N’avez-vous jamais rencontré des Juifs non-pratiquants mais qui sont pourtant croyants ? En fait, la majorité des Juifs non-pratiquants croient en D.ieu. Le magazine Ynet publiait un sondage en 2012 révélant que plus de 80% des Israéliens se disaient croyants[1]. Pourtant, ce même sondage faisait également état du fait que 65% d’entre eux regardaient la télévision le Chabbath et 63% ne respectaient pas les lois de CacherouteÉtonnant, non ? Comment une personne qui croit en l’existence de D.ieu ne respecte-t-elle pas (tous) Ses commandements ?

Pour certains, il s’agit d’un manque de connaissance ou plutôt de conscience : ils ne réalisent pas tout à fait que D.ieu exige d’eux certaines choses. Pour eux, les commandements sont facultatifs.

Mais beaucoup n’ont pas vraiment d’arguments. Ils soupirent et s’éloignent de tout ce qui pourrait les contraindre, jetant souvent la pierre aux rabbins accusés de vouloir toujours en faire trop. Ils n’ont certes pas la mauvaise foi des athées prêts à épouser aveuglément toutes sortes de théories pseudo-scientifiques disponibles sur le marché pourvu qu’elles offrent un narratif suffisant pour laisser D.ieu en dehors de l’origine de la vie, et au diable l’improbable. Mais la religion pèse trop lourd à leur goût, alors ils dénigrent. 

Pourtant, ils ne dénigrent pas systématiquement, ils peuvent être très respectueux des lois juridiques les plus bizarres[2] et des pratiques religieuses les plus insolites sans broncher. Ils respectent même la pratique du voisin musulman saluant son abstinence pendant le Ramadan ou les longues heures méditatives du moine tibétain qu’ils révèrent. Mais le judaïsme les met mal à l’aise. Pourquoi ? Parce qu’en tant que Juif, la religion se fait accusatrice à leurs yeux, elle leur renvoie l’image de l’échec.

Le costume du mensonge 

Si on creusait un peu plus, on s’apercevrait qu’il s’agit la plupart du temps d’une question d’orgueil. Trop fiers pour s’avouer vaincus, ils exècrent la pratique pour protéger l’estime qu’ils veulent avoir d’eux-mêmes. C’est difficile d’admettre ses torts, mieux vaut que tout cela reste un peu flou…

Mais ils ne sont pas les seuls à pécher par orgueil. À l’opposé se trouve leur contretype, minoritaire certes mais bien présent. Ils ont le même mode de fonctionnement ; seulement, eux portent l’habit d’usage, la tenue officielle, mais pour le reste, tout laisse à désirer…

Pourvus du même orgueil, ils n’assument pas non plus leur véritable niveau spirituel, mais eux choisissent d’aller au-delà de leur possible. Et si d’ordinaire, le dépassement de soi s’avère être un atout, s’il est mal vécu, il peut s’avérer être une menace pour l’homme et son entourage. Généralement, ils ne pardonnent pas la moindre erreur à eux comme aux autres. Madame range frénétiquement le moindre des cheveux sortis de son foulard, monsieur aura constamment une remontrance à faire à son entourage “Léchem Chamaïm”, au nom du Ciel. Ces gens-là dégagent un sentiment d’insatisfaction constant et de reproche, leur compagnie est difficile à supporter. Ces pratiques sont pourtant éminemment louables au regard de la Torah, mais lorsqu’elles proviennent d’un état de nervosité et de colère, elles ternissent la beauté du judaïsme et finalement éloignent de son amour. 

Nos maîtres, les Sages d’Israël qui appliquent le moindre des commandements de la Torah, ne lésinent pas un seul instant sur leur sensibilité ni sur celle d’autrui. On rapporte que le ‘Hazon Ich aurait dit un jour à ses élèves qu’il est impossible pour un homme d’accéder véritablement à la partie du service divin qui concerne D.ieu – Ben Adam Lamakom - s’il lésine la partie du service divin concernant autrui – Ben Adam Lé’havéro ; c’est tout son service divin qui se corromprait. L’histoire raconte qu’un des élèves présents a rétorqué qu’il y a bien des gens qui prient avec une grande ferveur et qui sont bien loin des valeurs du respect d’autrui. Le ‘Hazon Ich lui aurait répondu : “Ils prient ainsi car Hachem ne leur a jamais dit ce qu’ils pensaient d’eux !”

Deux visages, l’un laxiste et l’autre extrémiste, et tous deux semblent fonctionner de la même manière. Leur erreur est de croire que dans la Torah, c’est tout ou rien ! 

Oser se regarder en face

La différence, c’est l’attitude. Pour les uns, c’est trop dur à supporter, ils tournent donc en dérision. Pour les autres, c’est tout aussi dur, mais ils préfèrent opter pour le sacrifice de soi.  

La véritable question est de savoir si D.ieu exige de nous des choses qui nous dépassent.

Le Talmud[3] est sans équivoque : “D.ieu n’impose rien d’ambigu à ses créatures.” Et le Midrach[4] de commenter : “D.ieu n’exige rien de l’homme qui soit au-delà de ses capacités.”

On rapporte au nom du ‘Hafets ‘Haïm l’allégorie selon laquelle un jeune homme se trouva essoufflé par le transport de la valise d’un vieillard qu’il voulut aider. Le vieil homme l’interpella : “Si ma valise te semble si lourde, il est probable que ce ne soit pas la mienne !” D.ieu dit la même chose de ceux qui semblent épuisés par Sa loi.

Et puis, nous avons l’exemple de millions de Juifs à travers les générations passées et présentes qui ont trouvé leur épanouissement dans les voies du judaïsme, en accomplissant l’intégralité des lois de la Torah.

Savoir lire la carte 

Alors, si D.ieu a adapté la Torah à Son peuple et que l’histoire nous témoigne que la plupart des Juifs ont réussi à s’épanouir dans la Torah, pourquoi certains n’en sont toujours pas là ? 

Il leur manque d’être à l’écoute d’eux-mêmes.

En effet, il existe une règle d’or dans le judaïsme. Aller à son rythme, sans brûler les étapes. D.ieu n’exige pas de nous que nous ressemblions au rabbin de la communauté, ni même à la voisine hyper pointilleuse sur les lois de la Tsni’out : nous avons chacun notre rythme dans la courbe du judaïsme. 

Le Messilat Yécharim du Ram’hal, reconnu comme le guide de référence du service divin, est structuré en paliers. Les gens ont l’habitude de ne regarder que le sommet de la montagne, mais le message caché derrière cette structure est que brûler les étapes n’amène rien de productif. Pire, ce comportement pourrait nous être reproché ! 

En effet, le Gaon de Vilna écrit sur Michlé[5] : "Puisque nos Sages ont enseigné qu’un homme qui souhaite se rapprocher de D.ieu est assisté du Ciel, il arrive qu’un homme se mette à étudier la Torah et à accomplir les Mitsvot, mais qu’il abandonne tout du jour au lendemain, du fait que cela lui soit laborieux et qu’il s’en prenne à D.ieu, réclamant l’aide promise à ceux qui souhaitent se rapprocher de Lui. Alors qu’en réalité, c’est parce qu’il a outrepassé ses limites que le Ciel ne lui est pas venu en aide. Ainsi, chaque homme doit s’avancer dans le service divin par étapes, sans les sauter, et ce n’est qu’alors qu’il pourra espérer l’aide divine."

Puis, dans Even Chéléma[6], il ajoute la chose suivante : “Chaque homme doit aller d’après son propre chemin car les traits de caractère des hommes ne sont pas égaux. C’est pour cela que le verset dit : “Loué celui qui va dans sa droiture”, sa droiture propre. Et bien qu’aux yeux des gens, cela semble inconcevable - car ils ne savent pas que c’est ce dont il a besoin -, lui, accèdera malgré tout à la vraie crainte du Ciel.” Cela étant dit, il nous incombe d’être dans une optique d’avancement car cela aussi est vrai – lorsqu’on stagne, on recule !

En résumé, si une personne comprend que D.ieu n’exige pas de changements drastiques et accueille chacun de ses pas avec bienveillance, elle peut envisager le judaïsme avec sérénité et sans stress. Puis, dans un second temps, elle cherchera son bien-être à travers les voies du judaïsme et réalisera l’intention originelle : celle du bonheur de l’homme, comme le promet la Torah : “Afin qu’il te soit fait du bien.[7]

 

[1] https://www.ynet.coil/articles/0,7340,L-4180860,00.html

[2] https://www.liligo.fr/magazine-voyage/les-lois-les-plus-bizarres-du-monde-4012.html#:~:text=En%20Alabama%2C%20il%20est%20interdit,que%20ce%20savon%20soit%20%C3%A9puis%C3%A9

[3] Traité ‘Avoda Zara p. 3

[4] Chémot Rabba chap. 34

[5Michlé 19, 3

[6] Even Chlomo sur Michlé 14 :2

[7] Deutéronome 12, 25