Dans une lettre à sa femme, le Gaon de Vilna écrit : « car c'est l'essentiel de la Torah : rendre autrui joyeux. » Nous sommes familiers avec le verset (Lévitique. 19, 18) : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Le commandement d’Ahavat Israël, aimer son prochain, est considéré comme l’une des Mitsvot les plus fondamentales du judaïsme. Rabbi 'Akiva dit à ce sujet : « Ceci est un principe fondamental de la Torah. » (cf. Sifri 2, 12). On raconte dans le Talmud qu’une fois un non-juif vint trouver Chamaï et lui dit : « Je me convertirai seulement si tu m’enseignes toute la Torah pendant que je me tiens sur un pied. » Chamaï le repoussa avec la règle de menuisier qu’il tenait en main. Loin de se décourager, le non-juif se rendit chez Hillel qui accepta de l’aider à se convertir. Celui-ci lui dit : « Tout ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais point à ton prochain. C’est toute la Torah ! Le reste, ce sont les explications de cette loi. Va étudier. » Selon le Kéli Yakar, le non-juif ne souhaitait pas être sarcastique. Il cherchait plutôt à connaître le pilier (le pied sur lequel toute la Torah) du judaïsme afin d’apprendre plus facilement les Mitsvot. Hillel lui enseigna que l’amour du prochain est le véritable socle du judaïsme. C’est la Mitsva sur laquelle reposent toutes les autres.
Nous savons que les Mitsvot se scindent en deux grands groupes. Il y a les Mitsvot envers autrui et celles envers D.ieu. Si l’amour du prochain est un socle pour les Mitsvot envers autrui, qu’en est-il des Mitsvot envers D.ieu ? Telle est la question de Rav Elhanan Wasserman. Il répond avec une sentence talmudique (Kidouchin 40b) que l’on retrouve dans le Michné Torah de Maïmonide (Lois du Repentir III, 4) : « Chaque homme doit considérer toute l’année comme s’il était moitié innocent, moitié coupable, et que le monde entier était moitié innocent, moitié coupable : s’il commet une faute, il fait pencher le plateau de la culpabilité contre lui-même ainsi que le monde entier, et cause sa destruction. S’il accomplit un commandement, il fait balancer le plateau du mérite en sa faveur et en faveur du monde, et apporte pour lui-même et pour les autres le salut et la délivrance, comme il est dit : « Le juste est le fondement du monde », c'est-à-dire celui qui agit avec justice fait pencher le plateau du mérite en faveur du monde entier et le sauve. »
Il faut savoir que la Mitsva apporte le bien et la pureté non seulement pour soi, mais pour le monde entier. La faute apporte quant à elle l’inverse, à D.ieu ne plaise. Le respect des Mitsvot envers D.ieu constitue ainsi un bien pour autrui. C’est bien beau, me direz-vous, mais doit-on vraiment aimer son prochain comme soi-même ? Comment est-ce possible ? Doit-on aimer un impie ou quelqu’un qui ne nous aime pas ?
Afin de répondre à ces questions, il convient de connaître les racines de la Mitsva d’aimer son prochain d’un amour gratuit. Pourquoi doit-on aimer autrui ? Certes, cela améliore nos traits de caractère, mais encore ?
Il est écrit (Genèse 1, 26-27) : « D.ieu dit : "Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance…" D.ieu créa l’homme à Son image ; c’est à l’image de D.ieu qu’Il le créa. Mâle et femelle furent créés à la fois. » L’homme fut donc créé à l’image de D.ieu. Qu’est-ce que cela signifie ? Nos maîtres enseignent que D.ieu lui insuffla une « parcelle » du Divin, si l’on peut dire. C’est ce qui le rend si précieux comme Rabbi 'Akiva le dit : « Bien-aimé est l’homme pour avoir été créé à l’image [de D.ieu] ; c’est un surcroît d’amour que de lui avoir fait savoir qu’il a été créé à l’image [de D.ieu], car il est dit : car c’est à l’image de D.ieu qu’Il créa l’homme. » L’être humain mérite un surcroît d’amour gratuit, car il a été créé à l’image de D.ieu. Ceci est d’autant plus vrai pour Israël qui est appelé « enfants » comme il est écrit : « Vous êtes les enfants de l’Éternel votre D.ieu. » Chacun de nous possède une âme divine et est l’enfant chéri de D.ieu. Mon prochain mérite que je l’aime comme moi-même, car il est mon semblable. Certes, Rabbi 'Akiba a enseigné à propos du verset : « Et ton frère vivra avec toi » : néanmoins, ta vie passe avant celle de ton frère (Cf. Baba Metsia 62a). Cependant, dès lors que la vie n’est pas menacée, l’amour du prochain se doit d’être considérable. L’homme est un potentiel et comme tout potentiel, il doit se révéler. Il en est de même de l’amour du prochain. Rav Elihou Dessler enseigne que l’amour se révèle par le don. Ce n’est pas parce qu’on aime que l’on donne, mais parce qu’on donne que l’on aime. C’est donc en donnant à autrui gratuitement que l’on parvient à aimer les gens. Qu’en est-il du fauteur ou de celui qui ne nous aime pas ?
Rabbi Chnéor Zalman de Liadi écrit (Tanya chap. 32) : « Ce qui est cité dans le Talmud, à savoir que haïr un impie est une Mitsva, s’applique seulement au cas où il est ton égal dans la Torah et les Mitsvot et que tu l’as vu fauter, l’as réprimandé et qu’il a continué à mal agir. » Mais s’il t’est inconnu, Hillel l’Ancien nous a enseigné : « Sois le disciple d’Aaron, aime la paix et poursuis-la, aime les créatures de D.ieu et rapproche-les de la Torah. » Il faut rapprocher par des liens d’amour très fort ceux qui sont loin de la Torah. C’est pour cela que les Mitsvot d’aimer et de haïr son prochain coexistent. C’est une Mitsva de haïr le mal qui se trouve en son prochain, tout en aimant l’étincelle cachée, empreinte de sainteté, qui réside en lui. »
Que D.ieu nous aide à révéler notre amour à tous et sans condition.