Un Juif qui se consacre à la diffusion de la Torah relate ses rencontres avec le Gaon Rav Aharon Leib Steinman :
Lors des courtes entrevues que j’ai eues avec le Rav, sa personnalité imposante m’a conquis. Ses réponses limpides aux questions que je posais - pour la plupart, liées à des thèmes dans le domaine du Kirouv (rapprocher les Juifs du judaïsme) - m’ont laissé une vive impression. Il possédait une sagesse profonde et une vraie attention. Il savait, avec une clarté rare, distinguer l’essentiel de l’accessoire. Sa pénétration et sa concentration sont des qualités exceptionnelles.
Lors de ces rencontres, j’ai vu comment un Juif qui a dépassé la centaine, qui vit dans un appartement sobre à Bné Brak et évolue dans un monde constitué uniquement de la Torah et des concepts du monde des Yéchivot, discute sans condescendance avec un jeune homme laïc âgé d’une vingtaine d’années, qui a des hésitations et des défis éloignés de son monde, tout comme l’ouest l’est de l’est. Il a même ri avec lui ! C’était une scène unique et exceptionnelle.
À chaque rencontre, j’ai ressenti que le Kirouv brûlait en lui et que les questions liées à ce domaine avaient la préférence dans son ordre de priorités. Il a toujours posé des questions, demandé des éclaircissements, et répondu selon la Halakha, analysant la profondeur du problème de son interlocuteur, et tentant de comprendre les défis qu’il affrontait, en dépit de la distance qui séparait son interlocuteur de son propre monde. Je lui ai posé de nombreuses questions. J’aimerais vous relater quelques rencontres qui me reviennent à l’esprit.
Dans son testament, le Rav a demandé de s’abstenir de faire des Hespédim (éloges funèbres) sur lui. Mais, pour les Tsadikim, on dit que leurs actes sont leurs souvenirs, et mes propos seront portés à l’élévation de son âme.
« Par où commencer ? »
Cette question, la question du point de départ, nous nous la sommes souvent posés dans notre organisme. Elle revient sans cesse chez des jeunes gens désirant se rapprocher du respect de la Torah et des Mitsvot. Chacun d’entre eux y ajoute ses difficultés et défis personnels - des défis sur le plan personnel avec telle ou telle Mitsva, ou des difficultés avec l’entourage, la famille et les amis.
Je me souviens qu’à un moment donné, nous sommes allés consulter le Rav et lui avons exposé cette question : par où commencer ? Le Rav ne répondit pas immédiatement. Il resta assis, les yeux fermés pendant de longues minutes, concentré dans ses pensées. Puis, il nous dit ceci : « Commencer par trois Mitsvot et une condition. Les 3 Mitsvot sont les Téfilines, le Tsitsit et le Chabbath. La condition, c’est respecter la Cacheroute. »
Les Téfilines, explique-t-il, est une Mitsva que l’on peut accomplir en quelques minutes, et même si l’homme a des problèmes avec son entourage, il pourra mettre ses Téfilines le matin avant le travail, ou avant l’école, sans ressentir d’inconfort.
Les Tsitsit est une Mitsva que l’on accomplit à chaque instant. Mais contrairement à la Kippa, qui n’est pas une Mitsva, et qu’il n’est pas facile pour tout un chacun de porter en public, en particulier au début du processus, on peut porter les Tsitsit en dessous des habits.
Mais le plus intéressant, ce sont ses propos sur le Chabbath. Lorsqu’il a mentionné les Mitsvot du Chabbath, nous pensions qu’il visait certainement l’importance de respecter le Chabbath et d’éviter de faire des travaux interdits. Mais il visait toute autre chose. Le point de départ du Chabbath pour ceux qui désirent se rapprocher du judaïsme consiste à se rendre le Chabbath à la synagogue pour les prières. Il insista que c’était important non seulement le vendredi soir, mais également pour la prière du Chabbath matin.
Il me fallut du temps pour comprendre pourquoi le Rav liait le respect du Chabbath spécifiquement aux prières à la synagogue, et ne mettait pas l’accent sur le respect du Chabbath lui-même. En réalité, le fait de s’abstenir de travaux interdits est bien plus élémentaire et important qu’aller à la synagogue ; si on transgresse des travaux interdits, on est passible de lapidation, tandis que se rendre à la synagogue est une belle coutume. Mais, par la suite, j’ai rencontré de nombreux Ba’alé Téchouva, qui, au début de leur parcours, se sont imposé de respecter le Chabbath, se sont abstenu d’utiliser l’électricité, le téléphone, l’ordinateur, et la télévision, et ont très vite été brisés. Ils m’ont décrit le Chabbath comme un jour de prison, un jour de difficulté. Pendant ce temps, toute leur famille et leurs amis sortent et profitent, partent en voiture et se promènent, ou regardent la télévision ou des films, tandis qu’eux se sentent emprisonnés. « Est-ce la voie de la Torah ?, me demandent-ils. Est-ce le merveilleux Chabbath que vous nous avez promis ? » Très souvent, le sentiment de solitude les a brisés.
Sa fine faculté de compréhension, au côté d’une identification profonde avec la détresse des Ba’alé Téchouva, était exceptionnelle. Le Rav lithuanien très âgé, dont la pratique scrupuleuse de la Halakha et du Choul’han Aroukh était connue, qui pouvait renoncer pour lui-même à une prière en Minyan en cas de doute sur la Halakha, parvenait à comprendre la mentalité des Ba’alé Téchouva, et l’ordre approprié des Mitsvot à accomplir pour un novice au judaïsme. Il comprit que le Chabbath devait commencer pour un débutant par la fréquentation de la synagogue, où il pouvait se relier au pan positif de l’injonction : « Souviens-toi du jour du Chabbath pour le sanctifier ». Il pourrait ainsi intérioriser l’idée du Chabbath, dont le principe essentiel est de libérer du temps pour nous afin de renforcer le lien et l’alliance « entre Moi et le peuple d’Israël ». Ceci pourrait le renforcer à continuer également à « respecter le jour du Chabbath pour le sanctifier » - le Chabbath selon la Halakha -, car le « Zakhor - le souvenir » et « Chamor - le respect » ont été énoncés en un seul souffle. Il lui était important de souligner le « faire le bien » du Chabbath, avant d’imposer à celui qui souhaite se rapprocher, le joug du respect des travaux interdits, qui pourrait le faire reculer dans ses premiers pas.
Mais le Rav a ajouté une condition qui entre dans la catégorie de « Éloigne-toi du mal » : le respect de la Cacheroute. Pour que la sainteté ait un effet sur l’homme, nous expliqua-t-il, celui qui se rapproche du judaïsme doit veiller à s’abstenir de consommer des aliments interdits qui souillent le cœur.
J’ai remarqué cette écoute attentive et cette focalisation sur « fais le bien » à chaque étape. La méthode positive, la recherche du bien, la faculté à se détacher des idées préconçues, à voir les choses à travers les yeux d’autrui et à vérifier chaque chose dans les moindres détails - tout ceci était admirable à mes yeux.