Michel : Bonjour monsieur le rabbin, j’aimerais savoir quel regard porte la Torah sur l’euthanasie.
Le Rav : Bonjour à vous Michel. D’une manière générale, l’euthanasie est considérée comme un homicide selon la Torah. Le Talmud considère que « tout celui qui ferme les yeux d’un homme agonisant est considéré comme s’il le tuait »1 et le Choul’han Aroukh de trancher : « Il est interdit de faire quoi que ce soit pour hâter la mort. Et même si nous voyons qu’il souffre beaucoup dans son agonie et que la mort lui serait douce, il nous est néanmoins défendu de faire quoi que ce soit pour hâter la mort »2 ; cependant, la Torah discerne l’euthanasie active de l’euthanasie passive.
Michel : Quelle différence y a-t-il entre ces deux formes ?
Le Rav : L’euthanasie active, c’est par exemple injecter une dose létale à un patient dans le but de l’aider à mourir plus en douceur ou encore le débrancher d’un respirateur, qui s’apparente là aussi à de l’euthanasie active, tandis que l’euthanasie passive, c’est le fait de ne pas recourir à un soin extraordinaire comme la réanimation par exemple, l’électrochoc ou l’intervention chirurgicale.
Michel : Et cela, la Torah le permet ?
Le Rav : Dans certains cas bien précis - si le malade est incurable et en proie à de terribles souffrances - certains décisionnaires autorisent le corps médical à ne pas avoir recours à des soins extraordinaires. Concernant les soins dit ordinaires comme la boisson, la nourriture et les antibiotiques, ils ne devront sous aucun cas être suspendus, sans quoi cela reviendrait à de l’euthanasie active. Cette décision se fonde sur l’avis du Rama3, de Rav Moché Feinstein4, de Rav Chlomo Zalman Auerbach, du Tsits Eliézer etc.
Cependant, il est indispensable de se concerter avec un décisionnaire halakhique réputé pour jauger de la situation et trancher ce genre de questions…
Michel : Pourquoi une personne ne pourrait pas décider elle-même de sa propre mort ?
Le Rav : Car elle n’est pas la détentrice de sa propre vie. Le verset dit « toutes les âmes sont à Moi »5, l’âme ne nous appartient pas pour que nous prétendions en disposer comme bon nous semble. De plus, la légitimité de notre libre arbitre à trancher ce genre de questions est elle-même sujette à débat.
Michel : Qui donc serait plus à même de décider de son propre sort que nous-même ?
Le Rav : Soi-même justement. La personne, c’est-à-dire le moi de l’individu (sa psyché), n’est pas l’unique possesseur de l’âme. Cette dernière, dont l’essence est divine, se trouve hors du temps et de la matière. De ce fait, l’âme effectue plusieurs passages dans ce monde afin de parachever les différentes strates de son être dans l’espoir d’atteindre son aboutissement final. A chaque passage, l’âme habite un nouveau corps, une autre psyché (Néfèch) constitué lui-même par son éducation, son expérience de vie ainsi que le contexte social dans lequel il évolue. Et toutes ces vies ont habité l’âme et ont participé à son perfectionnement. Qui donne donc plus de légitimité à cet individu-là précisément, de décider du sort de l’âme ?
Michel : La souffrance qu’il subit, voyons !
Le Rav : C’est peut-être cette souffrance qui finaliserait, par son mérite, les dernières parties non-achevées dont l’âme a besoin pour son salut. Tandis que si elles venaient à lui manquer, l’âme pourraient revenir sur terre le temps d’une vie entière, pour récupérer ces quelques instants…
Michel : Vous avez pourtant dit que l’euthanasie passive est dans certains cas autorisée.
Le Rav : Oui, car l’euthanasie passive ne signifie pas ôter la vie à une personne, mais uniquement ne pas lui porter assistance avec acharnement. L’euthanasie passive n’est pas non plus permise dans tous les cas, et chaque situation devra faire l’objet d’une réflexion halakhique consciencieuse. J’explique uniquement pourquoi cette pratique ne se heurte pas aux problèmes évoqués.
Michel : Vous ne croyez pas qu’une personne plongée depuis des années dans un profond coma, dont l’état est totalement végétatif qui serait maintenue en vie artificiellement par des machines aurait tout intérêt à être débranchée, puisqu’elle ne souffre pas ?
Le Rav : Laissez-moi vous faire part d’une étude scientifique parue en 2006. Un chercheur en neurosciences du nom de Owen publia une étude réalisée dans le très réputé « Journal of science » concernant l’état de conscience de personnes se trouvant dans un état végétatif cérébral.6 Cet état représente le diagnostic d’une personne dont le cerveau serait majoritairement endommagé, ne laissant paraître aucun signe de conscience. Ces patients sont plongés généralement dans un profond coma. Owen utilisa un procédé d’imagerie cérébrale (neuro-imagerie) pour enquêter sur l’état du cerveau. Il étudia le cas d’une femme plongée dans un profond coma végétatif à la suite d’un accident de voiture, comportant de lourdes séquelles dans la majeure partie du cerveau. Il brancha les électrodes d’IRM sur le cerveau de la jeune femme et commença à lui poser toutes sortes de questions « Est-ce qu’elle aimait le tennis ? », « Imaginez-vous parcourir la pièce » etc. Il découvrit de l’activité cérébrale : une sorte de trajectoire neuronale que seule l’imagerie est à même de déceler. Mais le scientifique ne cria pas victoire, il pouvait ne s’agir que de réflexes auditifs liés aux ondes émises par sa voix.
Il décida donc de prendre 15 personnes saines, et leur plaça les mêmes appareils d’imagerie qu’à cette femme, puis il posa à tous les mêmes questions. Il demanda à des neuroscientifiques de comparer l’activité cérébrale des sujets étudiés, ils déclarèrent ne distinguer aucune différence entre les 15 patients et la femme plongée dans le coma. Leurs réactions étaient identiques.
Il semblait que la femme plongée dans le coma comprenait aussi clairement que les 15 patients.
Mais Owen voulait en avoir le cœur net. Il voulait éradiquer l’éventualité selon laquelle l’activité cérébrale pouvait être due à une réaction auditive. Il formula ses phrases dans le désordre, sans un quelconque sens dans ses paroles. L’activité cérébrale cessa immédiatement.
Il avait enfin la preuve que le cerveau ne réagissait uniquement qu’à ce qui avait un sens. Il ne réagissait pas seulement au son, mais au sens des phrases qui étaient dites. Owen conclut que bien que le cerveau fût cliniquement mort, l’esprit lui ne l’était pas, et comprenait précisément tout ce qu’on lui disait.
La Torah considère qu’un esprit a encore le pouvoir de s’élever malgré la souffrance physique et la paralysie, que ce soit par le repentir ou par la réalisation des commandements constants (Mitsvot Tmidiot) telle que la crainte de D.ieu, son Unicité etc. qui n’ont besoin de rien d’autre que l’esprit pour se réaliser.
1 Traité Chabbath page 151
2 Choul’han Aroukh, Yoré Déa, Chapitre 331, alinéa 1
3 Rama, Yoré Déa, 439 alinéa 1, (voir aussi le Rav Yaakov Sasson au nom du Rav ‘Ovadia Yossef)
4 Rav Moché Feinstein, Yoré Déa, partie 2 alinéa 174.
5Ezechiel 18, 4
6 Michael Egnor: The Evidence against Materialism