Je suis né il y a quarante ans, en dehors d’Erets Israël. Dans mon enfance, j’ai contracté la polio, et d’après les tout premiers souvenirs que j’ai de moi-même, je marche en boitant, et mes jambes se sont très peu développées.
Ma vie a été très dure. Il n’est évidemment pas facile pour un enfant handicapé de s’intégrer en société et de réussir. Et pour un enfant avec une claudication si lourde, c’est presque impossible. La marche des handicapés atteints de la polio tient vraiment du miracle, et si un homme en bonne santé veut argumenter à quel point c’est difficile, il est invité à marcher sur ses genoux et à s’imaginer que sa jambe se tord constamment.
À 25 ans, je montai en Israël et commençai à travailler dans une usine. C’était un travail manuel pas facile qui s’exécute en position assise. Je remerciai D.ieu d’avoir réussi à trouver du travail, et les propriétaires de l’usine qui avaient fermé les yeux sur ma manière de marcher ; j’avais commencé à subvenir à mes besoins.
Parfois, le propriétaire de l’usine me demandait : « Pourquoi ne te marierais-tu pas ? »
Au début, j’interprétai ça comme une provocation : « Qui voudrait m’épouser ? », répondis-je. C’était une époque où je m’étais résigné à vivre toujours en marge de la société, à être toujours considéré comme une sorte de mutant, dont l’instinct premier est de lui donner la charité. Peu de gens s’adressaient à moi sur un pied d’égalité, et ils étaient encore moins nombreux à s’intéresser vraiment à moi.
À l’âge de 30 ans, un tournant surprenant eut lieu. Le propriétaire de l’usine me dit : « Je t’ai organisé une rencontre avec une jeune fille comme toi. »
Comme moi, cela voulait dire atteinte de la polio.
Il me prit du temps pour comprendre qu’il ne visait pas à me blesser, mais à me proposer un Chiddoukh, et il lui fallut encore plus de temps pour me convaincre d’accepter le rendez-vous.
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Arrivé au rendez-vous, je perçus immédiatement mon âme sœur. Fait intéressant, elle était originaire du même pays que moi, son handicap était semblable au mien, et elle marchait comme moi.
Nous constatâmes que notre sort était identique. Nous avions les mêmes difficultés, nous avions perdu espoir et nous nous étions résignés, nous habitions tous deux dans un petit appartement sans parents, et gagnions tous deux notre vie avec un travail difficile, mais honorable.
Très rapidement, nous décidâmes de nous marier, avec peu de moyens, sans meubles et sans amis.
Ceux qui nous aidèrent, ce sont nos employeurs. Ils se conduisirent comme les parents des mariés. Ces deux hommes d’affaires se rencontrèrent un soir dans un hôtel et entamèrent des négociations pour savoir ce que chacun apporterait au mariage, et nous fournirait pour cette vie commune.
Nous arrivâmes au mariage comme des invités. On nous avait juste informés de la salle où il aurait lieu, c’était là tout l’effort que nous avons dû fournir. Mon employeur invita ses employés, sa famille, ses voisins et connaissances, et même chose pour l’employeur de mon épouse. Comme ils dirigeaient de grandes usines et avaient de grandes familles chaleureuses, ce fut un mariage avec de nombreux participants, un beau mariage familial. Nous avions l’impression de faire partie de la famille de nos employeurs.
Lorsque je m’avançai pour lever le voile de ma fiancée, je vis que tout le monde essuyait des larmes, puis lorsque ma femme fit difficilement sept tours autour de moi, tout le monde pleura. Au départ, je ne compris pas pourquoi, puis je me souvins que ce n’était pas une scène que l’on voit tous les jours - un ‘Hatan et une Kalla handicapés, qui zigzaguent l’un en face de l’autre, et commencent leur vie commune. Ça valait sûrement le coup de pleurer.
Nous reçûmes de nombreux cadeaux et nous étions très heureux. Nous commençâmes notre vie de jeunes mariés avec de l’aide de tous côtés.
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Nous avons loué un appartement et avons commencé notre vie de couple.
Nos employeurs, dans l’idée de nous gâter, avaient trouvé un appartement dans un quartier très luxueux. La majorité des résidents du quartier étaient des gens riches, arrogants et éloignés de la religion. Je ne sais pas pourquoi, les voisins ne voyaient pas d’un bon œil les nouveaux résidents de leur immeuble, qui avaient une démarche si étrange. Ils pensaient peut-être que notre présence était susceptible de faire baisser le prix des appartements. Mais nous, ça nous était égal. Nous avons bâti notre foyer et arrangé extrêmement bien notre appartement. De toute façon, nous n’avions rien à chercher au-dehors.
Un an plus tard, un fils nous naquit. Les employeurs et leur famille furent à nouveau présents, et à nouveau les pleurs étaient présents lorsque notre fils fut conduit dans l’alliance d’Avraham Avinou.
La difficulté d’élever un enfant était plus complexe que nous ne l’imaginions. Comme nous marchons tous deux avec des béquilles, toute action qui a l’air facile aux yeux de tous est pour nous difficile à réaliser. Par exemple, mon épouse est plus handicapée que moi, et il ne lui est pas possible de porter un bébé dans les bras debout. Il lui fallait choisir - des béquilles ou un bébé. Pour moi, en revanche, c’était difficile, mais réalisable. Il n’est pas facile de porter un bébé et de marcher avec des béquilles, en particulier dans les escaliers. Mais avec le temps, nous sommes devenus plus habiles et avons trouvé des solutions. Nous avons aussi acheté une voiture.
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Puis, une petite fille nous est née. À nouveau, nous avons fait une fête, nous étions une famille heureuse. Descendre et monter les escaliers devenait de plus en plus difficile, mais nous ne nous plaignions pas. Nous remercions D.ieu de nous avoir permis de triompher de notre handicap.
Une nuit, nous nous sommes réveillés au son de pleurs de notre bébé, qui avait 40 degrés de fièvre. Nous décidâmes de la conduire à l’hôpital.
Nous nous habillâmes, et réalisâmes soudain que descendre les enfants pourrait nous prendre une demi-heure, dans le meilleur des cas. Dans un cas ordinaire, j’aurais été prêt à le faire, mais pas maintenant, alors que la petite était brûlante de fièvre.
Je décidai de faire quelque chose que je n’avais jamais fait. Je pris le bébé dans les bras et je marchai vers la porte en face de chez moi. Malgré l’heure tardive, je frappai à la porte, et heureusement, mes voisins étaient réveillés.
« Je suis désolé, dis-je à la voisine, mais ma fille a plus de 40 de fièvre, et j’ai besoin d’aide pour que quelqu’un me descende le bébé en bas. Je dois arriver vite à l’hôpital. »
La voisine me lança un regard méprisant et me lança : « Des gens comme vous doivent réfléchir à deux fois à la possibilité d’élever des enfants. » Puis, elle me claqua la porte au nez.
J’agis comme un automate. Je descendis lentement, alors que les larmes me brûlaient les yeux et m’obstruaient la vision. Je descendis prudemment, sachant que je risquais de tomber avec le bébé. Il me fallut dix minutes pour descendre, puis sept minutes pour remonter chez moi. Je pris la petite et la descendis en bas. Puis je remontai pour aider mon épouse à descendre, et j’espérai qu’Its’hak Kadman me pardonnerait d’avoir laissé le moteur allumé pour réchauffer deux enfants, dont l’un d’eux avait 40 de fièvre.
L’affaire fut vite résolue à l’hôpital. On lui donna des médicaments pour baisser la fièvre, puis on nous libéra.
Nous arrivâmes à la maison à six heures du matin, et le même scénario se reproduisit. Bien entendu, je n’osai pas faire appel à mes voisins. J’avais passé une nuit difficile, et subir une autre humiliation était trop pour moi.
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Quelques mois passèrent. Je n’échangeai pas un mot avec les voisins, ce n’était pas un grand changement, n’ayant jamais beaucoup conversé avec eux jusque-là.
Une nuit, à deux heures du matin, tout le quartier se réveilla au cri d’enfants. Notre salon est parallèle à celui des voisins, et nous avons ainsi aperçu le fils des voisins debout sur le parapet hurler : « Maman ! maman ! »
En quelques minutes, tout le quartier était en bas. Tout le monde criait à l’enfant : « Retourne à la maison, tu risques de tomber ! » Au lieu de reculer, ses deux frères apparurent à la fenêtre, alertés par les cris. Eux aussi montèrent sur le parapet en se mettant en danger et hurlèrent : « Maman ! Maman ! »
Quelques voisins montèrent dans l’immeuble et tentèrent d’ouvrir la porte ou d’appeler les enfants pour qu’ils ouvrent eux-mêmes, mais les enfants étaient au salon donnant sur la rue et n’entendirent pas les coups. Les voisins dans la rue regardaient les pauvres enfants sans pouvoir agir.
Le seul accès à l’appartement était par mon salon, collé au leur.
Je grimpai avec beaucoup de difficulté, je me tins sur le rail des volets et appelai l’enfant.
Il me regarda. Je compris qu’il était pétrifié. Il avait compris ce qu’il avait fait et ne pouvait se résoudre à bouger de peur de tomber.
Je lui demandai de me regarder plutôt que de regarder en bas. Je commençai de mon côté à grimper sur mon parapet dans le but de passer de leur côté.
Les mains des malades de la polio sont plus solides. Je réussis sans difficulté à me soulever, y compris les jambes, au-dessus du parapet, et à passer du côté extérieur. Ensuite, je me suspendis au parapet et commençai à passer du côté des voisins.
La foule en bas retint sa respiration. Le silence régnait dans la rue.
Je continuai jusqu’à ce que j’arrive au niveau de l’enfant. Je le saisis d’une main, tout en tenant de l’autre main le parapet, le soulevai du parapet et le déposai sur le rail des volets dans l’appartement. Ensuite, je me poussai au-dessus du parapet et me retrouvai aussi dans l’appartement.
Dehors, j’entendis les applaudissements et les sifflements des spectateurs d’en bas.
J’avançai lentement vers la porte (je n’avais pas les béquilles), et découvris qu’elle était fermée à clé depuis l’extérieur, sans clé.
Je m’approchai de la fenêtre et criai aux policiers qu’ils devaient forcer la porte de l’extérieur.
Pour ce faire, ils appelèrent une voiture de pompiers qui arriva dix minutes plus tard. Au bout de quelques minutes, les pompiers réussirent à forcer la porte, puis ils s’approchèrent des enfants terrorisés, les soulevèrent délicatement et les firent entrer à la maison.
Puis une voiture arriva, et nos voisins en sortirent tout joyeux.
Ils ne comprirent pas le sens de ce tumulte, jusqu’à ce qu’ils aperçurent d’en bas leurs enfants portés par des pompiers.
« Que s’est-il passé ? Que leur a-t-on fait ? », demanda la mère.
« C’est toi qui es responsable, personne d’autre », déclara l’officier de police. « Tu les as tout simplement abandonnés. » Il prononça alors la phrase qui me sembla vraiment mesure pour mesure : « Je ne sais pas qui t’a donné l’autorisation d’élever des enfants. »
Les policiers montèrent chez eux et leur annoncèrent qu’ils les assigneraient en justice pour abandon.
Cette voisine ne me demanda pas pardon et ne me dit pas merci. De toute manière, je ne m’y attendais pas. Pour moi, cette histoire était la preuve la plus éclatante de l’existence d’une justice et d’un Juge, et que l’histoire est un perpétuel recommencement.
Je déménageai dans un autre quartier, bien plus amical. Aujourd’hui, j’ai droit à de l’aide de toutes les directions (bien que je préfère n’avoir besoin de l’aide de personne).
Je ne regrette pas les années passées dans ce quartier. Elles m’ont apporté une juste vision des choses et m’ont permis de comprendre et d’apprécier le quartier où j’habite aujourd’hui. Il faut parfois connaître le mal pour pouvoir apprécier le bien dans la vie.