Dans les années 1984-85, sont arrivés en Israël des milliers de Juifs éthiopiens, suite à une opération militaire israélienne surnommée Mivtsa’ Moché destinée à les sauver du danger qui les menaçait dans leur pays d’origine. Pour faciliter leur intégration, on a dû ouvrir des classes spéciales afin de permettre à la jeunesse un passage rapide dans les écoles israéliennes. C’est ainsi que durant les jours de Ben Hamétsarim, un enseignant leur transmit les différentes coutumes marquant le souvenir de la destruction du Temple durant cette période. Étonnamment, les élèves se mirent alors à chuchoter entre eux avec mécontentement, sans que le professeur n’en saisisse la raison. Le lendemain, le père de l’un des élèves attendait à l’entrée de l’école et tança l’enseignant d’un ton sévère : “Tu racontes à nos enfants des mensonges ! Comment peux-tu affirmer que le Beth Hamikdach a été détruit ?” L’enseignant consterné ne trouva pas ses mots et finit par expliquer que ce qu’il avait rapporté en classe la veille était parfaitement exact et qu’il suffisait de voyager à Jérusalem pour réaliser que le Temple n’existait plus ! Sous le choc, le papa demanda à l’enseignant d’attendre et revint accompagné d’un grand groupe d’Éthiopiens. Il lui demanda alors de répéter cette révélation. Le professeur, très troublé, reprit ses propos, et c’est alors que se levèrent de cette assemblée des cris et des pleurs, se lamentant sur cette terrible nouvelle que représentait la destruction du Temple dont ces Juifs n’avaient pas été informés.
Déconnectés de toute civilisation, les Juifs d’Éthiopie vivaient depuis plus de deux mille ans avec la certitude que le Temple existait toujours. La nouvelle de son anéantissement ne leur parvenait qu’à présent et ils s’en lamentèrent comme il sied à l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Nous nous trouvons durant les trois semaines de Ben Hamétsarim, durant lesquelles nos Sages ont institué des lois visant à éveiller en nous le souvenir du Temple et de Jérusalem. Il n’est pourtant pas évident pour nous de ressentir leur destruction comme cela fut le cas chez nos frères éthiopiens, car nous nous sommes hélas habitués à la Galout.
D’un côté, nous ne réalisons pas ce que le Beth Hamikdach représente, à l’image de Platon qui ne comprenait pas comment un grand Sage comme le prophète Yirmiyahou pouvait pleurer sur des ruines de pierres et de bois. D’autre part, nous vivons une époque où l'on ne manque de rien et où nous ne sommes pas inquiétés au quotidien, ni pour la subsistance ni par un véritable danger nous menaçant, comme cela fut le cas tout au long de l’exil. À ce propos, le ‘Hafets ‘Haïm se demandait si aux États-Unis, pays réputé à l’époque pour ses facilités de Parnassa, on y attendait encore le Machia’h. En Pologne, le Rav pouvait encore comprendre pourquoi la délivrance finale était tant attendue par les Juifs, vu les problèmes de subsistance et les relations houleuses avec les Goyim qui prévalaient en son temps, mais en Amérique… !
Même en Israël, pays malheureusement secoué par des attentats répétitifs, la population est globalement satisfaite de son sort et ne ressent pas véritablement que quelque chose de fondamental est absent du vécu : “Après tout, entend-on, nous avons du travail, le Chékel se porte bien, Tel-Aviv devient l’une des grandes capitales mondiales, Moché Léon - maire de Jérusalem - va lui aussi construire de grands buildings à l’entrée de la ville, le système de transport ferroviaire s’améliore, de nouveaux hôpitaux sont prévus… Que nous manque-t-il ?!”
Les lois particulières de ces 3 semaines ainsi que les prières instituées par nos Sages sont destinées à éveiller notre conscience à l’idée qu’il existe toute une dimension de notre passé glorieux en tant que peuple de D.ieu qui nous fait défaut.
Puisse le mérite de chercher à comprendre ce que fut le deuil de Jérusalem, attirer sur nous la joie de voir très bientôt sa reconstruction !