“C’est un garçon…”, nous annonce la gynécologue avec un grand sourire. Elle semblait toute fière de pouvoir détecter avec son matériel échographique les mouvements énergiques du petit être qui s’agite dans mon ventre !
Benjamin et moi nous regardons d’un air émerveillé. Wouaw… c’est incroyable de pouvoir savoir cela, dès le 4ème mois de grossesse. Nous avons trop hâte d’annoncer ma grossesse à nos parents !
En effet, jusqu’à présent, nous avons souhaité rester discrets. ‘Hanna m’avait prévenu avant même que je me marie : Les trois premiers mois, la grossesse est encore fragile. Nous n’avons donc pas l’habitude de l’annoncer, même aux plus proches, afin de ne pas créer de déception au cas où malheureusement la grossesse n’aboutit pas...
En sortant donc du cabinet du docteur, nous voilà déjà en train de composer le numéro de la maman de Benjamin. Installés en voiture, nous mettons l’appareil sur ampli :
- Maman, nous avons une bonne nouvelle à t’annoncer : Emma est enceinte !
- Oh… comme je suis heureuse de l’entendre ! J’ai tellement hâte de devenir grand-mère, répondit gaiement la maman de Benjamin.
- Et si tu veux en savoir plus Maman, ce que nous a annoncé la gynécologue ce matin, c’est que c’est un garçon !
- Un garçon ?! Génial ! Chez nous les marocains, on dit : “Réjouis-toi de la naissance d’un garçon, car il vaut plus que dix filles.”
Un peu sidérée par cette phrase, j'étouffe la féministe qui est en moi et je me contente de répondre poliment :
- Je suis contente que la nouvelle vous réjouisse tellement...
Tandis qu’elle me réplique la vraie phrase de belle-mère :
- Enfin Emma ! Tu veux que je ne sois pas contente peut-être ?!
Mchikoubaralikana je l’aime déjà ce gosse ! D’ailleurs Benjamin, c’est formidable je viens de penser que nous allons pouvoir donner le nom de Papi qui nous a quitté l’année dernière, paix à son âme… Vous allez l’appeler Prosper Makhlouf. Ce sera un bel hommage à ton grand-père défunt, n’est-ce pas Benjamin ??
- Euh... oui, oui, bien sûr Maman. Prosper Makhlouf est un très beau prénom en plus…
- Et puis, surtout, ton père sera le Sandak à sa circoncision, n’est-ce pas Benjamin ??
- Euh... oui Maman, on fera tout ce que tu veux.
Benjamin, ne sachant plus quoi dire, raccroche hâtivement, puis fait comme si de rien n’était, en sifflant et regardant dans le vide par la fenêtre, évitant à tout prix mon regard.
- Tu vas me faire croire que tout est normal, après ce que j’ai entendu ?? Tu veux appeler notre fils Prosper Makhlouf ?? Comment n’as-tu pas eu le courage de répondre à ta mère qu’il était invraisemblable de faire une chose pareille ?
- Mais Emma, je ne savais pas quoi lui dire…
- J’ai envie de pleurer à l’idée que ce petit être tout mignon a une grand-mère qui veut lui gâcher la vie.
- Comment ? Tu parles comme ça de ma mère ?!
- Non mais franchement, à ton avis, ça n’est pas vouloir gâcher la vie de son petit-fils que de vouloir qu’il porte un prénom aussi handicapant ??
- Emma, je veux que tu te calmes et que tu reprennes tes esprits, ma mère a ses petites extravagances, mais je ne peux pas accepter que tu parles ainsi d’elle.
Allez, nous sommes arrivés en bas de ton bureau, tu peux descendre. Bonne journée ma chérie et à ce soir. Et Mazal Tov encore pour cette nouvelle, je suis très heureux.
Je n’en reviens pas. C’est vrai que la mère de Benjamin est du genre intimidante, à ne pas laisser trop le choix à son interlocuteur, mais tout de même, Benjamin aurait dû réagir !
Et, en outre, Benjamin me laisse là, plantée en bas de mon bureau, avec comme seul horizon en tête l’idée d’appeler mon fils par un prénom ringard de Papi marocain…
Impossible d’aller au travail dans cet état. Il faut que je me calme.
Quelle est la seule personne qui va pouvoir m’aider à retrouver mon calme ? C’est ‘Hanna bien sûr : sa sagesse, sa douceur n’a pas son pareil parmi tous les êtres que je connaisse.
- Allo ?
- ‘Hanna, c’est Emma. Je voudrais t’annoncer que j’attends un bébé pour février !
- Baroukh Hachem, D.ieu soit loué ! Quelle bonne nouvelle ! Une grande Néchama a été déposée dans ton ventre par Hakadoch Baroukh Hou. C’est magnifique… Ton ventre est comme une maison pour lui où il se développe, s’épanouit et grandit à l’abri des regards, jusqu’à ce qu’il soit entièrement formé pour découvrir le monde et devenir un petit juif servant Hachem dans la Torah, les bonnes actions et la joie.
- Wouaw… Je n’avais jamais entendu d’aussi belles paroles. ‘Hanna je t’avoue que jusqu’à présent j’étais plutôt concentrée sur mes hauts-le-coeur, mes nausées, et mes rendez-vous chez le médecin. A tel point que j’en avais oublié qu’être enceinte pouvait représenter quelque chose de spirituel…
- Comment ça ? Il n’y a rien de plus spirituel au monde que d’être enceinte. Ton ventre est un Beth-Hamikdach, un sanctuaire miniature au sein duquel l’ange d’Hachem lui enseigne la sagesse de la Torah, comme le dit le Talmud : “Le bébé dans les entrailles de sa mère : une flamme est allumée au-dessus de sa tête, et un ange lui enseigne toute la Torah.”
- C’est magnifique. As-tu quelque chose à me recommander particulièrement pendant le temps de ma grossesse ?
- Bien sûr, pendant la grossesse, tu as une mission particulière. Tout d’abord, ménage tes émotions, car son coeur bat à l’unisson avec le tien. Il ressent ce que tu ressens. Il mange ce que tu manges, il boit ce que tu bois, il respire ce que tu respires. Et sais-tu ce que nous dit le Talmud ? Il voit ce que tu vois ! Donc ton comportement doit être empreint de sainteté : veille à ne manger que de la nourriture Cachère, à couvrir ton corps qui est encore plus saint que d’habitude, et de ne pas regarder d’image impudique. Autant te dire que - enceinte - les sorties au cinéma pour regarder les films hollywoodiens sont la dernière des choses à envisager !
- Ah oui ? Je n’avais jamais envisagé les choses sous cet angle-là… Et je voulais te demander une dernière chose…
Je lui raconte alors la conversation avec ma belle-mère ce matin, suivie de la prise de bec avec Benjamin.
- Ah, les belles-mères, rien de plus classique ! Que veux-tu que je te dise, elles ont besoin de se sentir impliquées dans la vie de leurs enfants même après leurs mariages. Quoi de plus naturel ! Alors je vais te donner un conseil magique qui a sauvé plus d’une jeune fille de mauvais rapports avec sa belle-mère : plus tu lui demanderas des conseils, moins elle se mêlera de ta vie !
- Quoi ? C’est aussi simple que ça ?
- Oui, c’est logique. Tu sais, quand une belle-fille ne demande aucun conseil à sa belle-mère, alors la belle-mère se sent dévalorisée, ringarde… alors forcément, elle va trouver, inconsciemment ou non, des moyens de se trouver intéressante. Et c’est là que les frictions commencent… Or, dans la Torah, nous parlons de Ruth : sais-tu comment elle a mérité de devenir l’ancêtre du Messie ? Grâce au comportement affectueux et au dévouement sans égal qu’elle a eu vis-à-vis de sa belle-mère, Naomie. C’est ça qui lui a donné le mérite d’engendrer le Messie et d’accéder à la royauté. Alors… ça vaut le coup d’être sympa avec sa belle-mère, n’est-ce pas Emma ?!
- Ha ! Ha ! Tu me fais bien rire… et tu as bien raison !
En tous cas, merci pour tes conseils, je vais pouvoir monter au bureau sereinement. En plus, depuis que je sais que mon corps est telle une synagogue, je peux te dire que je me sens valorisée et pleine de confiance en moi !
Le soir, sur le conseil de ‘Hanna, j’appelle ma belle-mère.
- Allo belle-maman, c’est Emma. Comment allez-vous ?
- Eh bien, grâce à D.ieu, à l’idée de devenir Mamie, je ne peux qu'aller bien !
Après lui avoir demandé quelques conseils sur comment repriser mes chemisiers et enlever les tâches de la nappe, je sors mon arme secrète :
- Je voulais vous demander quel est le secret pour que votre tchouktchouka soit aussi succulente ?
- Aaaaah… la tchouktchouka, le secret… c’est de mettre deux verres d’huile… et un verre de sucre !
J’ai failli tomber de ma chaise quand elle m'annonce son secret à 3000 calories, mais, me souvenant de ce que m’avait dit ‘Hanna, je me suis reprise. Après tout, mon bébé ressentait les mêmes émotions que moi, donc autant rester sereine.
Puis, tout d’un coup, sans que j’ai besoin de rajouter quoi que ce soit, voici que ma belle-mère reprend le fil de la conversation :
- Comme ça me fait plaisir que tu me demandes des conseils… et puis, je ne savais pas que tu trouvais ma cuisine aussi bonne… ça me fait vraiment plaisir. Tu sais, aujourd’hui, je réfléchissais justement quand j’étais en train de faire la cuisine. Je me disais que peut-être un prénom comme Prosper Makhlouf peut-être un peu… disons... handicapant pour un enfant. Je ne veux pas prendre le risque que sa vie soit quelque peu entaché à cause d’un prénom qui peut sonner rétrograde… En tout cas, faites ce que vous voulez : le prénom, c’est votre choix, et peu importe le choix que vous ferez, je suis persuadée que ça sera le bon… Bonne nuit, ma fille.
Je n’en revenais pas. De toute ma vie, je n’avais jamais vu ma belle-mère changer d’avis… Et là, elle avait fait un volte-face radical vers la voie de la sagesse et de la compréhension mutuelle. Et par dessus le marché, elle m’a appelé “Ma fille”… c’est une grande première !
Et cette fois, les conseils de ‘Hanna me procurent, comme toujours, une sérénité incommensurable.
Je tournai la tête vers le bas, et, pour la première fois, je parlai à mon fils :
Mon petit chéri, tâche de bien apprendre la Torah dans mon ventre, parce que je t’assure, tu ne peux pas imaginer tous les secrets que celle-ci renferme pour avoir une vie meilleure...