Une chronique récente du « Monde » (15 Novembre 2019) analyse avec inquiétude les maladies de la démocratie en Europe, en précisant que presque tous les gouvernements d’Europe, aujourd’hui, ne sont pas stables, et ne sont soutenus que par une minorité de députés. A tous ces pays, il serait facile d’ajouter Israël qui se prépare à de 3èmes élections législatives en moins d’un an, pour n’avoir pas pu dégager une majorité à la Knesset.
Cette maladie de la démocratie, significative d’une époque vidée d’idéal, inspire des réflexions, qui doivent nous amener à comprendre le devenir de l’Histoire. Trois facteurs différents peuvent expliquer ce phénomène, inquiétant s’il risque d’ouvrir la voie à des dictatures nationalistes comme, par exemple, en Espagne ou en Italie, où les mouvements de droite exercent une influence grandissante. En Israël, la situation est différente, mais les raisons sont semblables, du moins apparemment. Les 3 facteurs sont, d’abord, l’absence de personnalité charismatique, et donc chaque chef politique essaye d’affirmer son MOI, aux dépens des autres, et de cette façon la tentation de l’extrémisme apparaît bien vite. Cela se présente ainsi, par exemple, en Hongrie, où le chef du gouvernement semble bien tenter de donner une orientation dictatoriale à son autorité, et ignorer les résultats des élections démocratiques. Il est certain que le facteur psychologique, humain, explique partiellement cette situation. Il n’y a plus aujourd’hui de Churchill ou de De Gaulle, qui dépassaient, par leur personnalité, les autres politiciens.
Cependant, il y a un second facteur, bien plus essentiel, qui explique cette difficulté démocratique. L’absence de toute idéologie – vide intellectuel, vide religieux, perte d’espérance humaine – entraîne le désintérêt de l’être humain pour ce qui le dépasse. Notre contemporain ne cherche pas à construire un avenir, mais se contente de vivre dans l’instant ; il ne s’inscrit pas dans un devenir historique. Ce qui l’intéresse, c’est d’assurer l’existence de sa famille, plus qu’une quelconque idéologie transcendante. Le christianisme ou le marxisme, donnaient une certaine dimension à l’individu, même si c’étaient, selon nous, de fausses voies. Il y avait, dans ces horizons, un besoin de construire. Aujourd’hui, l’idéal se dissout : « métro, boulot, dodo » n’est pas une formule qui encourage l’homme à se dépasser, mais cela traduit clairement l’absence de repère, et convient bien à notre époque. Cette formule explique la désaffection démocratique actuelle. Même les élections, qui souvent suscitaient l’enthousiasme, n’attirent plus tellement les électeurs, et rares sont les scrutins où plus de 50 à 60% participent au vote.
Telle est assurément une raison fondamentale de cette absence d’intérêt pour la « chose publique », qui marque notre époque. Mais il y a encore un autre ordre de valeurs qui déstabilise le monde d’aujourd’hui et qui donnait un sentiment d’appartenance dans les générations précédentes : il n’y a plus de cadre social, la famille se désagrège, l’individualisme triomphe. Autrefois, on se sentait appartenir à un tout, et l’on désirait se sacrifier pour ce tout. La globalisation a détruit le lien avec une collectivité. De même que l’on n’éprouve plus le besoin de construire, l’individu perd son essence dans la foule. Alors ne reste que l’absurde, l’inutile, le vide. Cette troisième perspective complète la deuxième. L’absence de repère mène ici à l’inutilité de la vie. On retrouve ici la réponse d’Essav à son frère qui veut lui acheter son droit d’aînesse : « Pourquoi pas ? De toute façon, je vais mourir. A quoi me sert le droit d’aînesse » (Beréchith 25, 32). Et le texte conclut : « Ainsi, Essav traita par le mépris le droit d’aînesse » (Ibid.). Refus du cadre familial, refus de la vie, ne retrouve-t-on pas la perte du désir d’exister au-delà de l’instant présent ?
N’est-ce pas un peu extrapoler que d’expliquer de la sorte la déficience démocratique, ainsi que l’instabilité politique ? Il faut toujours reconnaître que trop généraliser, c’est souvent effacer les exceptions – et elles existent ! Il suffit de penser aux O.N.G. – ces organisations non gouvernementales – qui essayent d’aider, de façon non officielle, les populations souffrantes. Mais cela relève d’initiatives privées et ne définit guère la réalité globale. En toute hypothèse, la situation générale de l’organisation sociale se définit davantage par un refus, ou même une impossibilité, d’établir des fondations qui permettraient d’envisager le lendemain. Seuls quelques utopistes, comme Ellon Musk, essayent de dépasser le présent pour tenter de « coloniser » « l’espace ». Mais cela reste une utopie irréaliste !
Dans la réalité proprement israélienne, il est significatif que ce soit le parti qui n’a rien d’autre à offrir qu’une aversion pour les tenants du traditionalisme, qui empêche d’aboutir à une solution satisfaisante, et qui donc interdit d’obtenir une majorité. L’opposition à l’égard des seuls vrais idéalistes de notre époque – les étudiants des Yéchivot – est le ciment qui unit ceux qui refusent de reconnaître la pérennité du patrimoine d’Israël. C’est ici – hélas ! – la source réelle de l’impasse actuelle de la démocratie israélienne. Il faut espérer que cette situation s’arrangera rapidement, mais cela signifie – une fois de plus – que ceux qui s’inscrivent ainsi dans un monde sans espoir ne peuvent pas comprendre quelle est la vraie raison de la survie du peuple juif : un attachement indélébile à la foi en une Valeur absolue qui se traduit par la pratique, et l’étude assidue de la Torah.