A une époque où l’on a évacué l’idéologie de la vie politique, est-il nécessaire de mentir pour faire une carrière politique ? Les hommes politiques doivent-ils être nécessairement opportunistes pour réussir dans l’arène publique ? Poser la question, c’est déjà presque y répondre ! La Torah nous demande de ne pas mentir, de ne pas écouter des propos calomniateurs et les sages soulignent à plusieurs reprises que l’on ne doit pas exprimer des propos ambigus qui peuvent se faire comprendre d’une façon ou d’une autre. Par ailleurs, est-il possible de s’occuper d’affaires politiques, sans se « salir les mains » ? Le fait même de s’occuper de politique rend-il nécessaire de « mentir » ? Le mensonge, condition obligatoire du combat politique !
La question inverse est aussi aujourd’hui actuelle : on sait que Montesquieu avait, dans l’Esprit des Lois, expliqué que la démocratie est basée sur 3 pouvoirs bien distincts : le pouvoir exécutif – le Gouvernement, le pouvoir législatif – une assemblée élue, et le pouvoir judiciaire (juges nommés par les deux autres pouvoirs). Chaque pouvoir a son rôle dans une démocratie bien organisée : le gouvernement dirige la politique, il est élu par l’Assemblée qui, elle, légifère, et les juges vérifient la validité des lois. Or, aujourd’hui, le pouvoir judiciaire s’arroge souvent des pouvoirs qui ne le concernent pas, et se mêle du pouvoir législatif. Cela déstabilise souvent les évènements politiques.
Une question se pose ici pour le fidèle de la Torah : où situer des problèmes juridiques, des problèmes personnels, des problèmes communautaires, des problèmes éthiques de diverses sortes ? L’être humain est-il qualifié pour répondre à ces questions ? On sait combien les sages discutent de ces diverses situations, en particulier dans le Traité Sanhédrin. Il s’agit toujours de cas dans lesquels les maîtres cherchent à éviter les conséquences les plus fâcheuses. En toute hypothèse, le but est toujours de tenter de trouver une solution encourageante à une situation complexe.
C’est la perspective de la Torah qu’il convient ici de préciser. Dans la finalité de la Création, le but ne peut être que conforme à une proximité avec la Providence, avec l’Infini. Toute autre définition ne peut qu’inclure le créé à la place du Créateur. Et c’est ainsi que doit se traduire – idéalement – le reflet divin dans l’organisation de la société des hommes. Dans l’économie de la Création, on l’a déjà répété plusieurs fois, la possibilité de refuser le message divin est nécessaire pour donner un sens à la liberté de l’être créé. Or refuser l’injonction divine pour affirmer son MOI serait l’échec de l’aventure humaine, échec que l’on ne peut envisager qu’avec effroi. C’est dans cette brèche possible que s’infiltre le menteur en politique pour affirmer son MOI et donner un sens à son existence. C’est la source de toutes les idéologies : le marxisme, sorte de panthéisme moderne, aura été un exemple de cette recherche égoïste. Le matérialisme historique qu’il prône, fondé sur un athéisme formel, libère, en fait, l’homme de toute contrainte. Dans l’Histoire, de nombreux chefs fascistes – Mussolini en fut un exemple – ont commencé leur carrière dans le camp de la gauche !! L’essentiel, ainsi et ici, n’est plus le désir de construire un monde meilleur, mais d’affirmer la présence du MOI. Staline, dans sa cruauté tyrannique, préparait-il un monde égalitaire ? Un homme politique aujourd’hui ne craint pas de changer d’idéologie car ce qui importe, ce n’est pas seulement l’ambition personnelle – qui a sa part bien sûr – mais c’est surtout le désir d’ETRE, d’exalter son MOI, et donc de trouver une excuse idéologique, non un prétexte, à sa mauvaise foi, à son mensonge. Le même procédé est le fait du « judiciaire » intervenant dans le « législatif » ! Chacun veut apparemment « défendre » la « démocratie », mais la réalité est qu’il est question, dans tous les cas, de donner « force de loi » à des « intérêts humains », c’est-à-dire « subjectifs ». Ainsi doit-on « comprendre », non « excuser » les mensonges, les virevoltes des diverses personnalités politiques. A leurs yeux, ce n’est pas un mensonge, mais un « intérêt » différent, c’est-à-dire un autre noyau pour exalter le MOI.
La Torah ne peut accepter une telle attitude. La Parole de D.ieu ne saurait être que la Vérité absolue. Les sages disent que même si, dans certains cas, la législation laïque était la même que la législation de la Torah, il serait interdit de se rendre au Tribunal civil, car aller au Tribunal, c’est rendre hommage au législateur ! Seule la Torah, source de la vérité divine, peut nous lier à la divinité. Loi humaine, c’est par essence, loi relative, donc éphémère et elle ne peut se mesurer à l’Absolu. Pourrait-on presque dire – sans ironie ! – que le mensonge est l’être de la loi humaine, et que s’y référer, c’est en définitive une négation de la Torah. Le philosophe Levinas a souligné dans son livre « Difficile liberté combien la Loi ne saurait se limiter à la « fantaisie humaine fondée sur un bouillonnement subjectif de forces, de passions et d’imagination… (Elle) comporte la raison et l’humour des Talmudistes, les certitudes bouleversantes des Prophètes, la confiance virile des Psaumes… L’ordre éthique n’est pas une préparation mais l’accession même à la Divinité » (Difficile Liberté, p. 139). Loin des calculs politiques, loin des mensonges de l’éphémère. Sachons que ce n’est qu’en effectuant cette relation avec la Révélation du Sinaï que les « mensonges » s’effaceront.