J'ai 76 ans aujourd'hui, et m'apprête à célébrer bientôt mon prochain anniversaire. J'habite seul dans un appartement de trois pièces dans un quartier réputé de Bné Brak. Un de mes fils réside à Kiryat Herzog (aux abords de Bné Brak), et mes trois filles dans d'autres villes d'Israël. Mon état de santé n'est pas des plus brillants. J'ai une pression artérielle élevée, un taux de sucre élevé dans le sang, et je souffre parfois de crises d'asthme. Il y a an un an et trois mois, on a installé chez moi un bouton d'alarme. Cette commodité me soulage d'une part, sachant que si quelque chose de grave se produit, je pourrais très rapidement appeler à l'aide, mais il n'a aucune utilité pour soulager ma solitude constante et pesante. S'ajoute au sentiment de solitude le sentiment d'affront qui m'accompagne depuis de longues années.

Je m'explique : mon fils a 11 enfants, des filles et des garçons, qui étudient dans une Yéchiva toute proche de chez moi. Bien qu'ils habitent dans la même ville que moi, ils ne me rendent presque jamais visite.

Mon fils veille à me rendre visite au moins une fois tous les deux jours. Il vient le soir (et me trouve parfois au lit, prêt à dormir pour la nuit), reste environ une demi-heure ou une heure, nous discutons ou étudions, puis il prend congé de moi. Tout ceci est très bien, mais cela ne remplit pas tout le temps de libre dont je dispose pendant toute la journée.

Ma belle-fille vient aussi au moins une fois par semaine, parfois le Motsaé Chabbath.

Très rarement, je sors de chez moi pour le Chabbath, j'ai l'habitude de dire qu'à la maison, j'ai tout le confort et tout le nécessaire, et j'ai du mal à m'organiser pour partir en voyage. De ce fait, je ne vois pas souvent mes filles et leur famille qui habitent ailleurs. À leur crédit, une fois par mois, j'ai droit à une visite de la famille au grand complet, et parfois, les parents – mes filles et leur mari – font un saut en plus au cours de la semaine. Il va de soi que ces visites ont surtout lieu le soir.

De longues années se sont écoulées depuis le décès de mon épouse, six ans pour être précis. Je suis triste et amer, du fait que mes petits-enfants, qui habitent dans la même ville que moi, me rendent si peu visite. D'un point de vue purement rationnel, il faudrait que chaque petit-fils et petite-fille rende visite au moins une fois par semaine à son grand-père, à des horaires différents. Mais en réalité, certains petits-fils et petites-filles font un saut une fois toutes les trois semaines, prenant à peine le temps de s'installer sur une chaise, et disparaissent au bout de 20 minutes en invoquant qu'une amie les appelle, qu'ils ont fixé une 'Havrouta, ou bien qu'une activité les attend. Ces visites me laissent toujours un goût amer à leur égard et à l'égard de mon fils, qui ne les a pas bien éduqués, et envers ma belle-fille qui n'est pas scrupuleuse sur le respect à accorder à son beau-père. Dans l'immeuble adjacent, réside un homme âgé de plus de 8 ans que moi. Je le rencontre souvent à la synagogue, et dans la plupart des cas, il est accompagné de deux ou trois visiteurs, qui viennent aussi prier avec lui. Je le vois souvent à l'épicerie : il achète des friandises dans des quantités qui suscitent ma jalousie. Si j'achetais une telle quantité d'en-cas, ils resteraient sagement rangés dans l'armoire jusqu'à la veille de Pessa'h… Je lui demandai un jour s'il avait toujours des visiteurs.

― Presque toujours, me répondit-il.

― Et tu fais comment ? demandai-je. Tu les paies ?

Lorsqu'il comprit que ma question était sérieuse, il me regarda avec ses yeux bleus profonds et me répondit : « Oui, je paie, mais pas en argent, en équivalent d'argent. » « C'est ce qui les convainc de venir chez toi ? » dis-je en montrant la montagne de friandises.

« Non ! » répondit le vieil homme, qui rit en entendant mon idée, « les friandises, de nos jours, ne sont plus ce qu'elles étaient autrefois, chaque enfant a à la maison un immense paquet de bonbons, 50 sucettes, 20 cannes remplies de bonbons… c'est comme ça de nos jours. Pareil pour les cadeaux ou l'argent, dont le bénéfice dure à peine une petite heure. Ensuite, celui qui bénéficie de ces bontés vient à les mépriser, et ne désire ni tes cadeaux ni tes dons. En revanche, si un enfant vient, mais que tu ne lui donnes rien, il sera en colère. Si un jour, tu n'as plus d'argent, il ne viendra plus te voir, et ta situation sera encore pire… »

« Tu peux t'arrêter là, l'interrompis-je, de toute manière, je n'ai pas de gros moyens, je vis de ma pension de vieillesse et d'une toute petite retraite… je n'ai pas la possibilité de leur donner de l'argent, non, ni de leur offrir de cadeaux. » « Mais cela ne veut pas dire que tu ne peux rien leur donner, rétorqua mon voisin, tu peux leur donner à profusion, en réalité, tu es très riche, et tu pourras les attirer à venir et à revenir, tout comme ils viennent chez moi. »

« Ne te moque pas de moi », répondis-je, « je ne suis pas riche… ».

« Tu es riche par tes facultés et tes possibilités », répondit mon interlocuteur, « les jeunes d'aujourd'hui ont besoin d'une oreille attentive, d'un cœur aimant, ils cherchent à être compris et soutenus… Les hommes de notre génération aiment parler d'eux-mêmes, ils aiment se livrer, se libérer du poids qui pèse sur leurs épaules... « Ton erreur », poursuivit le vieil homme, « est que tu es trop renfermé sur toi-même, tu vois ta solitude, ton offense, ton sentiment que personne ne fait cas de ton existence et que tous oublient de venir te rendre visite, tu as pitié de toi-même, tu es replié sur toi-même. Si tu sortais quelque peu de cet état d'enfermement, tu pourrais comprendre leur réalité. Tu pourrais remarquer que ta belle-fille est très préoccupée par l'éducation de ses onze enfants, ton fils est très pris par le joug de la Parnassa (et tu n'es pas en mesure de l'aider sur ce point, alors au minimum, compatis !). Quant à tes petits-enfants, chacun a son propre parcours, les études au Talmud Torah et à la Yéchiva, naturellement, ne laissent pas à l'élève de temps libre…

« Et si je les observe et connais leurs occupations, en quoi cela me sera-t-il bénéfique ? » lui demandai-je, déçu par son secret. « D'une manière ou d'une autre, je resterai seul…» « Non, tu découvriras des dizaines d'occasions de faire des choses pour eux, et ce que tu feras pour eux, ils le réciproqueront. Si tu sais les écouter et t'intéresser à eux – ta maison sera un lieu tellement intéressant et captivant (un lieu où les invités parlent d'eux-mêmes) qu'ils seront contents de venir et de revenir, et de rester longtemps… Si tu t'intéresses à l'emploi du temps de ton petit-fils, tu découvriras peut-être une possibilité de l'aider ? Réfléchis à cette idée ! »

J'y réfléchis.

Je réfléchis également à mon fils et à ses enfants – ainsi qu'à mes autres petits-enfants. Mon voisin âgé, qu'il soit en bonne santé, ne m'abandonna pas. Chaque jour, lorsque nous nous rencontrions à la synagogue, il me demandait : alors, quoi de neuf ? Et il écoutait avec un intérêt sincère mes nouvelles et découvertes. Sur son conseil, j'achetai un calendrier où je notai les anniversaires de chacun.

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Au lieu de cadeaux, je leur envoie des lettres de Brakha, par la poste, destinées par exemple à l'enfant de trois ans et à la fillette de cinq ans, qui en sont tout émus. Bien entendu, la préparation d'une telle lettre sincère m'occupe et m'émeut, surtout que je la formule soigneusement, pour qu'ils la conservent longtemps. De plus, deux fois par semaine, j'étudie en 'Havrouta avec l'un de mes petits-fils qui a commencé récemment l'étude de la Michna, et deux fois par semaine avec un autre petit-fils qui étudie en vue de l'examen d'entrée en Yéchiva. Notre étude en commun, je l'espère, lui apportera une plus grande confiance en lui et une meilleure maîtrise du sujet. 

Ma petite-fille a découvert que ma maison est un endroit très agréable pour étudier en vue des examens avec ses copines. Le calme règne, non comme chez elle où jouent ses nombreux petits frères et sœurs, c'est au centre-ville et non à Kiryat Herzog, un quartier périphérique, et surtout, elle a la chance d'avoir un grand-père qui sert avec plaisir une boisson fraîche et une assiette de biscuits, et sait bien expliquer le sujet étudié, que ce soit les Prophètes ou le 'Houmach… Je suis soudain devenu le type de papi dont on peut se vanter devant les copines… Tout le monde n'a pas un tel papi. 

Cela fait dix mois que j'ai eu cette conversation avec mon voisin. Les changements dans ma vie quotidienne ont été introduits lentement et progressivement, avec de nombreuses hésitations de mon côté, jusqu'à ce que je m'arme de courage pour modifier une situation existante, et que je parle avec mes petits-enfants avec prévenance et leur montre mon intérêt. J'essaie de faire l'effort de me rendre chez mes enfants pour passer le Chabbath chez l'un d'eux, au moins une fois par mois, pour mieux connaître les petits-enfants. Il est vrai que ma maison m'offre tout le confort possible, mais chez eux, la solitude n'est pas présente, et la joie du vivre-ensemble a la faculté de rapprocher beaucoup les cœurs…

Je vous remercie de publier ma lettre dans votre rubrique.

Michaël de Bné Brak