Comment ne pas aimer ‘Hanouka ? Pour moi, cette année, la fête des lumières rimait plutôt avec de la pâte collante incrustée dans le Kenwood, l’huile de friture qui stagne toute la nuit dans la sauteuse, et les fioles à vider et à remplir jour après jour. Déjà épuisée et surmenée par le quotidien, cela s’annonçait davantage comme une série de tâches supplémentaires à effectuer qu'à un moment de joie…
Pour ne rien arranger, je ne pouvais plus voir mes enfants en peinture. Chaque journée était un spectacle répétitif de disputes, bagarres et cris. J’avais souvent l’impression d’être coincée dans une journée sans fin où le scénario était toujours le même. Qui plus est, dès le lendemain, les enfants seraient en vacances pour trois jours. Il fallait trouver une échappatoire et vite !
Le lendemain matin, la première chose que je vois : les produits que je réservais à une collecte alimentaire depuis des mois, étalés aux quatre coins de la cuisine ! Sans réfléchir, j’ai lancé aux enfants d’un ton décidé : « Mettez-moi tout ça dans un sac ! On part à Jérusalem à la recherche d’une famille qui pourrait en avoir besoin pour ‘Hanouka ! »
Aussitôt dit, aussitôt fait : nous voilà dans le bus, un caddie chargé de courses à nos pieds, les enfants débordant de joie, et moi surprise mais soulagée par cette idée lumineuse de sortie. Maintenant il va falloir user d’improvisation et transmettre le goût de la découverte et de l’aventure sinon c’est l’échec assuré !
Je décide de tout miser sur la Siyata Dichmaya (l’aide du Ciel) : Hachem guidera nos pas et orchestrera cette journée au mieux ! Notre mission commence : trouver une famille nécessiteuse à qui offrir nos victuailles. On demande à l’épicerie du coin, aux femmes que je croise, s’ils connaissent une famille dans le quartier dans le besoin. Aucune réponse positive, tout le monde semble riche d’un coup !
Dès les premières minutes de notre expédition, je remarque une chose étonnante : aucune dispute. Pas de « Maman, il m’a poussé ! » ou de « Pourquoi c’est toujours lui qui décide ? ». À la place, les enfants regardent avec leurs regards pétillants chaque découverte. Je leur montre les ‘Hanoukiot dans des boîtes en verre empilées les unes sur les autres devant des immeubles. On n’en a jamais vu autant réunies en un seul endroit ! Des Yéchivot et des Collelim (centres d’étude de Torah) tous les vingt mètres : « J’étudierai là-bas ! », « Non, moi ici ! », s’exclament mes fils avec enthousiasme. Je n’avais pas à répéter deux fois les choses. Un simple « Regardez là-bas ! » suffisait pour qu’ils se précipitent !
On passe devant une boutique qui vend des articles religieux venus d’un autre temps. Les enfants s’arrêtent longuement devant la vitrine, captivés. Tout est source d’émerveillement pour eux... sauf notre mission, qui patine. En même temps, c’est un peu délicat, je ne vais quand même pas aborder quelqu’un en lui demandant « Excuse-moi, tu es pauvre ? ».
Soudain, on arrive près d’un vieil immeuble à moitié en ruines. Je prends un air très assuré et murmure aux enfants : « C’est ici, au premier étage, surtout ne faites aucun bruit, ils ne doivent pas nous entendre ». On entre tels des agents secrets, je choisis une porte au hasard devant laquelle déposer les sacs, et nous accomplissons notre mission de ‘Hessed avec brio. Les enfants sortent de l’immeuble en courant pour ne pas se faire repérer, leur cœur bat à tout rompre !
Après avoir mangé une pizza, je demande aux enfants : « Vous croyez qu’ils vont être contents ? » Leurs regards s'éclairent et on discute ensemble de la Mitsva de « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Pour une fois, ils sont d’accord sur tout, et moi, je savoure chaque instant de cette paix inhabituelle.
Sur le chemin du retour, je réalise avec un pincement au cœur combien je passe à côté de moments précieux avec eux, trop absorbée par la gestion du quotidien. Mais mes pensées sont vite chassées par les enfants qui repassent en revue tout ce qu’ils viennent de voir, les yeux brillants. Et je me laisse emporter par leur énergie joyeuse.
Ok, on n’a pas conquis l’Everest, mais cette petite aventure, je suis sûre qu’ils s’en rappelleront longtemps. Je suis contente d’avoir réussi à la rendre passionnante et à faire en sorte qu’ils aient tant à cœur de faire du ‘Hessed (des actes de bonté).
De retour à la maison, mon mari allume les bougies. Je prie plus intensément que d’habitude, pleine de reconnaissance envers Hachem pour cette belle journée. Je regarde les enfants avec un regard neuf, je suis si fière d’eux, je les aime tant !
Ce petit geste de sortir de ma routine m’a donné une énergie nouvelle. J’ai pu troquer ma casquette de policière contre celle de chef d’expédition, c’était bien plus agréable ! J’avais vraiment besoin de m’extraire de ce cocktail explosif de disputes, bagarres et crises de colère. Même si je n’ai aucun doute que demain, ils seront de retour sur le ring !
Mais ce n’est pas grave, je prends la décision de ne plus en arriver à un tel ras le bol pour avoir ce genre d’initiative. À partir de maintenant, je vais semer un peu plus de lumière dans notre quotidien avec des petites choses simples pour entretenir cette complicité retrouvée.
Finalement, je suis bien contente que ce soit ‘Hanouka. En regardant les bougies, je ressens leur Kédoucha (sainteté) et je me reconnecte à l'essence de la fête. L’huile de friture pourra attendre cette année, j’opte pour les beignets achetés et les parties de Monopoly qui n’en finissent plus !
Batya Berdugo