Cette expression « Man malkhé ? Rabbanan » est citée par le Beth Yossef dans Ora’h ‘hayim 1. Ainsi que l’explique le rav Zékharia Touvi, la nomination d’un roi dans le peuple juif ne constitue en réalité qu’un pis-aller. En effet, si le peuple juif vivait une situation idéale dans son rapport avec Hachem, c'est-à-dire s’il était empreint de la crainte de D.ieu, il n’aurait été nullement nécessaire de lui imposer l’autorité d’un roi humain. En effet, la fonction principale d’un roi est d’imposer à son peuple son autorité dans le but de maintenir la paix civile et d’éviter l’anarchie. C’est ce qui apparaît dans Pirké Avot 3,2 (Maximes des Pères) : « Veuillez prier pour le salut de la royauté, car si son autorité faisait défaut, les gens s’entredévoreraient ».
Du fait qu’aujourd’hui le peuple juif ne se trouve pas être à un niveau suffisant de crainte de D.ieu, il a besoin d’un roi humain pour acquérir précisément cette crainte de D.ieu. C’est ce qu’exprime le verset dans Yich’aya 29,13 : « Leur crainte de Moi leur fut enseignée par des hommes ». Cela signifie que le peuple juif doit retrouver le concept de crainte du Ciel à travers la crainte qu’il éprouve notamment pour ses dirigeants politiques.
A l’inverse le roi d’Israël, lui, développe sa crainte de D.ieu directement à partir de la Torah, comme il est dit : « Lorsqu’il règnera, il se fera écrire ce livre de la Torah » (Devarim 17 18). Nos Sages ont enseigné dans le traité Sanhédrin 21b : « [le roi possédait] deux sifré Torah, l’un qui était déposé dans la salle des trésors et l’autre qui l’accompagnait dans ses déplacements ». De là nous apprenons une leçon fondamentale : la royauté dans le peuple juif trouve sa source dans la Torah.
En réalité, chaque membre du peuple juif aurait dû pouvoir développer sa crainte de D.ieu à partir de la Torah au même titre que le roi d’Israël. Si tel avait été le cas, nous n’aurions pas eu besoin de roi. En effet, nous aurions été empreints de crainte du Ciel et n’aurions pas eu besoin de craindre un roi de chair et de sang. Par contre, lorsque la situation spirituelle du peuple juif n’est pas satisfaisante dans la mesure où il ne possède pas de crainte du Ciel, tout au moins en quantité suffisante, il a un besoin impératif de l’institution royale, pour pouvoir développer sa crainte du Ciel à partir de la crainte qu’il éprouve vis-à-vis du roi.
De la sorte, l’idéal serait que nous puissions développer notre crainte de D.ieu directement à partir de la prise de conscience de la royauté divine, car comme nous l’enseigne le verset des Téhilim : « Ta Royauté [s’étend] sur tous les mondes » (Téhilim 145,13). Et finalement, ce qui va justifier l’appellation de « roi » qu’on accorde à un simple être humain, c’est que par son intermédiaire l’on parvient à une reconnaissance de la royauté de D-ieu, reconnaissance qui nous mène à la crainte de D-ieu.
Tous les Juifs sont appelés « Bné mélakhim » (princes), car chaque Juif doit développer une crainte d’Hachem telle, que chaque être humain à son contact doit pouvoir comprendre ce qu’est la crainte du Ciel, comme il est écrit dans Devarim 28,10 : « Et tous les peuples de la terre verront que le nom de D. est invoqué à ton propos et ils te craindront ». Ainsi est-il dit à propos d’Avraham avinou dans Michlé 24,21 : « Crains D. mon fils et règne ». En effet, Avraham avinou était arrivé à un tel niveau de connaissance de D-ieu, que les gens à son contact parvenaient à ressentir la crainte du Ciel. De ce fait, il mérita le titre de roi que lui accorde le verset de Michlé.
De la même manière, tout érudit de la Torah qui amène les gens à prendre sur eux le joug de la royauté divine, mérite le titre de roi. Voilà qui explique le sens de l’adage de nos Maîtres : « Man malkhé ? Rabbanan ». Parfois la simple vision d’un talmid-‘hakham (érudit de la Torah) dont le visage est empreint de crainte de D.ieu amène celui qui le contemple à la crainte du Roi des Rois. Quoi de plus justifié alors pour un tel Sage que de mériter le titre de roi…
Cette royauté s’exprime de manière concrète de nos jours.
Lorsque le 27 novembre 2011, le Premier ministre de l’Etat d’Israël, Binyamin Netanyahu s’est rendu au domicile de maran Rabbi Ovadia Yossef pour une visite de la plus haute importance, accompagné de ses ministres Elie Yichaï et Ariel Attias, il nous a été donné le privilège de vivre en direct ce qu’est la royauté d’un talmid-‘hakham de l’envergure de rav Ovadia Yossef zatsal.
Netanyahou a pénétré dans l’immense bibliothèque privée du rav, entouré de ses ministres et de ses gardes du corps. Le rav zatsal était plongé corps et âme, comme à son habitude, dans l’étude de la Torah, avec à ses cotés son fidèle disciple, le rav Eliyahou Chétrit. Maran harav Ovadia ne s’est absolument pas rendu compte de la présence du premier ministre ! Le ministre Elie Yichaï a eu beau essayer de lui dire que le premier ministre était là, il n’y avait rien à faire, la concentration du rav sur son étude était telle que rien ne pouvait l’en détourner, pas même la visite du Premier Ministre en personne !
Ce n’est qu’au bout de longues minutes (une demi-heure !) que le prince de la Torah, maran zatsal a levé la tête et s’est rendu compte de la présence de son hôte célèbre…
Quelle plus belle illustration de la primauté de la Torah, devant laquelle s’effacent les princes et les gouvernants…