Dans la vague des querelles et disputes dont nous sommes témoins, l’histoire que je m’apprête à raconter agit comme un baume bienfaisant pour nous.
Je voudrais d’abord dire quelques mots sur mon métier.
Je travaille dans le domaine de l’électricité, mais il est difficile de me définir uniquement comme électricien.
Je touche à tout ce qui a trait à l’électricité, mais en dehors des réparations des coupures de courant et de l’installation de lampes électriques, de prises, et la réparation de toutes sortes d’appareils électriques, je suis une sorte de « banque » pour pièces de frigos, de machines à laver, de lave-vaisselles, et de sèche-linges électriques.
Lorsque vous apercevez une machine à laver dont quelqu’un s’est débarrassé, vous ne lui jetez même pas un regard, mais pour moi, c’est une collection de dizaines de pièces potentielles, des pièces en caoutchouc jusqu’au tambour, le moteur, les vis, portes, tuyaux, etc.
Lorsque je repère un appareil électrique, mon premier geste, c’est de le charger sur ma voiture, et peu importe si je suis en chemin pour un mariage ou de retour d’une réunion de parents. C’est, pour tout vous dire, ma subsistance, et tout appareil électrique - depuis un fer à repasser jusqu’à un frigo industriel - est explicitement une source de revenus pour moi.
Je le charge sur la voiture, l’apporte à l’entrepôt, et procède à des vérifications. S’il est possible de le réparer, on peut gagner 1000 shékels ou plus, et s’il est irréparable, on commence à le démembrer jusqu’à ce qu’il n’en reste aucun souvenir, mais il est possible que je gagne plus d’argent, car le mois suivant, quelqu’un peut me demander un caoutchouc, une porte, un tuyau, et un tambour, et chaque client vous paie entre 200 et 400 shékels. C’est ainsi que nous nous assurons une subsistance.
Lorsque je parle de « nous assurer une subsistance », je parle de moi et de mon associé. Nous sommes associés depuis vingt ans. Nous étudions tous deux pendant la journée. Lui, le matin, et moi le soir. Je travaille dès le matin, et dès l’après-midi, nous travaillons en association. Nous faisons certains travaux ensemble et d’autres séparément. Nous divisons tous les revenus, et, grâce à D.ieu, nous avons une bonne Parnassa.
* * *
Un jour, il me téléphone à 14 heures, et me dit : « Retrouve-moi vite à telle adresse. »
Je lui demande : « Il s’est passé quelque chose ? »
« Viens et tu verras », me répond-il.
« Ça peut attendre ? »
Et lui de répondre : « ça ne peut pas du tout attendre. »
J’essaie d’imaginer ce qu’il a pu trouver, peut-être un nouveau four d’une valeur de 2000 shékels, car certains, au lieu de le nettoyer, le mettent aux ordures… ou peut-être un frigo industriel d’une valeur de 5000 shékels.
Lorsque j’arrive sur place, je le vois appuyé sur un sèche-linge rouillé et ancien, avec une porte sur le point de lâcher. Un regard professionnel de quelques secondes me mène à la conclusion que si nous tirons de cette ruine 30 shékels, nous avons de la chance.
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Tu m’as fait venir pour ce vieil engin ? lui demandé-je.
Je remarque alors qu’il transpire des pieds à la tête. « Que se passe-t-il ? »
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Embarquons ce truc sur ta voiture et on parle après.
Une fois l’engin chargé, nous roulâmes en direction de l’entrepôt. Nous déchargeâmes la vieillerie, et, une fois les portes fermées, il se pencha, fouilla avec ses mains et sortit alors…
Une boîte de café Elite.
« Super, m’exclamé-je, Nous avons gagné 49,90 shékels ! »
« Ouvre la boîte et tu verras qu’il y a un peu plus », me dit-il.
J’ouvre la boîte et remarque qu’elle est bourrée de billets enroulés de 200 shékels.
« C’était dans la machine, à l’extérieur du tambour », me dit-il.
Nous vidons la boîte à café. Je n’avais jamais imaginé combien d’argent pouvait contenir une petite boîte de café. 26 paquets, contenant chacun 10 billets bien enroulés et fermés par un élastique. Il y avait en tout 52 000 shékels.
- Qu’est-ce qu’on fait ?, lui demandé-je.
- Il faut retrouver la personne qui a jeté le sèche-linge, me dit-il.
Nous avons commencé à prendre des renseignements. Nous avons posté des affiches dans tous les immeubles voisins en demandant qui avait jeté un vieux sèche-linge électrique. Nous avons mentionné qu’il contenait un objet perdu, sans plus de précisions. Il y avait suffisamment de signes distinctifs, et nous ne craignions pas qu’un imposteur tente de prétendre par la ruse que la machine lui appartenait.
* * *
Trois jours plus tard, une résidente du coin téléphona et m’expliqua qu’elle avait jeté une machine, mais elle n’était pas au courant d’un objet perdu.
Je lui demandai : « Avez-vous acheté cette machine dans un magasin ? »
Et elle de répondre : « Non, je l’ai achetée il y a six mois pour rien du tout auprès d’un électricien qui vend des pièces de rechange, mais il s’est avéré que c’est ce qu’elle valait : rien du tout. »
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Vous rappelez-vous du nom de l’électricien ?
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Oui, me répondit-elle en me donnant son nom.
Nous le connaissions. Notre corporation est assez restreinte, il y a de la concurrence d’un côté, mais aussi une fraternité entre gens du même métier. Il peut très bien m’appeler : « Est-ce que tu aurais par hasard un caoutchouc ? » et moi, de mon côté : « Tu aurais une porte de l’ancien modèle d’Electra ? » Ce genre d’échanges.
Je l’appelai. « Est-ce que tu as vendu un sèche-linge à Madame unetelle ? », lui demandé-je.
Il commença de suite avec la ritournelle : « Qu’elle me laisse tranquille. Je le lui ai vendu à 100 shékels, et je lui ai dit qu’il n’y avait pas de garantie. Il a fonctionné six mois. Soit quatre mois de plus que ce que j’avais pensé. »
« Laisse tomber, lui dis-je, elle n’a aucune plainte. Je voudrais juste savoir auprès de qui tu l’as acheté. »
« Pourquoi ? », me demande-t-il.
« Rien, il faut le savoir. Tu sais ou non ? »
« Vraiment pas, me répondit-il, je l’ai trouvé dans un terrain vague dans le Nord du pays. J’étais parti avec mes enfants en excursion. Plutôt que de profiter, ils ont dû m’aider à porter cette vieillerie et lui faire de la place pour le retour… il ne me quitte pas, ce sèche-linge, même un an plus tard. C’est quoi l’histoire maintenant ? »
« Ok, si tu me dis que tu ne lui as pas donné de garantie, je vais le lui expliquer », répondis-je en changeant de sujet, puis je raccrochai.
* * *
A partir de là, nous nous sommes adressés à un Rav décisionnaire.
Il était clair que la femme n’avais pas déposé d’argent, ni l’électricien, mais nous craignions que peut-être cet objet perdu appartenait, d’après la Loi juive, à l’un des deux.
Le Rav trancha que, comme l’argent ne leur appartenait pas, et que, d’après leur réponse, ils n’étaient même pas au courant de son existence, ils n’avaient pas droit à cet argent qui ne les concernait pas.
Nous lui avons demandé ce que nous devions encore entreprendre, et il nous répondit que, du point de vue de la Loi, les propriétaires avaient désespéré de retrouver leur argent ; il nous était donc permis de nous en servir, à condition que si un jour, les propriétaires n’avaient finalement pas renoncé à cet argent portant des signes distinctifs, nous serions tenus de le rendre.
Nous avons quitté la maison du Rav. Je déclarai alors à mon associé : « Je suis tellement content pour toi. Tu sauras certainement quoi faire avec 52 000 shékels. »
Et lui de me répondre : « Tu veux dire 26 000 shékels. »
Et moi de rétorquer : « Pourquoi 26 ? Nous avons compté ensemble, c’est bien 52. »
« C’est vrai, dit-il, c’est vrai qu’il y avait 52 000, mais bon, on est associés. J’ai trouvé une somme d’argent et je dois la partager avec toi. »
Je m’arrêtai. Je le regardai pour voir s’il ne se moquait pas de moi, il me fallut du temps pour comprendre qu’il parlait très sérieusement.
« Dis-moi, tu n’aurais pas perdu la tête ?, m’exclamai-je. Je serais aussi ton associé si tu gagnes au loto ? »
« Non, me répondit-il, le loto n’a rien à voir avec toi, mais le sèche-linge te concerne complètement. Ça fait partie de notre affaire. »
Nous avons commencé à nous quereller et à hausser le ton, mais il ne renonça pas. « Tu prendras les 26 000 shékels et pas un sou de moins. »
A un moment donné, il déposa la moitié de la somme sur un rebord en pierre, monta sur sa moto, et me laissa seul avec l’argent.
* * *
Je rentrai chez moi et décidai de garder cette somme.
Le lendemain, quelqu’un me demanda un prêt. Je lui donnai l’argent en sachant qu’il se trouvait entre de bonnes mains.
Deux ans s’écoulèrent, l’argent fut rendu puis prêté plusieurs fois, puis la fille de mon associé se fiança.
Le futur marié était un Ben Torah et je savais que mon associé s’était engagé à donner une belle somme.
Environ trois semaines avant le mariage, je lui rendis visite en compagnie de mon épouse. Nous leur expliquâmes que nous voulions leur remettre notre cadeau avant le mariage, pour qu’ils puissent en faire bon usage en cette période critique.
Nous avons bavardé quelques minutes, puis nous sommes rentrés chez nous.
Nous n’étions pas encore arrivés chez nous, lorsque mon téléphone portable sonna.
« Qu’est-ce que ça veut dire ? », me demanda mon associé.
« Je t’ai gardé l’argent qui t’appartenait, lui répondis-je, cet objet perdu t’appartenait a priori et je n’ai fait que le garder en dépôt. »
« Mais ce n’était que 26 000 shékels, comment es-tu arrivé à 80 000 shékels ? »
« C’est un autre calcul. Tu commences à travailler l’après-midi et moi je travaille deux heures en plus le matin. Depuis que cet argent a été trouvé, j’ai pris l’engagement que pour tout travail effectué le matin, je te mets de côté la moitié, et c’est la somme accumulée de ces deux heures-là depuis les deux années écoulées. »
C’est mon histoire. Cela fait bien longtemps qu’on me pousse à la diffuser. Je ne voulais pas, je pensais que c’était prétentieux de ma part, mais récemment, les querelles ont été très présentes dans la société, et j’ai été convaincu que ce serait une sanctification du Nom de D.ieu de publier cette histoire sur une querelle d’un autre genre entre deux associés, une controverse qui pourrait « réparer » des querelles d’un autre genre et prouver qu’il est possible de choisir une autre voie.