Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.

Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !


Je suis devant la Yéchiva. Je suis venu directement de l’aéroport car je ne pouvais pas attendre de découvrir l’endroit qui allait être ma demeure permanente pour le reste de l’année. En arrivant, ce qui m’a le plus choqué c’est de constater à quel point mes fringues détonnaient avec le reste des gens que je voyais autour de moi. On aurait dit qu’ils avaient tous le même uniforme : chemise blanche, Kippa noire, et pantalon noir, avec en prime les Tsitsit qui dépassent.

Je devais avouer que je ne faisais pas forcément partie du paysage avec mon t-shirt et mon éternel jeans.

Au bout de quelques minutes, je fus soulagé qu’un gars avec une petite barbe stylé m’aborde pour me demander si Steeve c’était bien moi :

– Euh… oui. C’est moi.

– On t’attendait. Je m’appel Yoël, je suis envoyé par le Roch Yéchiva pour te faire visiter. C’est ta première année ici j’imagine ?

– Ça se voit tant que ça ?

– Ne t’en fais pas, je vais t’expliquer comment notre institution fonctionne. Chaque Ba’hour… pardon, étudiant a l’obligation de se tenir prêt pour la prière sur les coups de 6h45. À 7h45 précises, le petit-déjeuner est servi dans la grande salle. Les cours de Michna sont par là, et ceux de Moussar par ici.

Pendant que Yoël me parlait, je regardais tout autour de moi et commençais vraiment à paniquer. Je voulais prendre mes clic et mes claques pour m’enfuir en courant dans le sens inverse. Le point culminant fût quand Yoël m’a montré la salle d’étude. J’avais beau avoir passé beaucoup d’heures à étudier en tête à tête avec Elnathan, ce que j’avais sous les yeux ne ressemblait en rien à ce que je connaissais :

Des garçons de mon âge (toujours habillés comme des garçons de café !) se basculaient sur leur chaise en lisant très fort au-dessus de leur livre comme si rien au monde ne pouvait les perturber. Un autre entortillait ses Péot autour de son doigt tout en criant à son camarade des trucs en hébreu dont je ne captais rien. Deux types à la table d’à côté ne faisaient qu’échanger de virulentes paroles. On aurait dit qu’ils se disputaient, mais, trois secondes plus tard, j’entendais que l’un d’eux lui souriait et lui disait en français :

– ‘Hazak mon frère ! Là t’as compris et là on est d’accord !

Ce qui m’a le plus impressionné c’était le bruit qui émanait de cette pièce. Ce brouhaha faisait carrément contraste avec la bibliothèque que j’avais fréquenté pendant toute la durée de mes révisions pour le BAC. On n’entendait pas une mouche voler et si par malheur quelqu’un faisait tomber ne serait-ce qu’un crayon, il se faisait drôlement réprimander. Je ne comprenais même pas pourquoi cette salle avait été nommé « salle d’étude » car on pouvait tout faire sauf étudier convenablement !

Ensuite, Yoël m’a montré ma chambre, ou plutôt l’endroit où je pouvais poser mes affaires. Je devais admettre que je n’avais rien vu d’aussi triste. Le lit superposé que j’allais occuper se situait entre le lit de camp et la planche de bois. Yoël m’indiquait que je prenais le lit du dessous. Super, en plus quelqu’un allait dormir au-dessus de moi ! Je repensais avec nostalgie à ma chambre douillette que j’avais laissé à Paris avec tout son confort. Au vu des conditions matérielles, je ne crois pas que je vais tenir. Je crois même que je vais craquer. Yoël me donnait une tape sur l’épaule pour me dire que mes futurs ‘Havérim n’allaient pas tarder. Je ne savais pas ce que voulait dire le mot ‘Havérim, mais je n’allais pas tarder à le savoir puisque d’autres étudiants arrivaient à leur tour.

Un garçon en surpoids se présentait en me donnant une tape dans le dos pour me souhaiter la bienvenue. La force de son coup a presque failli me faire perdre l’équilibre. Son nom était Moché. Un autre ne m’a carrément pas adressé la parole et est monté directement sur son lit, et le troisième, Aviad, m’a fait un grand sourire et m’a également souhaité la bienvenue avec une simple poignée de mains. Ils parlaient tous français. C’est pour ça que l’on m’avait placé avec eux dans cette chambre. Yoël me donnait rendez-vous à 19h pour le dîner dans la salle à manger. Entre temps, Aviad se proposait de m’aider spontanément à ranger mes affaires, je savais d’avance que lui et moi pouvions être amis.

En me rendant au dîner, ma déception fût tellement grande que cela ça m’avait coupé l’appétit. Non, franchement, rien qu’à regarder le ‘Houmous, je voulais directement monter me coucher. Mais à quoi je m’attendais ? Un hôtel grand luxe cinq étoiles avec piscine ! Bien sûr que non, mais quand même, j’aurais préféré un minimum syndical, quoi ! J’espère que je vais pouvoir m’habituer rapidement à mon nouvel environnement, même si j’en doute fort !

Une semaine plus tard…

Si j’avais pu survivre à ces sept derniers jours, je pense qu’après je pourrai TOUT surmonter ! Bizarrement, mes parents ne m’avaient jamais autant manqué que cette semaine passée. Bon, après, je ne sais pas si c’est plus l’atmosphère de ma maison ou eux que je languissais le plus. Un soir, j’en ai même carrément pleuré. Etait-ce la fatigue ? Mes nerfs qui lâchaient à cause de cette sensation de ne pas être à ma place ? Je n’en savais rien.

Et puis, deux évènements m’ont fait tenir le coups : le premier était que je m’étais vite rendu compte que mon ignorance en matière de Torah était assez affligeante. J’avais plusieurs fois baissé les bras en me disant que je n’y arriverai jamais, mais c’était sans compter l’aide de mon « ‘Haver », Aviad.

Avant la rencontre avec mon colocataire, je crois bien que je ne savais même pas ce qu’avoir un ami signifiait. Un soir, après une journée particulièrement difficile où je me sentais totalement perdu, j’étais en salle d’étude, et je cherchais une façon digne pour annoncer au frère d’Elnathan que je voulais rentrer. Aviad était présent aussi, assis dans un coin à étudier un traité de Guémara. Je n’arrivais pas à me concentrer sur le mien, car je butais sur un passage qu’Elnathan m’avait appris mais sur lequel, ce matin, j’avais entendu une autre explication qui m’avait complètement perturbée. Au bout de trente minutes, ma tête allait réellement exploser et j’avais fini par fermer le livre d’un coup sec. Aviad était venu me rejoindre pour me demander si j’avais besoin d’aide :

– Oh non ! Je crois que je n’y arriverai jamais. En plus, j’ai un mal de tête, je te dis pas, c’est mieux que j’aille directement me coucher.

– Attends, j’ai des dolipranes dans ma poche si tu veux. Ma mère m’en avait envoyé en quantité industrielle quand j’ai commencé ici. Montre moi la partie que tu ne comprends pas, je peux peut-être t’aider.

Perds pas ton temps, je suis irrécupérable. Je pense que je suis une cause perdue !

Sans un mot, Aviad rouvrit le livre et tombait pile sur le passage que je venais d’abandonner. Il lut attentivement pendant trois bonnes minutes et m’interrogeait sur ce que j’avais compris. Je lui débitais ce que je pensais, et, en voyant son regard, je compris que j’étais encore plus à côté de la plaque. Je lui expliquais que j’avais beau avoir obtenue quinze sur vingt de moyenne générale au BAC, cela ne changeait rien au fait que c’était du chinois pour moi !

– Waouw ! Quinze de moyenne, t’es bon toi ! Regarde, cette explication sur la vache rousse veut dire…

C’est avec la patience acharnée d’Aviad que j’avais enfin saisi après trois longues heures cette toute nouvelle explication ! J’étais très surpris par la satisfaction que j’avais ressenti une fois les infos correctement assimilées. Mieux encore, dès que j’avais dit à Aviad : “C’est bon, j’ai saisi, en fait ça veut dire ça et ça”, un rayon de lumière émanait du visage de mon ami qui a ricoché sur mon propre visage. Est-ce la magie de l’étude de la Torah ? Oui et non, c’est surtout la générosité de temps qu’Aviad m’a offert !

Je me suis senti obligé de le comparer à tous mes potes de Paris. Auraient-ils eu autant de patience avec moi dans le seul but que je comprenne quelques mots ? Certainement pas ! Qui à part un vrai ami a cette capacité de donner sans compter… ses heures !

En me couchant, cela m’a fait un peu relativiser sur toutes mes récriminations internes concernant mon petit confort physique. Est-ce que le spirituel prenait le dessus peu à peu ? N’exagérons rien, j’ai toujours aussi froid la nuit !

D’ailleurs, quand le Roch Yéchiva, Rav Levy, m’a croisé dans le couloir le lendemain et m’a demandé si je me plaisais dans sa Yéchiva, je n’ai pas hésité comme un abruti à le lui dire. Et c’est justement sa réaction qui m’avait fait tenir. Je savais que le Roch Yéchiva, en plus de diriger les cent cinquante Ba’hourim, occupait aussi la fonction de directeur d’une école spécialisée pour enfants autistes. Accessoirement, il était père de douze enfants. Lorsqu’il m’a accosté pour me demander comment je me sentais, je n’ai rien trouvé de mieux que de me plaindre qu’il devait augmenter le chauffage la nuit car je caillais. Avec une réelle sincérité, il m’a très sérieusement écouté et m’a dit qu’il allait faire son maximum pour remédier à mon problème.

Le lendemain matin, une couverture m’attendait sur mon lit. Ce que j’appris plus tard par Moché, qui avait été nommé pour aller me chercher l’étoffe, c’est que Rav Levy m’avait donné sa propre couverture. L’unique que lui et son épouse possédaient, car, non seulement ils vivaient dans une extrême pauvreté, mais, en plus, la Yéchiva n’avait certainement pas les moyens d’installer un chauffage pour l’hiver et l’air conditionné en été.

Très ému, je suis partie le voir pour la lui rendre et lui dire combien j’étais touché par son geste si altruiste et si humain, les mots qu’il avait choisi m’ont accompagnés pendant toutes les années de mon apprentissage Toraïque. Ces mots m’ont donné une force inestimable pour avancer :

– Si le fait de te garder ici pour étudier la Torah tenait à cette couverture, même la mienne je te l’offre sans hésiter, car rien n’est plus important que tu continues avec nous Steeve. Garde-la, et quand le soir tu iras te coucher, tu sauras que ma femme et moi seront toujours là pour prendre soin de toi. Aucun bien matériel quel qu’il soit ne rivalise avec la satisfaction d’avoir un bon garçon comme toi dans ma Yéchiva.

En attendant les paroles de mon nouveau héros, je sus que c’était ce genre d’homme que je voulais devenir. Je savais aussi qu’avant d’y parvenir le chemin était long, mais je me suis accroché grâce à un véritable ami et à une simple couverture…

La suite… mercredi prochain.

Pour plus de renseignements sur les Yéchivot francophones d’Israel : https://torahbox.com/QPPW