Daniel est un employé aimé de tous sur son lieu de travail, un homme au bon caractère qui aime aider, faire plaisir, préparer du café, prodiguer son aide pour les présentations, rester des heures supplémentaires et, si nécessaire, changer même un pneu crevé. C’est vraiment un homme au cœur d’or. C’est son portrait au travail. Mais lorsqu’on interroge son épouse, on est persuadé qu’il s’agit d’un autre homme : il oublie d’aider, de faire plaisir, de préparer du café, de donner sa contribution ou de changer une ampoule à la maison.
Car chez Daniel, chaque jour, c’est Pourim. Chaque matin, Daniel se lève, met son masque de clown souriant et se rend au travail avec un costume de « cœur en or ».
Comment savoir s’il s’agit d’un costume ?
Le Rav ‘Haïm Vital, élève du plus grand kabbaliste, le Ari zal de Tsfat, nous a enseigné que si l’homme agit avec bonté avec le monde entier, se souciant des orphelins et des malades, des hommes qui souffrent de la famille en Somalie, des blessés en Afghanistan et des victimes d’un tremblement de terre au Népal, mais qu’il se conduit à contrecœur et avec un manque d’empathie dans son foyer, comment peut-il être qualifié d’homme qui fait de bonnes actions ! Tout individu est jugé selon sa conduite dans son foyer, avec les plus proches, chaque jour, à toute heure, derrière la porte fermée, là, on retire le costume et on dévoile son vrai caractère, en l’absence des encouragements de la société.
Est-il préférable de retirer le masque ?
Que D.ieu préserve. Ces masques préservent une société normative. Ces masques, que le monde qualifie de « politesses », permettent à la faculté de survie de s’exprimer dans la jungle de la société. Comme l’a affirmé un homme sage : « Aucun système relationnel ne tiendrait plus d’un quart d’heure, si chacun disait à son prochain ce qu’il pense de lui sincèrement. » En conséquence, il va de soi qu’il faut nous conduire avec déférence, donner et agir avec bienveillance, même si ce n’est pas de tout cœur. Sachons modifier nos actes, mais aussi et surtout notre cœur, en insistant particulièrement sur le don à la maison.
Pourquoi ?
Apprenons un point important enseigné par nos Sages sur la nature humaine. D.ieu a créé dans notre esprit un mécanisme que l’on nomme l’habitude. Tout ce que nous apprenons de nouveau dans la vie, comme marcher, monter à vélo, conduire une voiture, exige de nous une concentration de toutes nos ressources pour réussir notre tâche, mais dès l’instant où nous maîtrisons cet art, nous agissons inconsciemment, sans avoir conscience de ce que nous faisons.
Comme nous avons bien intégré l’apprentissage, notre cerveau n’attire pas l’attention sur ce geste ordinaire, et nous le faisons simplement. Nous passons d’un état de concentration et d’action consciente au « pilotage automatique ».
Relevons un élément fascinant. La racine du terme « Herguèl - habitude » est « Réguèl - jambe » : les jambes sont les organes les plus identifiables en action par le biais du « pilotage automatique », comme pour la marche ou la course.
Le Talmud de Bavel dans le traité Sanhédrin (105b) prescrit à l’homme de se consacrer à la Torah et aux Mitsvot, même si ce n’est pas de manière désintéressée, car, grâce à sa constance, il se rectifiera et parviendra au niveau de désintéressement, comme l’explique le Séfer Ha’hinoukh sur la Mitsva 16 : si l’homme multiplie les actes de bonté, même si c’est un vrai mécréant, il deviendra un homme bon qui prodigue du bien, grâce à la force de l’habitude qui devient une seconde nature chez l’homme.
Nous en déduisons que l’habitude positive est une faculté bénie pour l’homme. Mais cette qualité a aussi un revers destructeur. Lorsque nous nous installons dans un nouvel appartement, nous connaissons les détails de chaque pièce, chaque couleur et texture, mais, au bout de quelques mois, la maison peut nous apparaître transparente et invisible, comme si nous étions frappés d’une sorte de cécité.
Dans certains cas, que D.ieu préserve, c’est la façon dont nous voyons - ou plutôt, ne voyons pas - notre conjoint : notre relation à son égard est plutôt une absence de relation, un manque d’empathie et de sensibilité.
Il arrive parfois qu’un conjoint prétende placer son couple et sa cellule familiale au premier plan de ses priorités, mais, concrètement, en raison de l’habitude, nombreux sont ceux qui considèrent le couple et la famille de manière « transparente », comme allant de soi, et oublient de conserver et d’entretenir ce lien de manière constante, en passant du temps de qualité ensemble, par la bienveillance, le partage, le sourire, une gâterie en offrant un café ou en changeant une ampoule.
Fixons une règle importante : ne faisons pas passer notre vie de couple en « pilotage automatique ». Offrons une marchandise bon marché : la chaleur et l’amour, et c’est également le bien le plus précieux.
Rav Yéhouda Chimoni