Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.
Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !
– Il n’en est pas question ! Nous en avons déjà discuté et j’ai été très clair sur le sujet. Tu n’iras pas dans cette Yéchiva ! Ton avenir est ici avec ta mère et moi. Fin de la discussion.
– Écoute Papa, je sais que nous ne nous sommes pas toujours entendus sur certains sujets, mais sur ce coup-là, ma décision est ferme et définitive. En septembre, j’intégrerai l’institut « Od Veahaya » que le frère d’Elnathan dirige à Jérusalem. Que tu le veuilles ou non, j’irai.
– Je te préviens Steeve, si tu pars, je te coupe les vivres !
– C’est pas croyable ! J’étais sûr que tu allais dire ça ! Je te connais tellement papa ! L’argent, l’argent, toujours l’argent, il n’y a que ça qui t’intéresse dans ta vie ! Tu veux que je te dise, je m’en tape de ton fric, tu peux te le garder ! Je trouverai un autre moyen de me financer, et puis d’abord, je ne comptais même pas sur toi à la base.
– Ah oui, vraiment ? Et comment tu vas réussir à réunir la somme rien que pour te payer le billet d’avion pour aller dans ta précieuse Yéchiva de crève la faim ! Comment vas-tu faire une fois sur place sans mon aide, hein ? Tu ne connais même pas la langue ! Permets-moi de rajouter que tes petits camarades ne vont jamais t’accepter parmi eux. Ça y est, Monsieur Steeve a pris trois cours dans sa vie et il a la naïveté de croire que les religieux vont l’accepter les bras ouverts parmi eux.
– CELA NE SE PASSERA PAS COMME ÇA ! TU NE CONNAIS RIEN !
– J’en connais certainement plus que toi mon garçon ! Pour moi, ces gens-là sont des parasites de la société qui vivent aux crochets des autres ! Alors tu peux rêver pour que j’accepte que tu deviennes comme eux.
Là, ça en était trop ! Cela faisait plus d’une heure que mon père et moi nous nous disputions au sujet de mon inscription. Notre échange n’a fait qu’empirer les choses. Mon envie de lui prouver que l’étude de la Torah est mon seul moyen de comprendre ma vie et de savoir où j’allais était devenue primordiale ! Depuis tout à l’heure, je faisais des efforts pour ne pas pêter un câble, mais il réussit malgré tout à me mettre hors de moi ! En plus, je n’étais même pas venu pour lui demander de me financer. J’avais déjà prévu de travailler tout l’été au restaurant de mon oncle. Avec ce que je gagnerai, j’ai calculé que je pourrai tenir trois mois. Une fois sur place, je me trouverai un petit boulot comme tous les étudiants du monde. Je n’avais plus le temps de continuer notre échange. L’heure tournait, et si je ne partais pas maintenant, j’allais arriver en retard pour Chabbath, chez Elnathan. Sur le pas de la porte, j’avais la ferme intention de ne pas partir fâché, mais la dernière phrase de papa m’a vraiment fait perdre les pédales.
– De toute façon, c’est très simple Steeve, si tu ne changes pas d’avis, je te déshérite !
– QUAND VAS-TU COMPRENDRE QUE JE M’EN FICHE DE TON ARGENT POURRI ! Tu sais quoi papa, c’est même pas la peine de m’attendre demain, je ne rentrerai pas. Je préfère dormir chez un copain plutôt que de revenir ici.
Et je claquais la porte la rage au ventre sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit.
J’avais les nerfs complètement à vif quand j’arrivais chez mon Rav. Je me calmais plus ou moins quand Ruth et ses fils m’accueillirent comme à l’accoutumé avec des grands sourires. Je montais directement dans « ma chambre » poser mes affaires et je partis rejoindre Elnat' pour aller à l’office.
Sur le chemin de la synagogue, c’est avec beaucoup d’émotion que je lui annonçais la bonne nouvelle. J’avais reçu une lettre de son frère qui m’annonçait que, grâce à ses recommandations, j’avais été accepté. J’allais mettre ma chemise à couper qu’il allait me féliciter et que nous allions parler de mon installation pendant tout le trajet, mais sa réaction m’avait prise de cours.
– C’est bien, je suis content, mais comment tes parents ont réagi à ta décision, surtout ton père ?
– Pourquoi vous me posez cette question, vous lui avez parlé ?
– Je n’en ai pas besoin. Comment ça s’est passé ?
– Ma mère était plutôt d’accord, elle connait un peu comment cela se passe puisqu’elle a une partie de sa famille qui habite Ashdod. Ses cousins lui ont assuré qu’ils garderaient un oeil sur moi, même si je suis la plupart du temps sur Jérusalem. En revanche, mon père ne veut pas en entendre parler, mais vous savez quoi Rav, je m’en contre fous de son avis !
– Comment oses-tu parler de ton père de cette façon ! Celui à qui tu dois la vie ! Ne t’ai-je donc rien appris ? La base de notre Torah, ce qui fait de nous un peuple différent, c’est justement le respect des parents avant tout, qui fait partie de nos 10 commandements.
C’est la première fois que je voyais mon Rabbin perdre patience, lui qui, d’habitude, était si calme. Alors, comme pour me justifier, je répondais :
– Quel rapport maintenant ! C’est lui qui me manque de respect. Je lui sors que je veux aller étudier et lui n’est pas fichu d’être content ! Il n’accepte pas que je ne rentre pas dans son moule à lui ! Lui, ne me parle que de carrière à deux balles, il me bassine les oreilles avec ça ! Franchement, je ne vous comprends pas vous non plus. C’est vous-même qui avait rédigé cette lettre pour mon entrée ! C’est quoi le problème maintenant ?
– Steeve mon garçon, bien sûr que je suis conscient que c’est moi qui t’ai rédigé cette lettre, et je n’hésiterai pas à donner mon aval une nouvelle fois pour t’aider dans ta démarche, mais je pensais que tu avais compris ! Il faut que tu trouves un terrain d’entente pour que ton père accepte ton choix et t’encourage même ! Sinon, à quoi bon t’enfermer 10 heures par jour à étudier la Guémara et le Talmud, si tu pars fâché avec lui ! Il ne faut pas que tu partes le coeur rempli de colère contre lui ou d’amertume, sinon, l’acquisition de toute cette étude sera caduque ! Tant que tu n’as pas réglé le problème, je ne veux plus en entendre parler !
– Franchement Rav, je ne veux pas vous manquer de respect, mais vous m’avez tous saoulé ! J’en ai ras le bol ! J’ai même plus envie de rentrer chez vous et de faire le Kiddouch et tout le tralala. Je crois que je vais laisser tomber.
– Alors pars ! Rentre chez toi, tu es libre. Personne ne te force. Cela montre seulement qu’à la moindre contrariété, tu envoies tout valdinguer, même Chabbath, qui n’a rien à voir avec ce qui t’arrive.
A ces mots, je me suis senti assez honteux, car je devais admettre qu’Elnathan, bien que dur avec moi, était juste. Alors, ravalant ma fierté de petit juif qui avait beaucoup de chemin à faire, je ne disais plus un mot et le suivais jusqu’à la maison.
J’avais passé tout le samedi à me ronger la tête sur les derniers mots de mon père. Je n’étais clairement pas dans mon assiette quand vint le moment de la prière de l’après-midi. J’avais demandé à Hachem de me pardonner de mon attitude envers Chabbath et envers papa. Je fermais mon livre en me disant plus pour moi-même : “À moins d’un miracle, je ne vois pas comment les choses vont s’arranger”.
Et le fameux miracle se produisit au moment de la troisième Sé’ouda de Chabbath. Après Nétilat Yadaïm (ablution des mains) et Motsi, je bavardais avec les fidèles de la synagogue que je commençais à connaître avec le temps, quand soudain je fus interrompu par un petit garçon qui grimpait sur mes genoux. Ce petit garçon n’était autre que mon frère Dylan. Qui disait Dylan, disait que l’un de mes parents était dans le coin. Je découvrais que celui qui avait envoyé mon frère jusqu’à moi n’était autre que celui qui occupait mes pensées depuis la veille : mon père.
À croire que je n’étais pas le seul à qui toute cette histoire prenait la tête. Ça me faisait trop bizarre de voir papa en ces lieux. A part les grandes fêtes, jamais il ne mettait les pieds dans une quelconque synagogue. C’est pour ça qu’il avait l’air aussi mal à l'aise.
Je me levais pour lui dire bonjour, tout en allant chercher une chaise pour qu’il s’assaye près de moi, même si j’étais toujours sonné de le voir. Je lui faisais signe de s’asseoir.
– Te déranges pas, on va pas rester.
– Alors pourquoi t’es venu ?
Mais bon sang, pourquoi j’étais si agressif avec lui, il fallait que je me rattrape.
– Papa, c’est pas ce que je voulais te dire. Merci d’être venu, cela me ferait super plaisir que toi et Dylan vous restiez avec moi.
Il mit quelques secondes à prendre une décision et décida finalement de s’asseoir. J’attrapais un toast de tarama pour le mettre sur une assiette et la lui tendis. Sa réflexion m’avait fait rire :
– Je comprends pourquoi tu viens ici. T’as toujours aimé le tarama !
– C’est exactement pour ça, t’as tout compris. Au fait, papa, je voulais te dire pour hier…
– Non, c’est moi, Steeve ! Laisse-moi t’expliquer, je suis là parce qu’avec ta mère j’ai eu une grosse discussion à ton sujet. Elle est convaincue que je ne devrais pas me mêler de tes choix, mais il faut que tu comprennes qu’en tant que père, c’est mon job de m’assurer que plus tard tu pourras subvenir aux besoins de ta famille. Tu sais que lorsque mes parents et moi sommes venus de Tunisie en France, ça a été très dur pour nous. Je ne vais pas encore te raconter notre histoire, tu la connais. Parfois, ton grand-père n’avait même pas de quoi finir le mois correctement. Il travaillait comme un fou sur des chantiers, faute de diplômes. J’ai toujours gardé la terrible phobie de manquer.
Je n’arrivais pas à croire ce que je venais d’entendre, le fameux miracle opérait à l’intérieur de moi, car je lâchais prise et me libérais de ma colère.
– Je sais tout ça papa, je sais que tu ne veux que mon bien… C’est pour ça que je te demande pardon. Vraiment pardon de t’avoir crié et parlé de la sorte. Pardon de t’imposer mon choix de cette façon. Saches que je n’irai nulle part si c’est contre ta volonté.
Je voyais dans les yeux de mon père une certaine luminosité que je ne connaissais pas. Cet homme si dur rempli de principe flanchait sous mes yeux. Il s’apprêtait à me dire quelque chose, mais il a été interrompu par Elnathan qui commençait son Chi’our habituel entre Min’ha et ‘Arvit.
Quand j’ai senti la pression de son bras sur mon épaule avec une larme qui coulait le long de sa joue, je n’avais pas besoin de la réponse de mon papa pour comprendre qu’il acceptait ma décision. Je savais que les bases de mon apprentissage de l’étude de la Torah pouvaient commencer sainement…
Et c’est ainsi que, deux mois plus tard, je m’envolais vers Yérouchalayim, le coeur vaillant, prêt pour une nouvelle vie.
La suite… mercredi prochain.