez bon, ses succès sont minimisés.
- Contrôle excessif : le parent veut tout régenter, des choix de vie à la moindre décision quotidienne.
- Critiques destructrices : plutôt que des conseils bienveillants, l’enfant reçoit des jugements rabaissants.
- Absence d’empathie : les émotions de l’enfant ne sont pas prises en compte ou sont tournées en dérision.
- Refus du dialogue : dès qu’un désaccord survient, le parent impose son point de vue sans écouter.
Lorsque la toxicité est trop destructrice et que le dialogue est vraiment impossible, alors la prise de distance peut être nécessaire. Cela ne signifie pas forcément couper tout contact, mais limiter les échanges pour se protéger émotionnellement. Dans certains cas extrêmes, une rupture définitive devient l’unique solution pour préserver son équilibre mental. C’est très difficile pour l’enfant car lui continue à jouer son rôle d’enfant et aimer naturellement sa mère ou son père et continue à chercher son approbation, son amour, son affection même à l’âge adulte, mais il ne le trouvera jamais hélas. Car c'est comparable à une maladie psychologique : la personne, trop dans le déni du fait de sa personnalité toxique, ne peut pas se rendre compte du mal qu’elle fait aux autres, elle ne peut donc pas changer.
Quand parle-t-on d’une relation toxique parent / enfant ?
Une relation toxique parent / enfant peut exister même si le parent n’est pas toxique. Parfois, des incompréhensions, des blessures non résolues ou des attentes irréalistes créent un climat malsain (par exemple, une femme veuve qui remplace inconsciemment son mari par son fils, ou un parent ayant subi un échec et qui projette une seconde chance sur la vie de son enfant, etc.). Voici quelques exemples qui peuvent établir une relation toxique :
- Conflits constants et non résolus qui épuisent émotionnellement.
- Dépendance affective excessive empêchant l’enfant de s’émanciper.
- Attentes irréalistes qui poussent l’enfant à vivre pour satisfaire son parent.
- Communication destructrice, où chacun parle pour blesser plutôt que pour se comprendre.
Dans ce cas, il est parfois possible d’assainir la relation avec du dialogue, du travail sur soi et certainement une thérapie familiale. Prendre conscience du problème est la première étape. L’aide d’un professionnel pour comprendre tous les enjeux psychologiques de cette relation sera parfois indispensable pour tout réaliser et changer par la suite le schéma répétitif nocif dans lequel on s’est enfermé malgré soi. Ensuite, il est essentiel de mettre en place des limites claires en s’affirmant avec respect, en évitant d’entrer dans le jeu de la manipulation et de la culpabilisation et privilégier une communication apaisée et bienveillante. Se libérer d’une relation toxique n’est pas un manque de respect, mais un acte de survie et d’amour envers soi-même.
Les enjeux psychologiques du lien mère-fille dans une relation toxique
La relation mère-fille est un lien unique, empreint d’amour et de transmission. Pourtant, hélas, lorsque la mère est toxique, ce lien peut devenir une source de souffrance, où des dynamiques complexes se jouent entre jalousie, contrôle, rivalité et dépendance affective. Cette toxicité peut profondément impacter la construction de l’identité de la fille, sa confiance en elle et ses relations futures. Car dans certaines relations toxiques, la mère voit sa fille non pas comme son enfant à chérir, mais comme une rivale. Elle peut ressentir un sentiment de remplacement qui la renvoie à son angoisse de vieillir. Ce sont souvent des femmes qui ont un besoin maladif d’attention et voir cette attention portée vers une autre les désespèrent profondément. Elle va donc infantiliser sa fille, la surprotéger ou critiquer ses choix afin de maintenir une forme de dépendance. Pour cela, elle utilisera à outrance une culpabilisation excessive où la mère rappelle constamment à sa fille tout ce qu’elle a fait pour elle, la poussant à rester sous son influence.
C’est une épreuve terrible pour la jeune fille car quand une mère toxique rabaisse constamment sa fille, cela aura généralement pour conséquence la destruction de l’estime de soi, qui induira une identité fragilisée et de nombreux troubles qui pourront en découler : syndrome de l’imposteur, peur permanente de l’échec, difficulté à s’affirmer, incapacité à s’aimer, etc.
C’est pourquoi, malgré tout l’amour que l’on peut ressentir pour sa mère, on va être obligé de s’en éloigner pour se préserver. Il faut vraiment voir ça comme un “trouble” qui ne peut pas être pris en charge à cause du déni de la personne qui en souffre. Dans de rares cas, un parent avec une personnalité toxique peut prendre conscience de ses comportements et changer, créant une relation plus saine avec ses enfants. Mais cela demande un travail psychologique profond, ce qui est souvent difficile voire impossible pour une personne ayant des traits toxiques car ils ne ressentent pas d’empathie.
Attention ! Ce que je viens de décrire est un cas spécial et pour définir une personnalité toxique, il ne suffit pas d’avoir eu quelques conflits pour penser que l’un de ses parents l’est ! Pour vous donner une indication, un parent toxique ne peut PAS avoir de relation normale avec aucun de ses enfants, il ne peut pas ressentir de l’empathie et son mode de fonctionnement est seulement la manipulation. La relation avec ses parents est trop précieuse pour la mettre en péril à cause de quelques conflits qui peuvent être résolus avec une meilleure communication. Ne posez pas de diagnostic à la légère, être sûr qu’on est face à une personne toxique nécessite d’observer ses comportements sur le long terme et l’impact qu’elle a sur notre bien-être et dans le doute, il est préférable de marquer un éloignement temporaire, le temps d’en discuter avec une tierce personne, un professionnel et/ou un Rav.
Mes Conseils
S’il y a possibilité de communiquer avec votre mère :
- Clarifiez vos priorités : priorisez ce qui vous permet d’avancer et de vous épanouir, c’est à dire aujourd’hui, votre couple, votre futur mariage et la construction de votre future famille.
- Posez des limites respectueuses : discutez clairement et calmement avec votre mère pour lui expliquer ce que vous ressentez : “Maman, je t’aime et merci pour tout ce que tu as fait pour moi, mais j’ai besoin de prendre certaines décisions avec mon fiancé maintenant. Cela ne diminue en rien l’amour que j’ai pour toi.” Posez des limites fermes et concrètes mais toujours dans le respect et la bienveillance.
- Travaillez votre assertivité : apprendre à dire "non" peut être difficile, surtout face à un parent, mais c’est parfois essentiel pour préserver votre équilibre. Dire "non" à certaines demandes qui vous concernent, ce n’est pas comme dire non à un service qu’elle vous demande, ce n'est pas un rejet ou un manque de respect, c'est simplement affirmer vos besoins et ceux de votre couple.
Dans la mesure du possible, n’impliquez pas votre fiancé dans cette opposition : faites en sorte que votre futur conjoint n’entre pas en conflit avec votre mère. Cela ne servirait personne, et même au contraire. Vous devez être assez forte pour prouver à votre mère que personne ne vous influence en quoi que ce soit, que ce sont vos choix et qu’elle doit les respecter.
- Consultez un conseiller ou un thérapeute familial si besoin: cela peut vous offrir des outils pour mieux gérer cette dynamique familiale et pour vous affirmer avec plus de sérénité.
Ce chemin peut demander du temps et des ajustements, mais vous méritez de vivre votre couple pleinement et en harmonie. Prenez soin de vous et de votre relation avec votre futur mari, car c’est là que réside votre avenir.
Si votre mère a une personnalité toxique (après un diagnostic et l’accord d’un rav compétent) :
Se détacher de l'emprise d'une mère toxique est un processus délicat et souvent difficile, mais il est essentiel pour retrouver une autonomie émotionnelle et protéger son bien-être, ainsi que celui de son couple.
- Acceptez la réalité : admettre que la relation avec votre mère est toxique est un premier pas crucial. Cela vous permettra de cesser de minimiser ou justifier son comportement et de prendre conscience que vous n’en êtes pas la cause.
- Identifiez les schémas répétitifs (culpabilisation, contrôle, manipulations émotionnelles) pour comprendre comment cette emprise se manifeste.
- Posez des limites claires : expliquez à votre mère, avec respect mais conviction, ce qui est acceptable ou non: "J'apprécie tes conseils, mais je veux prendre ces décisions avec mon fiancé." Une fois ces limites posées, il est crucial de les respecter soi-même. Cela peut entraîner des réactions négatives au début, mais persister est indispensable.
- Apprenez à dire "non" sans culpabilité : "Non maman, merci beaucoup mais nous avons déjà prévu autre chose ce Chabbath." De temps à autre, il n'est pas nécessaire de dire la vérité et il est permis d'inventer des "petites histoires".
- Sachez vous protéger : si les échanges avec votre mère deviennent trop oppressants pour vous, s’ils activent trop d’angoisses, il vous faudra prendre de la distance et limiter les échanges avec elle. Cela ne veut pas dire couper les liens définitivement, mais réduire leur intensité pour respirer. Et parfois, le seul moyen sera de couper tous les ponts. Quoi qu'il en soit, ne vous culpabilisez pas : prendre soin de soi n’est pas égoïste, mais nécessaire.
- Renforcez-vous émotionnellement : travaillez votre estime et votre confiance en vous (thérapie, pensée positive, exercices…), rapprochez-vous de personnes bienveillantes.
- Faites face aux résistances : votre maman pourra vouloir intensifier ses manipulations pour garder le contrôle (culpabilisation, colère, victimisation). Il est important de ne pas céder. Restez cohérente et patiente. Le changement prend du temps, et les efforts pour s’affirmer doivent être constants.
- Entamez une thérapie : une relation toxique avec un parent peut laisser des traces profondes. Un thérapeute peut aider à mieux comprendre vos blessures et retrouver une sérénité intérieure. Il peut vous enseigner des stratégies pour faire face aux comportements manipulateurs de votre maman.
- Se tourner vers un Rav compétent qui pourra vous soutenir et vous aider à établir les décisions correctes à prendre, qui pourront parfois être radicales si cela est nécessaire : si la toxicité persiste malgré les efforts, il faudra possiblement envisager une prise de distance prolongée, voire une coupure temporaire, peut être salutaire pour protéger votre couple et votre vie.
- “Ne sois pas coupable à tes propres yeux”. (Pirké Avot - Éthique des Pères, 2; 13)
Cette phrase invite à ne pas se laisser submerger par la culpabilité ou l’auto-jugement excessif, souvent utilisés comme outils par des figures toxiques pour maintenir leur contrôle. Elle peut aider à se rappeler que prendre soin de soi et poser des limites n’est pas une faute, mais une nécessité pour préserver sa dignité et son équilibre. Prendre soin de soi n’est pas un acte égoïste, c’est un acte de survie. Grandir avec une mère toxique est une épreuve, mais il est possible de s’en détacher pour se reconstruire et trouver son propre équilibre. Se libérer ne signifie pas forcément couper les ponts, mais reprendre le contrôle sur sa propre vie, sans culpabilité ni crainte. L’essentiel est d’apprendre à se donner l’amour et le respect que l’on n’a pas toujours reçus.
S’aimer soi-même, c’est briser la chaîne de la toxicité et écrire sa propre histoire… (sans toutefois prendre de décision furtive, chaque cas étant à traiter au cas par cas, avec l’aide d’un Rav compétent)
Beatsla'ha !
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