Au début du Livre de Chémot, au début de l’esclavage du peuple d’Israël en Egypte, la Torah nous rapporte plusieurs faits expliquant le nouveau statut des enfants d’Israël en Egypte : « Yossef mourut, ainsi que tous ses frères et toute cette génération » (Exode – Chemot 1, 6). Et ensuite, il est écrit qu’ils furent très nombreux et que la terre en était pleine. Ce n’est qu’ensuite qu’il est écrit : « Un nouveau roi s’éleva sur l’Egypte, lequel n’avait point connu Yossef » (Ibid. 1,8).
Rachi, commenté par Siftei Hakhamim, cite la Guemara qui dit : « Ce n’était pas un nouveau roi, car sans cela, il aurait fallu écrire : ‘Un nouveau roi accéda au pouvoir’. Le sens est que ce sont ses décrets et ses lois qui ont été renouvelés » (v. Rachi ad hoc). Or, le Or Haïm (18ème siècle) explique, dans le même verset : « Il y a eu plusieurs causes à l’attitude nouvelle du roi (mort de Yossef, des frères, de la génération), mais ce qui a déclenché le changement des décrets, c’est le nombre croissant des enfants d’Israël, et pour cette raison les décrets furent renouvelés. De ce fait, le verset 7 – qui rapporte que le nombre des enfants d’Israël ne faisait qu’augmenter – se situe entre le verset 6 qui donne les autres motifs du changement de l’attitude du roi (mort de Yossef, de ses frères, de la génération précédente) et le verset 8 (qui annonce le renouveau de l’attitude du roi). (Commentaire du Or Haïm sur le verset 7).
Ce qui suscite l’intérêt, dans ce cas, c’est la motivation de la versatilité du roi d’Egypte, telle que la Torah nous la présente. Versatilité implique ainsi « valeur relative » et non absolue, puisque les circonstances peuvent entraîner une modification. C’est la preuve qu’une loi quelle qu’elle soit, mais de source humaine, peut être modifiée, si elle dépend d’une impulsion subjective. Si une loi a une source transcendante et provient d’une Révélation divine, la changer c’est nier la foi. Dans le christianisme, Paul de Tarse a voulu que les lois de la Torah soient comprises spirituellement, et il a décidé qu’il ne faut pas les observer « charnellement ». Il pensait de cette façon attirer au christianisme et séduire un plus grand nombre de personnes que l’observation concrète et minutieuse des Mitsvot aurait éloignées. De cette façon, le christianisme a pu se répandre de façon universelle, puisqu’il ne demandait plus la fidélité à la lettre de l’observance, et il devenait bien plus facile d’observer les ordonnances spirituelles, sans se référer à leur substrat matériel. La circoncision, pour ne donner qu’un exemple, devenait une circoncision de l’esprit. De la sorte, la signification spirituelle était détachée de l’aspect matériel. Toutes les Mitsvot religieuses, pratiques, dues à la Révélation sinaïtique et à son écho talmudique devenaient ainsi caduques. Cela a été la condition de l’expansion générale du christianisme.
C’est la même intention qui a dicté le mouvement réformé du judaïsme, à la suite de la Haskalah. Ses dirigeants ont décrété que la Torah devait être changée, puisque ses ordonnances ne plaisaient pas à ceux qui voulaient être juifs, mais devenir semblables aux non-Juifs. Le Chabbath passait au dimanche pour certains, les femmes pouvaient monter à la Torah, et bien d’autres transformations étaient introduites dans la législation de la Torah. Cependant, comme on l’a relevé, cet esprit de réforme découlait d’une initiative humaine. Celle-ci ne peut que s’opposer à une législation divine qui, par définition, provient de la Révélation de l’Etre infini. L’un des 3 points de la foi en D.ieu est de croire en la Révélation du Créateur (avec la foi en la Création et en la Rédemption). La prophétie, c’est-à-dire de transmission de la parole, et donc de la volonté, divine pour le bien de la créature, est l’élément médiateur entre le Tout-Puissant et le créé. Vouloir, pour des motifs humains, transformer l’intention divine ne peut être que « désacraliser » la parole divine. Rav Chimchon Raphaël Hirsch écrit que, puisque le Créateur est éternel, sa Torah ne saurait être qu’éternelle. La modifier serait la profaner.
Quelle est donc la force qui a maintenu et unifié le peuple pendant l’exil si long et dans des contrées si diverses, sinon le lien avec la Loi éternelle ? Peut-être peut-on oser expliquer ainsi les versets 6-7-8 du Ch. 1 de Chemot, cités précédemment, à la suite du commentaire du Or Haïm, selon qui le verset 7 ne semble pas s’intégrer clairement. D’après cette explication, le verset 7 qui parle de la croissance du peuple juif expose l’état surnaturel du peuple d’Israël, qui grandit sans cesse et se maintient en toute circonstance. C’est cela qui cause l’hostilité des nations envers les Juifs et les pousse à des actes antisémites, comme le renouveau des décrets du Pharaon. Face à la permanence d’Israël, les peuples se sentent en danger. De cette façon apparait nettement, ainsi qu’on l’a relevé précédemment à propos de la Loi, l’antagonisme entre l’Infini qui se révèle par Sa Loi à Israël et le fini qui déclare cette Loi caduque et refuse une loi apparemment « charnelle ». Or, le message qu’Israël doit transmettre à l’univers, c’est précisément de croire en la charge spirituelle de l’élément extérieur, non pas « charnel » mais inscrit dans un monde matériel. L’aspect matériel de la Mitsva recouvre sa valeur spirituelle, essentielle. Face à l’éternité du peuple qui a reçu la Révélation, la seule issue semble être, pour Pharaon, d’empêcher la naissance de garçons. Mais les sages-femmes ont su contourner les décrets du roi, elles contribuèrent à l’augmentation de la population. La réponse à tous ceux qui ne comprennent pas la survie et le message d’Israël, c’est le refus opposé par les sages-femmes, refus d’obéir aux ordonnances du roi : c’est le message, valable à chaque époque, de la sainteté et de la spiritualité, éléments essentiels de la pérennité d’Israël autour de sa Loi.