David Hockney, né en Angleterre en 1937, va devenir le peintre contemporain le plus influent de notre siècle. Et le plus cher. En 2018 il bat tout les records en vendant une toile à 90 millions de dollars (!!!). Du jamais vu du vivant d’un artiste.
Mais étonnamment Hockney n’engraisse pas, ne se sclérose pas, ne se répète pas et son art reste sa première et seule occupation. Il continue à vivre de façon relativement simple, proportionnellement à ses faramineuses entrées, habité principalement par le bonheur d’exercer son talent.
Il y a dans son œuvre un plaisir de peindre et de vivre évident, un émerveillement constant devant ses modèles, que se soit un paysage de Yorkshire, une villa en Californie ou la verdoyante campagne normande, dans laquelle il s’est retiré pendant le confinement. Débutant dans les années soixante avec le mouvement Pop Art, il trouve au fil des années sa « façon » à lui. Restant toujours figuratif, il fait poser indifféremment bouquets de fleurs et personnages, captant leur essence, et traduisant en couleurs éclatantes, via ses pinceaux, leur beauté plastique. Un costume, le turquoise d’une piscine, un arbre en fleur, sont à travers le filtre de son regard puis de sa main, une invitation au plaisir de voir, sens si galvaudé depuis l’ère de l’iPhone.
Il dit que son talent est uniquement celui de savoir observer, longuement, patiemment, et de transposer ensuite son émotion sur une toile. Il nous fait ainsi plonger dans la fraîcheur de ses piscines aux reflets bleutés, et en un instant, c’est toute la Dolce Vita californienne qui nous éclabousse.
Sa biographie est sans grande importance ; par contre, sa démarche d’artiste l’est au plus haut point, car Hockney ne cesse de nous fait découvrir combien le monde est beau. Même dans ses croquis en noir et blanc il fait entrer la lumière, racontant une nature éblouie s’éveillant sous le soleil matinal. C’est un régal.
Apprivoisant la lumière, derrière chaque vibration de feuilles, chaque explosion de bourgeon, chaque souffle d’air, il dit que lorsqu’il dessine, il a à nouveau 30 ans.
Peintre du printemps, esthète par excellence, dont la recherche n’est ni philosophique ni théologique, et ne résonne a priori avec rien de juif, qu’a-t-il donc à nous apprendre ?
S’il-te-plaît dessine-moi un artiste
Un artiste est celui qui est sensé nous montrer une réalité oubliée, évanouie derrière le frottement du temps, et que nous peinons désormais à voir à cause de la routine ou de l’habitude ; comme un optométriste qui ajusterait à un myope des petits monocles en verre de différentes tailles pour corriger sa vision, il nous ouvre les yeux pour voir à nouveau juste. Une piscine, un paysage, une fleur, c’est si banal. Mais des personnes comme Hockney savent retranscrire ces objets à leur façon, et nous les faire redécouvrir, sous un autre jour, étonnant, imprévisible. Jamais blasé, un véritable artiste est sans cesse surpris, curieux, ravi, restant jeune et nous rajeunissant : ce savoir-faire, en effet, vaut des millions.
Eloul revient
À l’approche des fêtes qui viennent et reviennent chaque année, chaque 365 jours, chaque 52 semaines, un sentiment de « déjà vu » peut nous étreindre. La même prière, la même synagogue, les mêmes rites ? La préparation aux fêtes, les cours et les discours se répètent, risquant de nous figer dans des notions théoriques, cérébrales, alors qu’on aimerait tant vivre les choses avec la fraîcheur de nos sens.
Pour ceux nés dans la religion - et si les choses ont été bien vécues -, ces jours sont attendus et font écho à un vécu lié aux fêtes depuis l’enfance. La difficulté sera alors pour eux, puisque le cérémonial est évident, de ne pas tomber dans l’habitude.
Pour les nouveaux venus, les émigrants au pays du judaïsme, avec encore en main leurs vieilles valises, les choses sont différentes. Certains, dans un premier temps, pleins de bonne volonté, croient devoir jouer la partition « comme les autres », voulant oublier qui ils sont et d’où ils viennent. Cette attitude qui est un emprunt, ne fait écho à rien en eux, les confortant seulement dans un « religieusement correct ». Cela peut être une première étape, mais il faudra tendre tôt ou tard à oser jouer son propre morceau, en réintégrant les éléments de celui que nous fûmes.
En tous les cas, pratiquant depuis toujours ou Ba'al Téchouva, celui qui voudra insérer à son 'Avodat Hachem une joie véritable, devra le faire à la façon d’un artiste. Et sur ce point, Monsieur Hockney peut nous en apprendre beaucoup.
Fidèle à soi
Tout d’abord, oser être entièrement fidèle à soi. Le travail des Middot, le polissage de nos traits de caractère, ne doit surtout pas être compris comme l’écrasement de notre personnalité. Ce serait non seulement grave mais dangereux. C’est sur la base de notre originalité, de notre singularité, de notre histoire voulue ainsi par D.ieu, (selon des desseins divins, dont la clef n’est pas révélée aux vivants) parfaitement à l’écoute de nous-mêmes, de nos limites et de nos possibles, que nous pouvons appréhender correctement les fêtes. C’est bien nous que D.ieu attend, et non pas un acteur, une doublure, qui ne ferait que dresser un écran entre nous et le Très-Haut.
L’aventure du judaïsme est la plus exaltante au monde. Percevoir Sa Proximité, accomplir Sa Volonté, reconnaître Son Omniprésence, sont les délices ultimes que ce monde peut offrir, comme le dit le Ram'hal dans l’introduction de son Messilat Yécharim. Mille fois plus passionnant que celui d’un artiste, ce périple que le Saint Béni Soit-Il nous demande d’entreprendre vers Lui, ne peut sonner creux, être routinier, redondant. Et si c’est ainsi que nous le percevons, c’est que le chemin n’est pas le bon, en tous cas pas pour nous.
Le sentiment d’équilibre, de calme intérieur, de paix avec soi-même, de même que l’acceptation avec sérénité de ce que nous sommes, sont les signes que nous sommes dans la bonne voie.
L’impression de décalage avec soi, générant un malaise, de l'angoisse, sont des symptômes indiquant qu’on est dans la mauvaise.
Hockney serait-il heureux de peindre, et un Juif triste de servir D.ieu ?
C’est impossible.
Il faut faire naître sous nos doigts une image complètement personnelle de ces précieux jours, comme un peintre devant un paysage qui, fébrile, tremblant de joie, saisit ses pinceaux pour commencer son dessin, sans intellectualisation, mais avec le plaisir concret et simple de créer, de mélanger les couleurs.
Hockney, comme tout véritable artiste, n’essaye jamais de peindre « joliment », de faire de l’effet. Si c’était le cas, les spécialistes d’art qui évaluent ses toiles n’en donneraient pas cher.
David Hockney, infatigable, d’une extrême vitalité, porté par une énergie créative sans cesse renouvelée, peint comme Hockney et comme personne d’autre.
Et c’est ça qui est si beau.