Ori Paran, c’est l’histoire d’Israël. 41 ans, grande kippa blanche sur la tête, il est né dans un kibboutz complètement laïc, Guivat Haïm, où il n’a même pas fêté sa Bar-mitsva.
Ses grands-parents sont parmi les fondateurs du kibboutz, mais leurs racines remontent très loin dans la Hassidout Vishnitz en Pologne. Ils étaient encore pratiquants à leur arrivée en Israël, mais la génération suivante n’a pas suivi, et Ori a grandi dans la réalité israélienne, avec l’armée, puis le traditionnel - « Tiyoul be’houl » - voyage en Inde et en Europe, que tout jeune israélien se doit de faire après les trois rudes années de service militaire.
Entre-temps, son frère aîné, dont il est très proche, revient à la religion. Pour Ori c’est un choc. Il avoue même avoir ressenti une déception à l’époque. Le grand frère admiré va donc dorénavant faire partie du clan des orthodoxes, avec tous les stéréotypes que l’on imagine. Mais il se rend compte bientôt que les choses ne sont pas noires ou blanches : si on ne va plus à la plage ensemble le chabbat, on peut s’y rendre le vendredi, et l’été il y a du temps avant l’entrée du chabbat.Les frères parlent beaucoup. Ils ont des échanges passionnants sur des sujets philosophiques et spirituels, assis sur le sable, regardant les vagues qui viennent se coucher à leurs pieds.
Avant son départ pour les Indes, son frère aîné glisse dans son sac à dos un petit Tehilim, et Ori avoue qu’il va l’ouvrir souvent. Malgré les pays et les rencontres fantastiques de ce voyage, son cœur lui murmure que la vérité ne se trouve pas là-bas, mais ailleurs. Son périple a l’étranger à la recherche de la vérité l’a en fait ramené chez lui, dans toute l’acceptation du terme : à son retour en Israël, il fait ses premiers pas vers la religion. Il sourit en racontant : “Jeune, je pouvais lire tous les livres possibles qui parlaient d’expériences spirituelles, conseillés par des amis, mais de judaïsme, jamais au grand jamais ! C'était relégué à de l’obscurantisme.” Lors de ses débuts dans la pratique des mitsvot, il a tellement honte de se balader au kibboutz avec une kippa qu'il va porter un bonnet de laine. Ça tombe bien, c’est l’hiver. Mais les beaux jours arrivant, il devra se résoudre à mettre une kippa. Lorsque ses parents le verront pour la première fois avec une calotte sur la tête, c’est la consternation : un deuxième fils dans la religion ça fait beaucoup…
Ori va garder d’excellents rapports avec ses parents. Il pense d’ailleurs que les familles qui se déchirent ou éclatent après le retour d’un enfant à la pratique, sont des familles qui, à la base, n’entretenaient pas des relations saines. Quand la base est forte, les relations familliales perdureront et il dit lui-même se rendre fréquemment au kibboutz pour visiter ses parents, avec ses 4 enfants et sa femme. Ses pérégrinations après avoir quitté Guivat Haïm, le mèneront à Tsfat et c’est là-bas qu’il va commencer à travailler comme apprenti à la confection de Taliths faits main. L’apprentissage durera quelques années et il aime le travail. “Il y a quelque chose de méditatif, de reposant, presque un travail thérapeutique dans le tissage. Les métiers à tisser ont un bruit monotone et berçant et je peux en travaillant réfléchir, et même étudier ou écouter un cours. Pour moi, de façon presque allégorique, le métier à tisser, c’est la base de l’homme, sa nature, son squelette, ses données de départ et le fil que je fais passer au gré de mon imagination sur la trame, c’est mes choix, la vie que je tisse, de quoi elle sera faite.
Aujourd’hui, j’ai créé ma propre entreprise à Chouva, petite localité proche de Netivot, et je reçois des commandes du monde entier, beaucoup des USA et du Canada. Je fais du sur- mesure, les gens me disent ce qu’ils veulent et je me lance. Mais je ne travaille pas avec des croquis de base ou des esquisses, je laisse à ce moment mon côté créatif s’exprimer. La commande la plus étonnante était peut-être celle d’un juif de Jamaïque qui a voulu tisser le Talith de son fils Bar-mitsva aux couleurs du pays, vert, noir, jaune, ou un autre qui a voulu tisser les noms des principales villes d’Israël sur le Talith et l’offrir à Binyamin Netanyahou pour qu’il sente toute la responsabilité qui pèse sur ses épaules. La commande la plus émouvante a été celle d’un père qui a perdu son fils dans un accident de voiture et m’a demandé d’insérer la broderie qui était sur le col du talith du fils défunt au sien. Je peux facilement travailler quelques jours sur un talith, c’est du « fait main » du début à la fin. Les prix se situent entre 1400 shekels (350 euros) mais ça peut grimper jusqu'à 3000 shekels, selon la taille, les broderies insérées et le temps passé.
Il y a quelques années Ori a passé une grande épreuve : il est tombé gravement malade. L’annonce de la maladie l’a profondément secoué et ce, à tous les niveaux. Lors de son hospitalisation prolongée à l'hôpital Beilinson, il se rappelle avec émotion que ses copains du Kibboutz sont venus le soutenir, et ce malgré les années écoulées. Rien dans leur relation, ni l’éloignement géographique ou religieux n’a entamé leur amitié. « Non seulement ils m’ont visité sans cesse, mais ils se sont occupés de finir des travaux de rénovation que j’avais commencés chez moi. Cela veut dire qu’à mon retour de l’hôpital, j’ai trouvé une maison flambant neuve » se rappelle-t-il très ému.
« Il est évident que la maladie a réveillé en moi des questions : pourquoi? Qu’ai-je fait de mal, que veut D. de moi ? Mais avec le temps, j’ai compris qu’il n’y a pas ici de questions/réponses. J’ai intériorisé ce qu’est la définition du « croyant », c'est-à-dire l’homme qui intègre en lui, dans sa vie, dans ses épreuves, qu’il y a un Créateur qui sait ce qui est pour mon bien ; la foi ce n’est pas seulement quand tout va bien à nos yeux. Le verset des psaumes d’ailleurs nous dit : « Veemounatera baleilot…Ta foi c’est dans la nuit. J’ai eu à cette période des moments de proximité vraiment intenses avec mon Créateur. »
Ori a guéri totalement et a pu développer encore son entreprise. Il l’a appelée avec humour : « Talisman ».
Il se déplace souvent à l’étranger pour des colloques de tisserands où il s’est fait une place très respectable et respectée. Mais il a un rêve, et compte bien le réaliser : «Faire partie des artisans qui auront le mérite de tisser les habits du Cohen Gadol, bientôt, lors de la Guéoula prochaine… »
Ori, tisserand de taliths, né au kibboutz, originaire de Vishnitz, tu es le vêtement abouti de tant de générations du peuple juif, de tant de mailles entrelacées. Nous souhaitons que ton vœu se réalise très prochainement. Amen veamen.