Je me suis entretenu récemment avec divers collègues rabbins dans le pays, qui ont tous relevé le même phénomène. Les synagogues ont certes rouvert leurs portes avec toutes les précautions nécessaires, mais malgré tout, seule une fraction des personnes « éligibles », c'est-à-dire qui n'ont pas de vulnérabilité particulière, de troubles secondaires et ne sont pas considérées à « haut risque » sont revenues. Certains rabbins paniquent pour l'avenir ; ils se demandent à quoi ressembleront nos communautés post-corona. Je n'ai personnellement pas cette crainte. J'ai confiance dans notre communauté, les membres qui la forment, et dans ce que notre vivre-ensemble peut apporter.
Il existe probablement plusieurs facteurs expliquant cette participation en déclin depuis la réouverture. Certains ne sont pas confinés dans d'autres domaines, mais j'ai le sentiment que la prière à la synagogue a été réduite purement à la prière à la synagogue...
Je m'explique.
De nombreuses raisons motivent les fidèles à venir à la synagogue, toutes légitimes et chargées de sens, pas forcément de façon égale. Certains, bien entendu, viennent pour établir une connexion et ouvrir leur cœur à Hachem, d'autres pour rencontrer des gens, certaines personnes pour faire partie d'une communauté, et d'autres enfin pour bénéficier des Kiddouchim ou des repas de Séouda Chlichit. Avec les gestes barrière, les masques et l'absence de nourriture, la seule raison de venir à la synagogue dorénavant est la prière. Belle conséquence, bien entendu : pratiquement pas de bavardage pendant la prière. En revanche, relevons un terrible revers : l'absence notable d'un si grand nombre de nos membres bien-aimés qui nous manquent beaucoup.
Je suis persuadé que les fidèles qui ne reviennent pas à la synagogue prient soit à la maison, soit ailleurs, mais je pense que l'absence d'envie de revenir à la synagogue devenue uniquement un lieu de prière, est le signe que les fidèles ont du mal à se connecter à la prière en soi.
J'ai un sentiment de nostalgie pour tant d'amis et membres de notre communauté, mais aussi sincèrement bouleversé par cette épreuve de la réalité, en constatant combien de personnes semblent être aux prises avec cette difficulté, de continuer à fréquenter la synagogue, même si celle-ci n'offre actuellement que les offices. Je précise que je n'accuse personne et n'émets aucun jugement, je me contente juste de partager cette observation, dans le but de pouvoir apporter un changement.
J'ai récemment lu une interview de Naval Ravikant, entrepreneur amérindien et co-fondateur, président et ancien directeur de AngelList. Il fait remarquer comment la méditation quotidienne avait apporté un changement radical à sa vie. Sa description m'a frappé pour plusieurs raisons :
Vous vous asseyez pendant 60 minutes. Malheureusement, pas moins d'une heure à la fois, car il faut compter de 30 à 40 minutes pour que le bavardage initial fasse son effet. Alors vous arrivez à la partie intéressante de l'équivalent d'un coureur de haut niveau. Vous vous asseyez pendant 60 minutes chaque jour, au moins pendant 60 jours. Et c'est la première chose que vous faites le matin, lorsque vous avez l'esprit lucide, vous êtes alerte et avez bien dormi.
Vous êtes assis avec le dos droit en vous aidant de coussins, ou bien sur une chaise, ou autre chose. Il n'y a pas de position magique. Et ce que votre esprit cherche à faire, vous le laissez faire. S'il veut parler, vous le laissez parler. S'il veut combattre, vous le laissez combattre. S'il veut se taire, laissez-le se taire. S'il veut entonner le mantra ou faire des exercices de respiration, libre à vous, mais ne forcez rien.
Laissez les choses se faire d'elles-mêmes. Vous ne luttez pas. Vous n'opposez pas de résistance. Vous n'argumentez pas. Vous ne doublez pas. Vous laissez les choses se faire d'elles-mêmes. Lorsque vous suivez cette technique pendant au moins 60 jours, d'après mon expérience, vous videz en quelque sorte votre boîte de réception mentale et toute la folie que vous vivez. Tout le bavardage ressortira. Certains problèmes seront résolus. Vous aurez des épiphanies. Vous introduirez des changements dans votre vie.
Certains nécessiteront un travail sur soi, d'autres vous fatigueront ou devront être entendus une seule fois. Vous finirez par parvenir à un état mental de boîte de réception vide, où vous pensez uniquement à ce qui s'est passé la veille. Vous êtes pris, votre esprit est relativement lucide et votre niveau d'anxiété chute. Vous vivez plus sereinement. Je suis cette technique depuis déjà deux ans et demi.
J'ai dû manquer au total une dizaine de jours. Mais certains jours, j'ai fait deux heures par jour ou plus. Et je peux vous dire que c'est la chose la plus importante de ma journée. C'est une pure joie. Une bonne partie de cette méditation est très plaisante. Parfois, c'est creux. C'est du néant. Je ne peux même pas vous dire pourquoi je le fais. Je ne peux même pas vous dire ce qui se passe dans cet état, mais ce temps que je passe avec moi-même est le moment le plus important que je possède.
Grâce à cela, je suis maintenant bien plus indépendant. Je n'ai pas le sentiment d'avoir besoin des autres. Je n'ai pas constamment besoin de sources extérieures de plaisir ou de bonheur. Je bois moins. Je n'ai pas envie de tenter des drogues. La vie est plus facile. Elle est plus agréable. Je prends les choses moins au sérieux. Je n'ai plus peur de ma mortalité. Je n'ai pas peur de prendre de l'âge. Je ne convoite pas des choses.
Je ne vis plus ce besoin envahissant de trouver une stimulation extérieure pour améliorer ma vie. Lorsque je passe la meilleure heure de ma journée seul avec moi-même, alors le monde a très peu à m'offrir et même si je peux toujours participer à certaines activités, ça n'a plus l'attrait d'autrefois. Je ne crains pas de confinement solitaire. Et je pense que chacun devrait en profiter. Tout le monde peut y avoir accès, c'est facile.
Ça ne demande rien de votre part. C'est un droit de naissance. Vous ne pouvez y échouer. Il n'y a aucun moyen de rater. Ce que vous devez faire, littéralement, c'est vous asseoir, fermer les yeux et être simplement – prenez une pause une heure par jour. Réservez simplement du temps à cet effet.
J'ai conscience que la prière est très différente de la méditation. Mais il est erroné de penser que la prière dans son ensemble est consacrée à un dialogue avec Hachem. En réalité, c'est uniquement lors de la Amida que nous sommes debout devant notre Créateur en conversation. Afin que cette conversation soit chargée de sens, intime et effective, nous passons le reste de la prière, à la fois avant et après la Amida, en conversation avec nous-mêmes sur Hachem et sur Son rôle dans notre monde et notre vie.
Idéalement, nous devons être présents avec nos pensées et sentiments à chaque mot de la prière du début à la fin. Néanmoins, le Choul'han Aroukh (Ora'h 'Haïm 1:4) stipule qu'il est préférable de prier moins avec plus de concentration, que de réciter le texte entier sans aucune concentration ni conscience réfléchie. Nous sommes censés être transformés par la prière, enrichis et fortifiés.
Pour de nombreux individus, la prière constitue le seul moment de la journée où ils ne sont pas connectés aux appareils technologiques. Dans ce temps solitaire, nous sommes perdus dans nos pensées, dans les mots destinés à établir nos priorités et nous stimuler à réfléchir à ce qui compte le plus, et à évaluer notre identité et nos actions. Le Chemona Essré est qualifié d'Amida personnelle, car chacun la récite en privé, seul, ajoutant ses propres mots à partir de son expérience individuelle.
Lorsque je fis part de l'expérience de Naval à un ami, il me répondit : « Une heure, ouah ! » Je lui rappelai que si l'on comptabilise Cha'harit, Min'ha et Maariv chaque jour, nous y sommes déjà, mais nous n'y pensons pas de cette manière.
Porter un masque pendant la prière est malheureux, mais cela nous offre également une opportunité. Même dans une salle remplie de monde, cela nous permet d'avoir un sentiment d'intimité ; personne ne sait quand vos lèvres bougent ou non. Derrière le masque, nous pouvons être debout ou assis avec les yeux fermés, seul avec nos pensées, nos rêves, nos espoirs, nos aspirations, nos préoccupations, nos besoins et souhaits. Le masque élimine l'inhibition et l'embarras d'être perdu dans la véritable prière, tout en ne prononçant aucun mot.
Si des considérations de sécurité et de santé ne vous retiennent pas de venir régulièrement à la synagogue, mais que vous n'y êtes pas encore retournés, posez-vous la question : pourquoi ? Qu'en est-il de votre relation à la prière pour la prière ? Si vous êtes de retour, vous allouez déjà un temps important, chaque jour, non seulement pour accomplir une Mitsva, mais aussi pour vous engager dans une activité destinée à avoir un impact significatif sur vous. Pourquoi ne pas y réfléchir ?
J'attends avec impatience le moment où nous serons tous de retour ensemble, sur le campus, en communauté unie. La symphonie de voix produites par des sections de notre orchestre, y compris les enfants et les personnes âgées, me manque terriblement. Notre prière n'est simplement pas la même sans vous.
Jusque-là, relevons cette épreuve décisive – dont nous nous serions bien passés – sur la question de savoir pourquoi nous prions à la synagogue. Transformons notre prière en ce type d'expérience dont nous sortons inspirés. Comme l'a affirmé Naval : « C'est votre droit de naissance…prenez une pause une heure par jour. Réservez simplement du temps à cet effet. »
Rabbi Efrem Goldberg