La Paracha de cette semaine est particulièrement riche. Elle nous introduit les personnalités de Yaakov et Essav et nous indique d’emblée les conflits fondamentaux qui vont opposer les deux frères. Elle préfigure ainsi les dissensions qui sépareront plus tard Israël des nations.
Après l’épisode des bénédictions que donne Its’hak à ses enfants dans les conditions que l’on connaît, nous voyons Its’hak et Rivka préoccuper par l’avenir de leur fils Yaakov. Ils redoutent en effet qu’il se marie avec une épouse qui ne corresponde pas à son niveau spirituel et qui ne dispose pas des qualités de cœur requises. Aussi, l’enjoignent-ils de se mettre en route pour ‘Haran, là où vit la famille de Rivka, afin d’y trouver là-bas une épouse digne de lui.
Cet épisode nous rappelle également la Paracha de la semaine dernière où nous avions également remarqué l’importance accordée par Avraham quant au choix d’une épouse pour son fils. Eliezer avait ainsi été chargé d’une mission de la plus haute importance et avait dû retourner dans la famille de son maître pour y trouver une femme adaptée à Its’hak.
Ces deux récits mettent en lumière l’importance capitale du mariage dans la vie d’un homme, et notamment dans son épanouissement personnel et spirituel. Très tôt, dès la création de l’homme, la Torah a souligné la nécessité pour l’homme de ne pas rester seul (Béréchit, 2-18) : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », et ce constat va amener D.ieu à créer une compagne pour Adam.
Et, de fait, l’union entre un homme et une femme, le couple, est en principe le lieu par excellence de l’épanouissement de l’être humain. Comme le constate les maîtres du Talmud : « Un homme célibataire n’est pas complet », c’est-à-dire qu’il ne peut connaître pleinement le bon, la joie et la bénédiction.
Qu’y a-t-il donc de si fondamental dans le mariage qui permette d’atteindre ce bonheur ?
La première étape du mariage est bien sûr celle du choix du conjoint. La Paracha de cette semaine, comme celle de la semaine dernière, nous décrivent précisément quelle est la bonne méthodologie. Le critère primordial auquel nos Patriarches étaient attentifs était celui des qualités de cœur de l’épouse, ses « Midot ». En effet, seules ces qualités peuvent garantir à l’homme le bonheur et l’épanouissement.
L’objectif de l’union entre un homme et une femme est de pouvoir vivre une vie harmonieuse, apaisée et heureuse, il est donc fondamental que les époux partagent des valeurs communes, un même projet de vie, un même regard sur la vie. Or, il est difficile de connaître son futur conjoint de manière approfondie avant l’expérience du mariage. D’autant plus que le véritable caractère d’une personne se révèle durant dans la vie de couple, au gré des moments de joie et des difficultés, et non dans les rencontres qui la précèdent.
Dès lors, les Patriarches nous enseignent que le seul critère qui importe est celui du ‘Hessed, de la bonté d’une personne, à savoir sa capacité à écouter les besoins de l’autre, à le rassurer, à lui donner confiance en lui et à l’encourager dans son épanouissement, notamment spirituel.
Chacun sait bien que chaque être humain est différent, et évidemment, il ne s’agit pas de choisir dans le mariage son « clone » comme partenaire, ce qui n’est d’ailleurs ni possible, ni souhaitable. Il s’agit de choisir une personne capable de s’engager dans un processus de co-construction permanente, d’échange, à travers lesquels chacun perçoit le travail qu’il doit faire pour se parfaire.
Une des clés du bonheur consiste précisément à aborder les difficultés que la relation à l’autre, et notamment la vie de couple, révèle comme des opportunités de se parfaire, comme une « lettre » envoyée par la Providence pour indiquer la voie dans laquelle nous devons nous engager.
Les Sages de la Torah nous enseignent ainsi que l’homme et la femme doivent bâtir leur relation sur le principe du respect mutuel et du dialogue. Aussi, la colère et l’emportement doivent-ils être bannis du foyer. « L’homme ne doit jamais faire régner une grande crainte dans sa maison », nous préviennent nos Sages. Ou encore, Rav Adda bar Ahava, dans le Talmud (traité Taanit), attribue sa longévité au fait de ne s’être « jamais mis en colère dans sa maison… »
Cette notion de l’harmonie conjugale, le « Chalom Bayit », est fondamentale dans notre tradition. Nos maîtres nous enseignent ainsi que lorsque l’harmonie règne dans le foyer, la Présence divine y trouve tout naturellement une place et bénit la maison. C’est là également le sens de l’une des sept bénédictions du mariage : « Saméa’h Téssama’h », où l’on bénit les jeunes époux de trouver dans le mariage la même joie, le même bonheur que l’Eternel lorsqu’il créa le Gan Eden, le paradis.
En effet, D.ieu, par définition, est parfait. Il n’a ni manque, ni besoin et aurait très bien pu se passer de créer le monde. Or, cette création du monde, cette possibilité de vie sur terre est un don gratuit qu’Hachem a fait à l’homme et qu’Il renouvelle en permanence, à chaque instant. Combien de miracles D.ieu accomplit-il en faveur de l’homme à chaque instant, combien de bienfaits lui donne-t-Il de manière désintéressée en dépit de ses fautes et de son imperfection !
Et pourtant, ce don désintéressé de D.ieu a suscité en Lui une grande « Sim’ha », un bonheur intense. Aussi, l’homme est-il invité à gouter à son tour à ce bonheur en donnant à l’autre, et en premier lieu à son conjoint. C’est là une ambition très forte imposée aux jeunes époux : faire de la vie commune un « paradis ».
Il ne s’agit pas ici de faire du mariage une image d’Epinal qui occulterait toutes les difficultés que révèle la vie de couple, il s’agit simplement de comprendre sur quoi repose ce bonheur tant recherché.
Les raisons profondes de l’amour entre un homme et une femme tiennent à leur capacité à se compléter mutuellement, à atteindre un degré de plénitude et d’épanouissement qui dépasse ce à quoi ils peuvent prétendre individuellement. Comme nous l’avons vu, à l’origine, l’homme est incomplet, imparfait, il ne peut s’accomplir pleinement qu’à travers la relation d’échange et de partage avec autrui, au premier rang desquels compte son épouse.
Avec sa femme, l’homme actualise en permanence sa capacité à donner. Ce don, cette ouverture à l’autre, fait naître l’amour, et pas seulement dans le cœur de celui qui reçoit mais aussi, et c’est là tout le miracle de la relation à l’autre, dans le cœur de celui qui donne.
Rav Dessler explique ainsi que de nos jours, l’une des difficultés qui empêche de trouver le bonheur dans le couple tient à ce que les hommes se comportent plus en « preneurs » qu’en « donneurs ». Les exigences prennent alors le pas sur l’empathie, la rigueur sur la bonté, et l’étroitesse d’esprit sur la largesse du cœur.
Aussi, pouvons-nous comprendre ce beau conseil que Rav Dessler donnait aux couples qui le consultaient (Mikhtav Mééliahou, discours sur la bonté) : « Soyez vigilants, mes chers amis, pour garder vivant en vous ce grand désir de donner plénitude et bonheur l’un à l’autre. Car sachez bien qu’au moment où vous commencerez à avoir des exigences l’un envers l’autre, votre bonheur ne sera plus qu’un souvenir… »