Ma chérie, n’oublie pas notre rendez-vous devant le magasin Le Royaume des Bébés sur les champs-elysées, tout à l’heure.

Oui, j’étais en train de me mettre en route ! Je pars du bureau dans quelques minutes, on se retrouve là-bas !

Benjamin et moi avons rendez-vous pour une après-midi qui s’annonce très excitante ! Au programme : l’achat de tout ce que nous avons besoin pour notre bébé qui doit naître dans quelques mois ! J’avais demandé à ‘Hanna s’il était permis de faire des achats alors que notre bébé n’était pas encore né. Est-ce que ça n'allait pas « attirer pas le mauvais oeil », comme le redoutait la mère de Benjamin ?

- Le plus important pour ton bébé à naître est d’avoir une maman joyeuse, sereine et positive ! Si le fait de posséder déjà chez toi tout le matériel nécessaire à sa venue au monde te rassure, alors c’est ce qu’il faut faire !

- Il ne faut pas confondre mauvais oeil et superstition ! Le mauvais oeil existe dans notre Torah, mais c’est tout à fait différent de ce que les gens entendent communément. Certains croient qu’il faut se priver pour ne pas attirer le mauvais oeil. Ce n’est pas qu’il faut se priver ! En fait, il faut préserver les autres personnes, qui n’ont pas encore goûté au bonheur que tu vis actuellement, d’un éventuel sentiment de jalousie qu’ils pourraient avoir, malgré eux...

- Par exemple, disons que tu achètes un petit ensemble adorable pour ton bébé. Il ne vaut mieux pas pour toi d’aller le montrer à tes amies qui ne sont pas tombées enceinte à la même vitesse que toi. Ou même à celles qui n’ont pas encore goûté la joie d’être mariée... Car même si elles t’aiment beaucoup et sont heureuses pour toi, tu peux leur provoquer de la peine. Et cette peine peut s’avérer préjudiciable pour toi, car la peine d’une personne n’est jamais sans conséquence... Tu comprends Emma ?

- Ah, je n’avais jamais envisagé les choses sous cet angle là… Tout ce que tu dis est logique et plein de bon sens. Rien à voir avec les remarques superstitieuses auxquelles j’ai eu droit !

Me voilà arrivée devant le magasin et Benjamin m’attendait depuis un petit bout de temps : comme d’habitude, je suis en retard et lui est en avance !

Après avoir passé le seuil du magasin, une vendeuse s’approche de nous et nous demande :

- En quoi puis-je vous aider ?

- Eh bien voilà, nous voudrions acheter tout ce qui est indispensable pour l’arrivée de notre bébé, dis-je.

Et là, Benjamin écarquille grand ses yeux quand il me voit sortir un dossier de mon sac.

- Voilà, j’ai questionné toutes mes amies, et j’ai fait une liste de tout ce qui est indispensable : la poussette avec protège-pluie intégré, le porte-bébé, le sac à langer avec un tapis molletonné pour changer les couches, le tapis d'éveil, le lit à barreaux - avec son mobile intégré bien sûr - et son matelas avec tissu respirable, le lit parapluie, la commode, la grenouillère, le chauffe-lingettes, le chauffe-biberon, les biberons bien entendu, avec le goupillon adapté, les tétines, le transat, la baignoire, le tire-lait au cas où je n’arrive pas à allaiter, la gigoteuse, la crème pour les fesses rouges, le parc sécurisé, le babyphone, les moufles, le mouche-bébé...

Benjamin m’interrompt :

- Quoi ?! Je ne comprends rien ! De quoi parles-tu ? Comment un parapluie va-t-il servir de lit à notre fils ? Un transat ça sert à quoi ? Il ne va pas bronzer au soleil mon fils, les UV c’est bien trop dangereux pour son âge ! Et c’est quoi cette histoire de fesses rouges ? Ils ont vu à l’échographie la couleur de ses fesses ? Et de téléphone pour bébé ? Il est beaucoup trop jeune pour avoir un téléphone ! Et des moufles ? Tu veux l’emmener au ski déjà à son âge ?

J’ai qu’une seule envie : c’est d’exploser de rire ! Mais pour ne pas le mettre mal à l’aise devant la vendeuse ahurie, j'étouffe mon fou rire et je lui explique l’utilité des choses une à une…

Et là, il pose la question qui tue :

- Madame, vous estimez à combien l’ensemble de nos achats aujourd’hui ?

- Oh, il faudra compter au moins 3500 euros pour avoir tout ce matériel indispensable au bien-être de votre enfant, dit-elle sur un ton légèrement culpabilisateur.

Gloups… Benjamin fait une mine renfrognée et se joint à la vendeuse et moi dans les rayons du magasins. Il prend un air un peu paniqué devant la liste de commande qui s’allonge et le caddy qui se remplit, puis nous arrivons au rayon poussette.

De nouveau, je sors mon gros dossier et je dis à la vendeuse d’un air déterminé.

- Alors, sachez que j’ai fait une étude comparative sur l’ensemble des poussettes en vente en Europe et je suis arrivée à la conclusion que la meilleure, et la plus adaptée à nos besoins est la BOOGIE WOOGIE BUGGLE BOY.

- Vous avez parfaitement raison, me répondit la vendeuse, c’est la plus FAN-TAS-TIQUE sur le marché ! Elle vaut bien ses 1500 euros…

- Hum, hum, comment ça 1500 euros, je ne comprends pas, demande Benjamin.

- Oh, dit-elle avec une certaine flegme, lorsque je vous ai annoncé un budget de 3500 euros tout à l’heure, c’était bien sûr sans prendre en compte le prix de la poussette !

Ni une, ni deux, je vois Benjamin tout en sueur qui est à deux doigts de s’évanouir. Alors qu’il reprend ses esprits, il me dit :

- Ma chérie, prenons cette petite poussette toute simple à 80 euros, un biberon et une tétine, et je suis sûr que notre fils sera très heureux ! Maintenant, partons d’ici, je commence sérieusement à avoir des sueurs froides !

- Quoi ? Tu veux faire des économies sur le compte de notre fils ? De son confort ? De son bonheur ? L’argent est plus important que la joie de vivre de ton fils ? Mais quel père égo...

Et avant que la syllabe « ïste » ne sorte de ma bouche, je m’empresse de sortir du magasin pour me calmer et appeler ‘Hanna.

- ‘Hanna, j’ai épousé un radin !

- Oh, c’est un vilain trait de caractère ! Mais attends un peu avant de traiter ton mari de radin… Tu sais comment on dit “trait de caractère” en hébreu ? “Midda”. Midda signifie aussi mesure. C’est-à-dire que la Torah considère que les défauts n’existent pas dans la vie : en fait, un défaut est toujours une qualité exagérément prononcée. Par exemple, tu dis que ton mari est radin, moi je dirais qu’il est exagérément économe !

Et ça marche avec tous les défauts… Quelqu’un de très impulsif, par exemple, est une personne exagérément affirmée et décidée ! Quelqu’un de maniaque est une personne exagérément ordonnée ! Quelqu’un de susceptible est une personne exagérément émotive ! Tu peux t’amuser à ça avec tous les défauts qui existent sur terre...

D’ailleurs Emma, j’ai une question à te poser : est-ce que par hasard tu ne serais pas au contraire… trop dépensière ?

- Euh, oui… c’est vrai que c’est un défaut qu’on me reproche souvent. Mais comment l’as-tu deviné ?

- C’est simple. La Torah explique que c’est Hachem qui assemble les couples. Cela veut-il dire que les conjoints se ressemblent ? Pas du tout ! Cela veut dire qu’ils s’assemblent. Souvent, l’homme et la femme auront des qualités opposées complètement. Et l’interaction entre les deux va vous pousser à arranger vos défauts mutuels en faisant un rééquilibrage. A chaque fois que vous ferez un pas vers l’autre, vous aurez tendance à vous améliorer. C’est formidable, n’est-ce pas ?

- Euh, oui, formidable, on peut voir ça comme ça… D’ailleurs oui, c’est vrai, moi je suis toujours en retard et lui toujours en avance… !

- Eh bien, grâce à lui, tu vas apprendre la ponctualité, et grâce à toi, il apprendra la patience… c’est ça le rééquilibrage. Du coup, souviens-toi toujours que derrière un défaut se cache une montagne de qualités. Je suis sûre que le fait que ton mari soit économe est quelque chose de très bénéfique à bien des égards, n’est-ce pas ?

- Oui, c’est vrai qu’il est très prévoyant… Grâce à lui, nous avons presque fini de mettre de l’argent de côté pour pouvoir s’acheter notre petit appartement à nous… Il a même déjà ouvert un compte d'épargne à notre fils qui n’est pas encore né !

- Ah ! Ah ! Ah ! Je n’attendais pas moins de lui. Du coup, une fois que tu as compris ce principe, tu ne pourras jamais mépriser quelque chose chez Benjamin, au contraire, tu ne pourras que l’admirer. Et sache une chose : lorsque tu portes un regard positif sur lui, cela lui donnera l’envie de devenir quelqu’un de meilleur. Et le rééquilibrage se fera de façon la plus naturelle et la plus valorisante qui soit pour lui. Quand tu admires profondément ton mari, alors, évidemment, il ne voudra pas te décevoir…

L’estime que tu lui portes est une force qui le propulse vers le haut !

- Merci ‘Hanna, c’est vrai qu’il est génial. Il est même exagérément génial parfois !

Me sentant plus apaisée, je retournais dans le magasin. Benjamin était assis en train de boire un grand verre d’eau.

- Votre mari était au bord du malaise, mon collègue lui a amené un verre d’eau...

Je m’approchais de lui et lui dis :

- Benjamin, je crois que j’ai un peu exagéré sur la liste… Tout ne me parait pas indispensable. Regardons tous les deux le minimum vital qui semble judicieux d’acheter dès aujourd’hui, et par la suite, nous verrons…

- De mon côté, je pense que tu as raison : je ne dois pas faire des économies sur le compte de mon fils… Si tu penses qu’il faut vraiment investir 1500 euros dans la “boogie machin truc” pour qu’il se promène de façon confortable, je payerai le prix. L'essentiel, c’est qu’il soit heureux ce gosse.

- Tu veux qu'j'te dise Benjamin ? Ce qui le rendra le plus heureux, ce n’est sûrement pas cette “boogie machin truc”, ni un mobile féérique de toutes les couleurs ou un tapis d’éveil interactif, mais c’est d’avoir des parents sereins et qui s’aiment.

Partons de ce magasin, il est encore un peu tôt pour faire des achats, je ne suis qu’au milieu de ma grossesse après tout... Allons plutôt nous promener sur les quais de seine, en direction d’un petit restau sympa… et pas trop cher !

Je me tourne vers la vendeuse :

- Désolée Madame, on vous fait faux bond, mais on doit y aller. On reviendra peut-être un jour. A bientôt, et désolée pour le dérangement.

Eh oui, Benjamin et moi avions bien mieux à faire maintenant que d’acheter des goupillons et un parc pour bébé. Et plutôt que d’acheter un parc, nous allons nous promener au parc….
Nous voilà repartis avec rien dans le caddy, mais tellement dans le coeur. Et c’est sûrement le plus beau cadeau que l’on puisse faire à notre enfant !