Question de Raphaël T.

Bonjour Rav Scemama,

Je suis marié, père de 4 enfants, et j’habite dans la région parisienne. Ma femme et moi avons fait Téchouva ensemble il y a 3 ans et avons placé tous nos enfants dans des écoles juives.

Je prie mes trois prières quotidiennes, en général en Minyan, consacre tous les jours un moment fixe pour l'étude de la Torah, et je m'efforce d'accomplir correctement les lois juives. 

Mon problème est, comme le relève souvent ma femme, que je ne suis pas très joyeux dans mon quotidien et rentre généralement à la maison le visage "sombre". Je dois préciser que cette situation n'est apparue qu'assez récemment.

J'ai entendu et lu que la joie dans la Torah est très importante. On m'a même indiqué quelques conseils que donne Rabbi Na’hman de Breslev pour être Saméa’h. Je les ai appliqués, mais le peu d'effet que cela a pu provoquer s'est estompé presque immédiatement, et n'a rien changé à ma réalité quotidienne, où je baigne dans la tristesse.

Ma femme me fait également remarquer que, pour les enfants, il est très important qu'ils voient un père heureux et souriant. J'en suis conscient, mais comme je l'ai mentionné, je n'arrive pas à sortir de mes états d'âme.

Merci de m'aider.

Raphaël T.

Réponse du Rav Daniel Scemama

Bonjour Raphaël, 

Pour bien cibler votre cas, il nous manque des détails. Mais il semble, d'après votre question, que ce dont vous souffrez est lié à la Téchouva, et c'est donc ce que nous allons développer, avec l'espoir de vous aider.

1. Le manque de joie est en soi un handicap dans la vie et représente aussi une défaillance dans le judaïsme : la Torah (Parachat Ki Tavo) reproche à l'homme de ne pas servir l'Éternel dans la joie. Dans la littérature juive, l'accent est très prononcé sur l'importance de cet attribut et combien il faut s'éloigner de la tristesse (cf. "Or’hot Tsadikim" Cha’ar Hasim’ha, "Pélé Yoets" ‘Atsvout). Dans la ‘Hassidout - comme celle de Breslev - on considère la Sim’ha comme un élément primordial pour toute démarche d'élévation vers D.ieu. C'est pourquoi, votre préoccupation et celle de votre femme sont complètement justifiées. 

2. En fait, la joie fait naturellement partie de la vie de ce monde et n'est pas quelque chose qu'on doit se créer : ainsi, on peut observer qu’un nourrisson est toujours joyeux (sauf lorsqu'il souffre bien sûr), et cette joie, au fur et à mesure que l'être humain grandit, développe son esprit et analyse le monde dans lequel il se meut, se perd à cause justement de la façon dont il perçoit la vie. 

Celui qui possède une bonne philosophie de vie est capable de conserver la joie de vivre tout au long de sa vie, et celui qui est pris par des états d'âme est forcément sous l'emprise d'une mauvaise conception de l'expérience humaine.

Nous allons maintenant rentrer dans les détails.

3. Si une personne est triste à cause d'un événement particulier auquel elle est confrontée - comme l'annonce d'une maladie grave chez un proche, la perte d'argent ou d'un travail, la rupture avec un conjoint -, mais qu'en général elle est gaie, seule la Émouna (foi en D.ieu) peut l'aider. Elle doit mettre sa confiance en son Créateur, Tout-Puissant, qui l'aime et ne cherche que son bien et qui a tous les pouvoirs pour l'aider. Plus la foi sera ancrée dans son être, mieux l'homme surmontera l'épreuve.

Il pourra s'aider aussi d'une démarche "extérieure", comme se changer les idées, chanter, sortir avec des amis, parler, se confier, etc. pour essayer d’obtenir une paix intérieure, mais le principal restera le travail sur la Émouna.

4. Tout ceci est vrai lorsque le manque de joie est lié à un événement ponctuel (la preuve : si ce dernier disparaît, car on a retrouvé santé, travail, conjoint, etc., on retrouve sa gaité de tous les jours).

Mais, dans votre cas, où vous souffrez de tristesse constante et votre état d'âme ne dépend pas d'un quelconque événement, le problème est beaucoup plus profond. Nous allons proposer quelques possibilités qui pourraient justifier votre état :

a) Il est possible que vous accomplissiez la Torah comme un joug sans y trouver la moindre satisfaction. Si c'est le cas, vous devez vous faire aider par un Rav compétent pour parvenir à ressentir la beauté du Chabbath et des fêtes, le plaisir de l'étude de la Torah et des Mitsvot, appelés dans les Psaumes (19/9) : "Ceux qui réjouissent le cœur".

b) Peut-être exigez-vous de vous-même un engagement religieux au-dessus de vos capacités spirituelles. Un Ba’al Téchouva doit avancer pas à pas, doucement et sûrement. S’il se trouve en décalage avec son véritable niveau, non seulement il ne se réalise pas dans son judaïsme, mais va se créer un malaise intérieur qui peut mener à la dépression, voire à une brusque chute spirituelle.

c) La troisième explication de votre état est celle qui est la plus répandue.

Le Rav Arié Munk de Bné Brak, qui dirige un centre de soins psychiques pour le public religieux, a rapporté dernièrement dans une interview au journal orthodoxe Yated Neeman qu'il s'est trouvé devant des dizaines de cas de personnes qui souffraient de tristesse chronique et qui cherchaient une solution médicale à leurs maux. Le point commun de toutes ces personnes est qu'elles avaient adopté un choix de vie qui ne leur correspondait pas ; la raison principale en était la pression sociale. 

Ainsi, certains consacraient toute leur journée à l'étude de la Torah, alors qu’elles en étaient incapables, d'autres étaient dans l'enseignement, alors qu'elles étaient dénuées de patience et que leur intérêt pour leurs élèves s'était estompé depuis longtemps. Des mères de famille avouaient qu'elles rêvaient de rester à la maison pour s'occuper de leur famille, mais qu'elles se sentaient obligées de sortir travailler, car, autour d'elles, une femme au foyer était perçue comme un échec, etc., etc.

Or, D.ieu a donné à chacun des qualités propres qui vont lui permettre de se réaliser dans ce monde.

Imiter son entourage ou faire ce que la société considère comme bienséant, alors qu'on en ressent un rejet, ne peut provoquer que des frustrations qui, avec le temps, amèneront à des déprimes. C'est pourquoi chacun doit prendre en considération ses qualités propres et s’investir dans des activités en conséquence pour s'épanouir et rayonner.

Il est possible qu'en faisant ce choix de bon sens, notre entourage nous déprécie et nous freine dans notre élan d’aller vers notre nature.

L'homme, devant ce genre de dilemme, doit courageusement faire le choix vrai qui s'impose à son entendement, car, au final, c'est son bonheur et celui de sa famille qui est en jeu.

5. En ce qui concerne vos enfants, votre femme a absolument raison : nous devons être heureux et gais. Sachons que le phénomène de "Néchira" (jeunes adolescents qui quittent la religion) est pratiquement inexistant dans des familles où règnent la joie et la paix, et qui sont épanouies dans leur judaïsme.

De façon générale, la Sim’ha est un ingrédient indispensable pour qu'un enfant se développe convenablement et réussisse sa vie professionnelle, sociale et familiale. Elle lui donnera les forces nécessaires pour surmonter les épreuves de la vie en consolidant sa confiance en lui.