Trentenaire, un grand succès dans la restauration à Rome et à Bruxelles, avant la Téchouva et l’étude de la Torah : découvrez comment Anthony Coopmans a changé de vie pour concrétiser ses talents au cœur de Jérusalem.
"Je m'appelle Anthony Coopmans, je viens de Bruxelles. J’ai été cuisinier pendant une douzaine d'années dans des grands restaurants étoilés, notamment à Rome et à Bruxelles. Après ces expériences, j'ai ouvert trois pizzerias en trois ans à Bruxelles. Il y a eu un grand succès, mais ce n'était pas Cachère et à un moment, je me suis "réveillé", j'ai tout "plaqué" et je suis venu en Israël."
Une famille assimilée d’après-guerre
"Je viens d’une famille très assimilée, selon le schéma malheureusement classique de nombreuses familles ashkénazes d’après-guerre. Pendant la guerre, ma grand-mère paternelle venait de Roumanie et s’est retrouvée en Belgique ; elle a été cachée par un monsieur qui n'était pas juif et qui l’a protégée. Ils se sont mariés après la guerre et ils ont eu des enfants, mon père et ma tante, qui ont grandi dans un monde complètement non-juif. Mon père n'avait même pas conscience d'être juif. Par chance, il a rencontré ma mère qui venait d’une famille dont l’identité juive était un peu plus prononcée, bien que très assimilée aussi, qui a abandonné la religion après la guerre.
À la maison, on célébrait les fêtes non-juives. Jusqu'à l'âge de 12 ans, je n’avais qu’une petite conscience d’être juif […] À 12 ans, je suis rentré dans un lycée non-juif, mais où il y avait beaucoup de Juifs ; je me suis fait des amis et me suis rapproché de la communauté. J'ai commencé à fréquenter un mouvement de jeunesse. Mais je me sentais mal à l'aise parce que je n’avais jamais fait de Brit-Mila, je n'avais pas fait ma Bar-Mitsva non plus alors que tous mes copains avaient commencé à faire la leur. J'ai demandé à mes parents : "Moi aussi, je veux être comme les autres !" Mon père était à l'époque très laïc, il ne voulait pas entendre parler de religion. J'ai dû me battre et à 16 ans, j'ai réussi à les convaincre de faire une circoncision à l'hôpital, que j’ai faite "cachériser" cinq ans plus tard. Toujours à l’âge de 21 ans, j’ai réussi à faire une cérémonie de Bar-Mitsva à la synagogue ‘Habad de mon quartier."
Vivre un rêve d’enfant en Italie
"À l’école, j’étais un bon élève, mais j'en avais un peu marre d’étudier, alors j'ai voyagé avec mes copains, j’ai fait des bêtises… Un jour, mon père me prend à part et me dit qu’il faut que je fasse quelque chose de ma vie. À ce moment-là, mon beau-frère venait de s'associer avec un traiteur tunisien Cachère à Bruxelles, et je suis rentré chez ce traiteur […] Il m'a beaucoup apporté dans la vie, non seulement pour mon métier, mais surtout en me rapprochant du monde juif […]
On travaillait énormément, parfois 30 heures d'affilée ! Il m'a appris à travailler sans regarder l'heure, ce qui m’a donné des forces qui m'ont beaucoup aidé dans la vie. […] Il m'amenait aussi à la synagogue, et je suis rentré dans la petite communauté séfarade bruxelloise qui m'a beaucoup réchauffé. Les valeurs de ce monde et mon avenir étaient tracés, mais à 22 ans, je n'avais pas envie que mon avenir soit déjà établi. Je voulais partir, voler de mes propres ailes, apprendre un autre métier.
Il se trouve que l'Italie m'a toujours attiré. D'abord parce qu'on allait en Italie quand j'étais petit – c’était toute ma jeunesse, avec mes grands-parents et mes parents – et aussi parce que j'adorais la cuisine italienne. J'ai un ami qui étudiait à Perugia (Pérouse) […] J’ai travaillé pendant un an dans cette petite ville du centre qui était très sympathique, pleine d'étudiants. Puis j'ai entendu parler d'une école de pizza à Rome et j’y suis allé. Je voulais juste apprendre un peu, mais on a travaillé sur une nouvelle sorte de pizza, avec une pâte un peu spéciale. J'ai commencé à travailler dans les restaurants gastronomiques et j'ai vraiment pénétré la culture italienne. Pendant six ans, j'ai travaillé au nord, au sud, à la mer, à la montagne, et j'ai vraiment puisé toutes les forces de la cuisine italienne.
Ces années en Italie m'ont éloigné de la Cacheroute (les aliments interdits étant très présents dans la cuisine italienne traditionnelle, NDLR) […] Mon judaïsme était limité pendant ces six ans. Un jour, j'étais à l’enterrement d'une personne non-juive et je ne sais pas pourquoi, ça m'a fait un déclic. […] On dit souvent que la mort, un enterrement réveille la Téchouva. Je n'avais pas envie de terminer ma vie dans ce pays, dans cette culture. Du jour au lendemain, je suis reparti en Belgique."
Succès et quête de sens
"Avec l'expérience que j'avais, j’ai ouvert le concept de pizza fast food à l'italienne, avec une pâte spécifique, très croquante […] J’étais le premier à Bruxelles à créer le fast casual (restauration rapide haut de gamme, NDLR). Ça a très vite pris, la file d’attente se prolongeait dehors. En trois ans, le succès était là. Ça m'est un peu monté à la tête, un tel succès du jour au lendemain […] être au centre de l'attention… Ça a commencé à faire germer en moi l'envie d'autre chose.
Malheureusement, beaucoup de Juifs venaient y manger, mais ce n’était pas Cachère. J'avais quand même mis une Mézouza sur la porte – les contradictions d'un Juif qui essaye de tenir la route ! Petit à petit, j'ai commencé à me poser de plus en plus de questions. Mon envie de me rapprocher du judaïsme est revenue. Je me suis dit : "Ça y est, j'ai accompli ces choses là. Maintenant, quelle suite ? J'avais 33 ans, j’avais déjà ouvert trois restaurants, je me dis que je pouvais en ouvrir un quatrième, mais qu'est-ce que ça allait m’apporter ?
J’étais en train de me transformer en une personne que je n'avais pas envie d'être, ce qui a provoqué un petit déclic vers la Téchouva […] À un moment, je me suis révolté. Je voulais avoir un contrôle sur ma vie, décider de qui je voulais être vraiment : une bonne personne, un père de famille. Je m’éloignais de cet idéal. Le seul moyen d'en sortir, c'était une cassure.
Un jour, un de mes employés m’a envoyé une vidéo de Torah connue, "la preuve irréfutable". J'ai tout de suite accroché. Je me suis dit : "Qu'est ce que je fais là ?" Cette vidéo est venue "planter une graine" dans un terrain qui était déjà labouré. J'avais une soif de connaître mes racines et de m'approcher du judaïsme. Je ne voulais plus continuer dans cette voie-là, j'avais envie d'autre chose. Je suis parti deux semaines à la Yéchiva."
Le Cachère : au-delà de l’assiette, un choix de vie
"Passer du non-Cachère au Cachère, c'est un défi. Quand je suis arrivé en Israël, j'ai mis la barre de Cacheroute très haute, or il n'y avait pas grand-chose de disponible au niveau des produits. Après dix ans, beaucoup de choses ont changé [...] Maintenant, on arrive même à trouver de bons fromages italiens !
Pour moi, la Cacheroute, c'est un filtre. Il y a deux pôles dans la vie : soit le but est le monde futur, et on vit pour lui, soit c'est donner de l'intensité uniquement à ce monde. La Cacheroute nous fait profiter de ce monde en atténuant un peu certaines jouissances. Chacun choisit le filtre qu'il veut. Au bout du compte, on s'habitue à tout et aujourd'hui, je suis très content de manger Cachère.
Quand je suis arrivé en Israël, j'ai étudié à la Yéchiva de Rav Ron Chaya puis au Collel de Torah-Box pendant des années. J'espérais que la cuisine resterait derrière moi, je ne voulais pas être confronté à un monde qui était associé dans mon esprit à beaucoup de choses "dangereuses". Quand on crée une famille et qu'on vit dans les valeurs de la Torah, on essaye de les préserver le plus possible, mais il faut penser aussi à la Parnassa.
J'ai réussi à "recachériser" ce domaine, et après dix ans de Téchouva, j'ai grandi, me sentant plus apte à affronter ce défi. J'ai repris la cuisine dans le domaine ultra-Cachère et protégé de la Yéchiva. Je me sens plus fort aujourd'hui. J’ai ouvert un restaurant dans le centre-ville de Jérusalem avec une Cacheroute de haute qualité, et les pizzas ressemblent plus ou moins à celles que je faisais avant.
Je pense qu'aujourd'hui, avec du recul et le monde du Cachère qui a changé, il y a la possibilité de refaire du bon goût, dont celui de l'Italie. Pour moi, la gastronomie est une forme d’outrance par rapport à la nourriture. Il ne faut pas rentrer dans la folie de certains restaurateurs, mais je pense que dans certaines limites, on peut apprécier la bonne nourriture dans le Cachère, apprécier les bons vins, les bons fromages. La nourriture, ça fait partie de notre patrimoine !"
Pour se rendre sur place :
Anthony's Pizza, Shoshan St 4, Jérusalem
Site web : https://anthonys.co.il/