Le vote de confiance par la Knesset au nouveau gouvernement israélien se déroule aujourd’hui, ce dimanche 13 juin. Dans quelle mesure cette nouvelle coalition menace-t-elle la pratique juive véritable ?
La coalition gouvernementale qui est parvenue à s’accorder entre elle semble relever d’un système d’équation à huit inconnues, soit le nombre de partis tellement hétéroclites engagés ensemble dans cette entente insolite pour gouverner Israël. Partis de droite traditionnelle ; conservatrice ; laïciste ; opposé frontalement au judaïsme authentique ; islamiste ; de gauche… Ce patchwork partisan hautement improbable doit encore passer aujourd’hui, ce dimanche, le vote de la Knesset, le Parlement israélien. Certains considèrent ce vote comme un simple enregistrement, d’autres comme un possible effondrement de cette alliance, en raison d’hypothétiques défections de dernière minute dans le camp de la droite nationale, encore soucieuse d’un minimum de pérennité du judaïsme traditionnel.
Pour pouvoir gouverner, le jeu de belote contrée a été serré, et seul le scrutin électoral (trop ?) proportionnel israélien en détient le secret. Il inclut des tractations et les fameux accords formulés souvent sur le ton de la négociation commerciale « Je rentre dans la coalition à condition que… ».
Il s’avère que l’un des coalisés, le chef du parti Israël Béitenou (Israël notre maison) Avigdor Liberman, s’est lancé depuis quelques temps dans une lutte sans merci contre les racines juives du pays, promettant, je cite dans le texte, de « renvoyer [le monde juif orthodoxe] dans les poubelles de l’Histoire, ils doivent aujourd’hui appartenir à l’Histoire […] Ecoutez-moi : nous allons envoyer les ‘Haredim sur une brouette, direction la décharge ». Cet ancien videur de boîte de nuit n’en est pas à son coup d’essai en matière de propos orduriers : lui qui pactise aujourd’hui avec Mansour Abbas, le leader du parti islamiste Raam, proposait pourtant en février 2003, alors à la tête du ministère des transports : « Je propose de transporter [les prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes] en autocars jusqu’à la mer Morte pour les noyer », ou il y a 5 ans, de « décapiter à la hache » les arabes israéliens infidèles à Israël… La soif du pouvoir n’a pas de limites.
Transports le Chabbath, mariage civil, département de la Réforme…
A la lecture de ces lignes glaçantes, on ne peut que s’interroger sur la liste des doléances de ce candidat volage. Et les accords conclus sont encore plus carabinés. Ce sont un ensemble de lois antireligieuses qu’Avigdor Liberman prévoit sans aucun ménagement :
- instauration du mariage civil sans passage devant le grand-rabbinat israélien risquant, à D.ieu ne plaise, d’entraîner une profanation des lois du mariage juif et pire, s’il en est, de vagues de mariages mixtes ;
- mise en place des transports publics le Chabbath risquant de provoquer une profanation institutionnalisée du Chabbath Kodech et de créer un appel d’air pour nos sœurs et frères éloignés de la pratique, ou ceux tentant de s’en rapprocher ;
- création d’un département de la réforme (vous avez bien lu) au sein du ministère de la diaspora, qui accorderait aux mouvements réformés un budget substantiel, risquant de déraciner le judaïsme authentique ;
- obligation pour tous les étudiants d’apprendre les matières scolaires basiques, sous-entendu une diminution des heures d’étude religieuse dans les Talmudé Torah et les écoles religieuses pour davantage de matières profanes, qui sont enseignées généralement en Yéchiva Ketana, en école secondaire d’étude de la Torah pour le public juif orthodoxe ;
- création d’un grand espace de prière mixte au Kotel, l’endroit actuellement le plus saint du judaïsme, répondant aux appels d’une infime minorité, de la pression sonnante et trébuchante de petits groupes réformistes américains, en opposition frontale à la loi juive éternelle ;
- proposition d’un ensemble de lois visant à limiter le pouvoir des Rabbanout nationales et locales s’agissant des questions de Cacheroute et de conversion, risquant là-aussi de réformer sans concession des pratiques plurimillénaires, gages de la pérennité du peuple juif ;
- conscription unilatérale de tout le public orthodoxe à l’armée, sans aucune prise en compte des demandes des partis religieux sur certains cas d’exemption, ou d’adaptation minimale des bases militaires (campements clairement séparés, étude de la Torah plus présente…).
Malgré tout, deux facteurs politiques peuvent oblitérer ce programme très inquiétant. Le premier, une clause stipule que le premier ministre et son suppléant auront des droits de veto mutuels sur les questions de religion et d’Etat. Le second est le fait que cet embrouillamini de partis va se faire s’enchevêtrer des mesures contradictoires, empêchant de facto leur mise en œuvre effective.
Même le parti d’extrême-gauche Meretz, peu connu pour ses accointances avec les partis religieux et très engagé sur la laïcisation à outrance du pays, ne s’y trompe pas. Le directeur général du parti, Ouri Zaki a estimé que le nouveau gouvernement sera mis à l’épreuve sur sa capacité à maintenir les droits du public ‘Harédi, critiquant au passage Avigdor Liberman pour sa volonté prioritaire de porter atteinte à ces droits.
Déchirer le Ciel pour sauver le judaïsme
D’éminents Rabbanim voient cette nouvelle coalition comme une menace fondamentale pour le judaïsme. Ils ont décrété mercredi 9 juin, Erev Roch ‘Hodech Tamouz, des lectures de Seli’hot – les supplications – et de Téhilim. « Voici que les ténèbres couvrent la terre et c’est un temps de détresse pour Yaakov », ont-ils écrit dans une lettre ouverte. « Leur entière intention est de déraciner la Torah et le judaïsme du peuple juif et de la terre d’Israël ».
Le statu quo cher aux pionniers fondateurs de l’Etat juif, David Ben Gourion en tête, implique une juste répartition des efforts matériels et spirituels selon les appétences de chacun. Cette combinaison fait le succès éternel d’Israël. Aujourd’hui, cette coalition pourrait remettre en cause toutes nos alliances, dont celle, biblique, d’Issakhar et Zévouloun. C’est ce que craint Rav Its’hak Zylberstein, grand décisionnaire, Rav du quartier Ramat El’hanan de Bné Brak, qui reçoit des milliers de questions du monde entier et célèbre pour ses ouvrages de questions-réponses A’hat Chaalti. « Ma principale préoccupation est le sort de la nation juive, le sort de nos frères éloignés et perdus, qui sont nos frères, notre chair, et qui n'auront plus le grand privilège de soutenir ceux qui étudient la Torah. Depuis la création de l'État, tous ses résidents qui paient des impôts ont le mérite de soutenir les budgets des Yéchivot et des Collélim. »
Quand une Mitsva est attaquée : quelle relation avons-nous à cette Mitsva ?
Personne n’est dans les comptes d’Hachem. Cependant, il est recommandé à chacun de s’interroger sur les raisons de ce déchaînement politique contre le monde de la Torah, alors que des questions pourtant centrales secouent Israël actuellement : politique sanitaire, plan de relance économique consécutif à la déflagration due au Covid-19, géopolitique internationale vis-à-vis de l’Iran, nouvelles alliances de l’Etat hébreu dans le golfe arabo-persique, gestion des relations américano-israéliennes post Donald Trump avec le nouveau président démocrate Joe Biden, relations avec la population palestinienne et la question de la souveraineté sur la Judée Samarie…
L’une des réflexions que chacun peut se poser à son échelle est de faire son introspection, sans tabou, sur le rapport que nous entretenons avec les Mitsvot en jeu : relations avec son prochain, mariage, Chabbath, Cacheroute, étude de la Torah, respect des lieux saints, financement du monde de la Torah... Si les Mitsvot sont attaquées politiquement, est-ce que, consciemment ou pas, nous n’attaquerions pas nous-mêmes ces saints commandements ? Cette réflexion individuelle et constructive si elle débouche sur des résolutions tangibles ne pourra entraîner que de bons décrets pour tout le ‘Am Israël, avec l’aide d’Hachem.
Concluons ces lignes par la recommandation de Rabbi Eléazar dans le Talmud de Jérusalem : « trois éléments anéantissent les mauvais décrets : la prière, les bonnes œuvres (la charité) et le repentir »[1]…
[1] Talmud de Jérusalem, traité Taanit, deuxième chapitre page 65b