L’épisode des explorateurs décrit dans la Paracha Chéla'h Lekha est l’un des plus marquants de la Thora et de nombreux commentateurs se demandent comment de si grands et illustres personnages ont pu commettre une si grave erreur.
Notons parallèlement la volonté d’hommes vertueux de résister à la faute. La Thora nous raconte qu’après avoir envoyé les explorateurs en Erets Israël, Moché modifia le nom de son fervent disciple, Hochéa, en lui rajoutant la lettre « youd », et le nomma Yéhochoua[1].Rachi explique que Moché pria pour que Yéhochoua ne soit pas influencé par l’initiative des méraglim – sa tefila se manifesta par l’ajout du youd à son nom. Quelques versets plus loin, la Thora fait allusion au fait qu’encore en Erets Israël, un autre espion, Kalev, s’écarta du groupe et alla à ‘Hevron pour prier d’être protégé des dangers de ce même projet.[2]
Le Ben Ich ‘Haï[3] et le Maskil Ledavid[4] notent que ces prières semblent contredire un axiome bien connu, selon lequel « Tout est entre les mains du Ciel, excepté la crainte du Ciel ». Cela signifie que la seule chose qui est entièrement laissée à l’homme est le choix entre le bien et le mal, le vrai et le faux. Le fait de prier pour les choses qui sont au-delà de notre contrôle, comme la santé ou la parnassa (subsistance), est certainement très bénéfique, car elles dépendent exclusivement de la Providence Divine.
En revanche, prier pour ne pas commettre de faute peut sembler inutile, parce que nos fautes ne sont pas prévues à l’avance – ceci est entre nos mains. Par conséquent, il est très difficile de comprendre pourquoi Moché pria pour Yéhochoua et pourquoi Kalev implora D. pour lui-même – cela ne dépendait pas d’Hachem, mais de leur libre arbitre !
Le Ben Ich ‘Haï explique qu’il y a deux éléments qui peuvent conduire à une faute. Soit on sait pertinemment que l’acte en question est interdit, mais on décide de le faire malgré tout. Soit le yétser hara fausse le jugement de l’individu en le persuadant que l’acte est permis, et le laissant penser qu’il ne fait rien de mal.
Quand on dit que la crainte du Ciel est entièrement entre les mains de l’homme, cela ne s’applique qu’à la première catégorie énoncée, quand la personne sait qu’il lui est interdit d’agir ainsi. Dans ce cas, il ne sert à rien de prier pour qu’Hachem l’empêche de fauter ; c’est entre ses mains et Hachem ne peut pas, pour ainsi dire, modifier sa décision, son libre arbitre.
Mais ce n’est pas le cas de la deuxième forme de nissayon, quand la personne croit sincèrement qu’elle agit correctement. C’est principalement le manque de clarté quant à la marche à suivre qui l’incite à mal se comporter. Cela ne dépend pas réellement de son libre arbitre.
Quand une personne veut bien agir, mais risque d’être séduite par son yétser hara, elle peut se tourner vers Hachem et Lui demander de l’aider à ne pas être perturbée par les raisonnements de ce penchant. Il est donc utile de prier dans de telles situations.
Yéhochoua et Kalev durent affronter le deuxième type de nissayon, la tefila pouvait alors aider. Les méraglim étaient des hommes vertueux et n’ont pas délibérément parlé négativement de la Terre, sans justifier leur comportement.
Le Ben Ich ‘Haï propose une nouvelle interprétation concernant leurs motivations ; ils pensaient que s’ils parlaient au peuple juif de la prospérité d’Erets Israël, il y entrerait avec des idées malsaines de gain matériel, et non par désir de respecter les commandements d’Hachem. Par conséquent, ils décidèrent de décrire défavorablement la Terre, avec l’espoir que leurs frères voudraient néanmoins y entrer, lechem chamaïm (« pour le Ciel ») et, ainsi, recevoir une récompense bien plus importante.
Mais en réalité, leur raisonnement n’était que le résultat du yétser hara qui voulait empêcher le peuple juif d’entrer en Terre Sainte, ce qui se produisit effectivement. Moché pria pour que Yéhochoua soit épargné de tels raisonnements[5] ! Aussi, Kalev pria Hachem de ne pas tomber dans les griffes du yétser hara.
Il est apparemment bien plus difficile de s’abstenir de faire une faute quand on pense agir correctement que d’éviter la faute quand elle apparaît clairement comme un acte mauvais. Le Néfech Ha’Haïm écrit que le fait de ne pas savoir si l’on accomplit une mitsva ou une avéra provient de la faute d’Adam Harichon.
Avant la faute, il savait parfaitement ce qui était bien et ce qui était mal, commettre une avéra était à ses yeux aussi nuisible que mettre sa main au feu. Quand il consomma du fruit de l’arbre de la Connaissance, il introduit en lui-même une confusion entre le bien et le mal. Il perdit alors cette clarté et cette conscience quant à la nature du mal, au point que de nos jours, quand quelqu’un commet le même péché à deux reprises, cette action devient permise à ses yeux. Rav Israël Salanter ajoutait même qu’à partir de la troisième fois, elle apparaît comme une mitsva !
Nous apprenons de l’explication du Ben Ich ‘Haï, concernant le risque d’être piégé par le yétser hara, que la tefila est très bénéfique, elle est une arme indispensable. Le yétser hara tente constamment de nous tromper et nous devons rester vigilants pour ne pas être pris au piège. La clé pour ne pas se laisser duper est, outre un ‘hechbon hanéfech (introspection) régulier, la prière qu’Hachem nous aide à ouvrir les yeux et qu’Il nous permette de suivre la vraie voie de Son Service.
[1] Parachat Chela’h Lekha, Bamidbar, 13:16.
[2] Rachi, 13:22.
[3] Ben Yéhoyada, Sota, 34b.
[4] Chela’h Lekha ibid. Il s’agit d’un important commentateur sur Rachi.
[5] Il existe plusieurs autres explications quant au raisonnement des explorateurs qui parlèrent de manière négative de la Terre (voir Ramban et Sfat Emeth), mais il semble clair que quel que fût leur raisonnement, ils justifièrent d’une manière ou d’une autre leur action et pensaient ne pas avoir commis d’avéra.