La Haftara de cette semaine est très riche, et il est possible de dégager plusieurs thématiques porteuses d’enseignements profonds et ayant une résonance moderne.
Tout d’abord, la décision prise par Josué d’envoyer des explorateurs ne peut laisser indifférent tant elle rappelle l’expédition malheureuse des explorateurs envoyés par Moché Rabbénou. Pourtant, à la différence de celle-ci, la mission initiée par Josué fut couronnée de succès et évita les écueils dans lesquels étaient tombés les premiers explorateurs.
Des différences factuelles peuvent expliquer en partie ces résultats divergents : le nombre d’explorateurs était plus réduit à l’époque de Josué, deux au lieu de douze. En outre, les personnalités des explorateurs étaient exceptionnelles, il s’agissait de Pin’has qui s’était illustré par son engagement zélé et absolu pour Hachem d’une part, et Calev ben Yéfouné d’autre part, qui avait déjà participé à la précédente exploration mais qui ne s’était pas joint au complot des dix autres explorateurs.
Un Midrach nous enseigne : « On ne trouve pas de meilleurs envoyés pour faire une Mistva, qui se sont investis pour réussir leur mission, que ceux envoyés par Yéhochoua, fils de Noun. »
Il faut toutefois rappeler que leurs prédécesseurs, envoyés par Moché 40 ans plus tôt, étaient également des personnalités de renom, des chefs de tribu, des hommes « intègres », nous disent nos Sages… avant qu’ils ne partent. Mais, comme toujours, la vertu ne se mesure pas a priori, elle n’est pas un blanc-seing qui accompagne l’homme en toute circonstance. La vertu d’un homme est appréciée à chaque instant en fonction de ses choix et de ses actes, elle est une évaluation de chaque instant.
Ce qui rend les explorateurs de Josué exceptionnels, c’est précisément leur constance dans leur service divin, leur fidélité à Hachem tout au long de leur vie. Ils n’étaient pas, a priori, exceptionnels, ils ont démontré leurs qualités par leur dévouement, leur sagesse, et leur foi. Les explorateurs de Moché étaient également, avant leur départ, des hommes de grande vertu, mais ils n’ont pas réussi à maintenir cette sagesse, ils se sont égarés par des raisonnements fallacieux qui ont provoqué les conséquences dramatiques que l’on connaît.
Le Roi David disait : « Achré Adam Méfa’hed Tamid » (Heureux l’homme qui est toujours dans la crainte), qui peut être interprété de la manière suivante : « Heureux l’homme qui a toujours des scrupules ». Un tel individu sait questionner ses choix, ses pensées, ses décisions, il essaie de dépasser ses premières impulsions pour percevoir s’il ne risque pas de fauter. Il n’est pas repu de sa prétendue « sagesse », il essaie de la mériter à chaque instant.
Pour compléter le portrait des explorateurs envoyés par Josué, ce n’est pas un hasard si le texte nous indique qu’ils ont résidé chez Ra’hav, qui était qualifiée à l’époque de « Zona », traduit par nos Sages soit par « prostituée », soit par « aubergiste ». En effet, la thématique des « unions interdites » est le révélateur du degré de raffinement spirituel d’une personne. Bien souvent, le champ lexical de la prostitution est employé métaphoriquement pour désigner l’infidélité des hommes à D.ieu (Rav Rozenberg), et parfois même, leur penchant vers l’idolâtrie, D.ieu nous en préserve. Un des deux explorateurs, Pin’has, est ainsi bien connu pour s’être élevé précédemment contre la dépravation des mœurs et avoir mis fin à des situations inouïes de débauche.
Leur capacité à pouvoir résider auprès d’une prostituée sans ressentir la moindre tentation est le témoignage, de manière symbolique, de leur dévotion totale à Hachem et de leur raffinement spirituel extrême.
Cette force de caractère impose le respect, y compris chez les êtres les plus éloignés de la Torah et des bonnes mœurs. Lorsque la sainteté et la dignité sont incarnées magnifiquement, comme ce fut le cas pour Pin’has et Calev, nul ne peut rester indifférent, y compris Ra’hav. C’est peut-être leur présence et la Kédoucha (sainteté) qu’ils irradièrent dans un lieu de « Touma », d’impureté profonde, qui provoqua un bouleversement radical dans le cœur de Ra’hav. L’histoire nous montre le secours qu’elle apporta aux deux explorateurs, et la promesse qu’elle obtint de leur part de l’épargner elle et sa famille.
Notons que le signe de reconnaissance qu’elle devait afficher est un ruban rouge accroché à sa fenêtre, qui permettrait aux combattants de Josué de la repérer et de l’épargner. Cette méthode n’est pas sans rappeler le signe rouge que les enfants d’Israël durent apposer aux portes de leur maison lorsqu’ils sortirent d’Egypte alors qu’ils avaient atteint un degré d’impureté très bas, ou encore la procédure de purification des personnes « impures » qui doivent se munir notamment de bois, et d’une couleur rouge vive. Il se joue, dans cette mise en scène, à nouveau un processus de purification, d’accession à la Kédoucha d’une future « princesse » d’Israël. De fait, elle épousera, à la demande de D.ieu, Josué lui-même et donnera naissance à de nombreux prophètes d’Israël.
Enfin, nous pouvons noter la présence, de manière constante, dans notre texte du vocabulaire relative à la « porte », au « secret », à la « confidentialité ». Instruits des erreurs de leurs prédécesseurs qui ont fauté par leur discours péjoratif sur la terre d’Israël, Calev et Pin’has s’assignent d’emblée l’objectif de se comporter comme des « muets » (‘Hérèch). Ils demandent également à Ra’hav de garder le silence sur leur pacte.
Notre texte insiste également sur le huis clos, la thématique de la porte fermée. Cela induit naturellement une rupture avec les mœurs d’une auberge, ou d’une maison de débauche ouverte aux quatre vents et à toute sorte d’influence néfaste. Ra’hav devait ainsi apprendre à construire son intériorité, à se recentrer sur l’essentiel, et ne plus exposer sa vie à la contemplation malsaine de l’extérieur.
Rappelons cet enseignement du Talmud : « La bénédiction ne réside que dans ce qui est caché de l’œil ». Il y a une sagesse fondamentale à savoir garder confidentiel ce qui est précieux, ne pas l’exposer, mais le chérir dans le secret de son âme et de son cœur.
En outre, la première étape vers la Kédoucha est précisément d’être capable de bâtir sa propre intériorité, de faire de son foyer une « arche » protégée du vacarme des discours extérieurs, des idéologies importées afin de laisser pénétrer en soi la parole de D.ieu. La porte est le symbole de ce passage de l’intérieur à l’extérieur, de même que les lèvres qui ont fait fauter les premiers explorateurs sont les portes qui nous protègent de la médisance.
Pour se construire, il faut savoir fermer les portes délétères et apprendre à filtrer le bon du mauvais, le pur de l’impur. Une fois que l’homme est construit, qu’il a surmonté ses tentations, il peut s’ouvrir vers l’extérieur, car bien sûr, la Torah ne prône en aucun cas l’enfermement égoïste. Mais il faut être vigilant à respecter les étapes.
Nul ne peut rester insensible au message si fort de notre Haftara. Nous y trouvons l’éloge des hommes vertueux qui ont su dompter leurs mauvaises inclinaisons, mais aussi une main tendue à ceux qui n’y sont pas parvenus, qui sont enfermés dans des spirales néfastes. A l’image de Ra’hav, aucune fatalité ne les enchaîne à leurs mauvaises passions, ils peuvent s’en extraire à condition de s’ouvrir à la beauté de la Torah, et de savoir cultiver leur beauté intérieure.