L’existence est une interrogation permanente ! Que fais-je ici ? Pourquoi y a-t-il de l’être ? Comment suis-je né ? Un individu qui ne s’interroge pas n’est qu’un animal pensant !! La supériorité de l’homme sur l’animal est qu’il pense, donc qu’il doit s’interroger. Comme la Matsa est la matière la plus épurée, de même la pensée la plus simple est la question, c’est-à-dire l’interrogation ! Cette présentation de Pessa’h est peut-être un peu paradoxale, mais elle exprime l’essence même de la foi. Exister, c’est s’éveiller à la compréhension d’un Créateur, car rien ne s’exprime sans interrogation.
La « Haggada », c’est DIRE, donc RÉPONDRE à une question ! De même, le mot « Matsa », qui exprime la simplicité, la « pureté » de la matière, traduit aussi l’idée de « querelle », c’est-à-dire d’affrontement dans le mot « Nitsa », de rencontre difficile avec autrui. S’il y a difficulté dans la rencontre, cela implique une interrogation : « Pourquoi existe-t-il un AUTRE ? » Le Talmud (« étude ») est, on le sait, construit sur le principe d’interrogation et de réponse. De la sorte, la fête de Pessa’h est la fête absolue de l’existence, puisqu’elle célèbre une existence différente. Etre, c’est être libre de poser des questions. Le terme même de Pessa’h traduit cette idée : (Pé – la bouche – Sa’h, parle avec réflexion, c’est-à-dire avec interrogation). Cette expression Sia’h (« parler avec réflexion ») est justement le terme utilisé par le 2ème patriarche (Its’hak) pour définir sa prière (comme il est écrit : « Lassoa’h Bassadé – pour prier dans le champ », Béréchit 24, 63). Selon la tradition, Its’hak est né à Pessa’h. L’annonce de sa naissance suscite une question chez son père et chez sa mère. Avraham « rit » quand D.ieu lui annonce la naissance d’un fils, et son « rire » est un signe de joie, car il symbolisait la « Midat Ha’hessed » (bienveillance). Il rit et exprime sa reconnaissance à D.ieu quand il pose la question : « Il dit en son cœur : Quoi ? A l’âge de 100 ans, il me naîtra un enfant ? Et Sarah, à 90 ans, enfantera ? » (Ibid. 17, 17). Sarah, elle aussi, posera une question, et rira. « Sarah rit en elle-même, et dit : 'Flétrie par l'âge, ce bonheur me serait réservé ?! Mon époux est un vieillard !' » (Ibid. 18, 12). L’Eternel n’accepte pas son rire et demande : « Pourquoi Sarah a-t-elle ri ? … Est-il difficile pour l’Eternel de faire quelque chose ? » Le rire de Sarah, à la différence de celui d’Avraham, était d’incrédulité. Sarah représente la « Midat Ha-Din », l’attribut de justice, c’est-à-dire l’aspect naturel de la création. Sarah se demande s’il est juste que D.ieu fasse pour elle quelque chose de contraire aux lois de la nature, et l’Eternel l’explique en utilisant le verbe « Pélé », (verbe utilisé pour une action surnaturelle) : « Est-il impossible pour Moi de faire quelque chose de surnaturel ? » Le questionnement est lié au caractère du questionneur : « bienveillance » chez Avraham, « sévérité » pour Sarah. De même, quand Mordekhaï interroge Esther, pour l’inciter à agir auprès du roi, il le fait sous forme de question : « Qui sait, si ce n’est pas pour cette circonstance que tu es devenue reine ? ». La question est théorique, car Mordekhaï sait bien qu’Hachem a envoyé Esther pour aider son peuple (v. Esther 4, 14, et le commentaire d’Ibn Ezra). La question inclut déjà la réponse.
L’importance de la fête de Pessa’h est marquée par l’aspect interrogatif, qui est plus une affirmation implicite qu’une vraie question. Le fait que le texte de la Torah s’exprime par des questions à propos des 4 enfants est assurément une preuve de cet intérêt souligné pour les générations à venir. Il s’agit, en tous cas, d’éveiller la curiosité de l’enfant, et pas seulement de l’empêcher de s’endormir. Il y a déjà ici une intention didactique, mais il importe de dépasser cette étape, pour arriver à une dimension humaine supplémentaire : la question est une interrogation sur l’essence de la réalité. Faut-il recevoir les faits, les phénomènes, tels qu’ils nous apparaissent ? L’interrogation vient même, de façon paradoxale, au moment où la réalité nous effraie. Quand les enfants d’Israël, sortis d’Egypte grâce aux dix plaies qui ont frappé les Egyptiens, retrouvent les Egyptiens qui les poursuivent quelques jours après la sortie, au lieu de faire confiance à l’Eternel Qui les a libérés, à Moché qui a dirigé leur sortie, ils se plaignent et interrogent Moché : « Est-ce parce qu’il n’y avait pas assez de tombes en Egypte, que tu nous as conduits pour mourir dans le désert ? A quoi bon nous as-tu fait sortir d’Egypte ? N’est-ce pas ce que nous t’avons dit en Egypte : ‘Laisse-nous servir les Egyptiens’ ? Il vaut mieux pour nous servir les Egyptiens plutôt que mourir ici dans le désert ». On pense au philosophe juif allemand Hermann Cohen, qui se sentait nationaliste allemand, et a écrit pendant la Première Guerre mondiale aux Américains : « Ne venez pas attaquer les Allemands ! » Après la guerre, il ne vivait plus, mais sa femme a été déportée et assassinée par les nazis en 1942 dans la Shoah. Cet exemple est cité ici, pour souligner ce que signifie le questionnement existentiel : comme les enfants d’Israël interrogent sur la nécessité de leur libération, les Juifs intégrés parmi les peuples s’interrogent sur leur intégration, et la réponse reste difficile. Le soir du Séder, le questionnement est la source de la cérémonie mais c’est parce que Pessa’h est la date de la naissance du peuple : « Pourquoi être sortis d’Egypte, pourquoi s’intégrer parmi les nations, que signifie ‘être’ ? » La question est comme la Matsa, l’élément premier le plus pur, sans aucun supplément ! La Torah est la réponse à la question existentielle. Première question adressée par l’Eternel à Adam Harichone : « Où es-tu ? » La sortie d’Egypte doit être mentionnée chaque jour, chaque nuit ! Tel est l’enseignement de Rabbi Eléazar Ben Azaria rapporté dans la Haggada. Elle explique l’existence, elle conditionne le lien à la Torah. Elément premier, elle est l’élément nécessaire. La venue du Machia’h répondra aux questions qui restent pendantes, car la Révélation finale, la Rédemption, expliquera la Création. Puissions-nous voir bientôt la réalisation de cette promesse !