Le monde change, les mentalités évoluent, et pourtant les Juifs fidèles à la tradition continuent de se marier en employant la même méthode depuis des millénaires – celle du Chiddoukh (« rencontre organisée »). Alors de quoi s’agit-il vraiment et pourquoi ce procédé ancestral continue-t-il de fonctionner ? Toutes les réponses dans l’article qui suit !
Petit historique du Chiddoukh
Le premier Chiddoukh de l’humanité, tel qu’il est rapporté dans la Torah, fut organisé entre nos ancêtres Its’hak et Rivka. Du récit qu’en fait la Torah dans la Paracha de ‘Hayé Sarah, il nous est donné de comprendre un tant soit peu quels sont les ingrédients de base d’un Chiddoukh.
Nous voyons que les préoccupations principales d’Avraham lorsqu’il entreprit de trouver une femme pour son fils Its’hak furent que la jeune fille en question provienne tout d’abord d’un milieu sain : « Et je te ferai jurer par Hachem (…) que tu ne prendras pas femme pour mon fils parmi les filles des Kenaanites (Cananéens) au milieu desquels j’habite », dit-il à son serviteur Eliézer (Béréchit 24, 3). Ces femmes étaient en effet, précisent nos Sages, corrompues et perverties. Fort des recommandations de son maître, Eliézer partit à la recherche d’une femme pour Its’hak ; en chemin, il formula une prière : « Hachem, D.ieu de mon maître Avraham ! Fais survenir, de grâce, devant moi aujourd’hui [une rencontre], et fais une faveur à mon maître Avraham ! (…) La jeune fille à laquelle je dirai : “Incline, de grâce, ta cruche et je boirai” et qui dira : “Bois, et je donnerai aussi à boire à tes chameaux !” sera celle que Tu auras désignée pour Ton serviteur, pour Its’hak » (ibid. 24,12-14). La seconde préoccupation d’Avraham et d’Eliézer était donc que la jeune fille soit dotée d’un bon caractère, qu’elle soit altruiste. Effectivement, Hachem écoutera la requête d’Eliézer et enverra sur son chemin Rivka, qu’Eliézer ramènera avec lui après avoir été très fortement impressionné par son comportement d’une bienveillance exceptionnelle.
Il est du reste intéressant de constater qu’à de nombreuses reprises dans la Torah, les rencontres qui débouchèrent sur des mariages eurent lieu à proximité de puits (Its’hak et Rivka, Ya’acov et Ra’hel, Moché et Tsipora). Or, dans la mystique juive, le puits représente la Torah, sans laquelle toute relation maritale solide n’est pas envisageable.
Il semble donc que les quatre piliers du Chiddoukh soient : la prière, la recherche d’une personne provenant d’un bon milieu, l’assurance qu’elle possède de bons traits de caractère, et une disposition claire à accomplir la Torah.
Vous avez dit love-story ?
Tout cela est bien joli, objecterez-vous, mais est-ce que ça n’appartient pas à une époque lointaine et révolue ? N’est-il pas temps pour les Juifs observants de se mettre enfin à la page et d’adopter le mode contemporain de rencontres, fait de liberté, de séduction et d’expériences multiples ? Et puis, comment peut-on être assez fou pour lier son destin à une personne que l’on connaît à peine ?!
Avant d’aborder le fond de la question, rappelons au passage que si le taux généralement admis de divorce dans la communauté juive avoisine les 50%, dans le milieu orthodoxe israélien, où la seule et unique méthode de rencontre est le Chiddoukh, il n’est que de 10% environ…
Dans le monde non-religieux, l’on pourrait résumer le mode de rencontre selon la formule suivante : attirance physique + jeu de séduction + relation sans engagement + hésitations + pression sociale = mariage. On fait connaissance souvent au hasard des rencontres, au détour de soirées arrosées ou, dans le meilleur des cas, sur les bancs de la fac. Un sourire charmeur, un regard intéressé, le garçon fait la roue (un peu comme un paon), la fille la joue “hard-to-get” et très vite, les voilà en couple, mus par des intérêts communs et une bonne dose d’addiction physique. Parfois on emménage ensemble, parfois on reste chacun de son côté, dans tous les cas on se retrouve engagé dans une relation qui a presque tout d’une vie maritale, l’engagement mutuel en moins.
Dans ces conditions, pas étonnant que la relation ne tienne pas, qu’elle soit ponctuée de tromperies, de déceptions, etc. Sans responsabilité réelle de part et d’autre, comment pourrait-il en être autrement ? C’est sans compter les inévitables souffrances endurées par chacune des parties, les fameux « cœurs brisés ». Qui peut évaluer l’ampleur des dégâts sentimentaux causés par ce mode de fonctionnement malsain et destructeur ?
Parfois, l’affaire se termine tôt ou tard par un mariage, après que les deux compagnons aient largement eu l’occasion de voir leur enthousiasme s’émousser et que l’amertume ait pris la place de la candeur initiale. C’est alors souvent à reculons que les mariés avancent vers leur dais nuptial… On comprend dès lors pourquoi ce genre de mariage échoue dans la plupart des cas et pourquoi ceux qui tiennent sur le long terme ne sont pas forcément les mariages les plus heureux…
Le Chiddoukh, ou la rencontre organisée
Face à ce schéma qui, s’il est très largement plébiscité, ne garantit assurément pas le bonheur, se tient la méthode du Chiddoukh, oui, la même que celle de l’époque d’Its’hak et Rivka… Les Juifs orthodoxes, mais pas que, tiennent à rencontrer leur partenaire pour la vie par son intermédiaire. Sa version actualisée, le date, relève quasiment du même principe et connaît un succès grandissant auprès des célibataires de tous bords. Alors, en quoi consiste-t-il exactement ?
Dans la pratique, on pourrait résumer le fonctionnement du Chiddoukh selon la formule : connaissance(s) commune(s) + prise de renseignements + rencontres + distance physique + compatibilité = mariage. Et, pour cette fois, mariage n’est pas égal à divorce.
Le principe est simple : une personne de notre entourage (membre de la famille, ami, Rav ou Rabbanite) qui nous connait bien et souhaite nous aider nous propose de rencontrer une autre personne de sa connaissance, qui semble nous correspondre sur plusieurs points (âge, situation familiale, niveau de religiosité, affinités, etc.). Si la proposition nous intéresse, va suivre ensuite une démarche de « prise de renseignements » (où on agit un peu comme un détective…) : il va s’agir d’interroger la famille, les amis ou encore les collègues du candidat au mariage au sujet de son parcours, sa situation familiale, mais aussi son caractère, ses qualités etc., pour vérifier que tous ces points correspondent bien à ce que l’on recherche.
Après que les deux parties se soient dûment renseignées l’une sur l’autre, elles sont déjà en mesure de savoir si elles souhaitent passer à l’étape suivante : une rencontre en vrai. Le cas échéant, ce premier rendez-vous, qui dure généralement entre une et deux heures, pourra se tenir dans un café (pas un pub !), ou un restaurant calme. L’essentiel est d’être au calme et de pouvoir discuter dans une ambiance détendue. La conversation portera sur des sujets généraux (un peu comme un entretien d’embauche !) qui permettront de se faire une idée plus précise de la personne : d’où vient-elle ? Que fait-elle dans la vie ? Quel est son parcours ? Quels sont ses projets ? Ses centres d’intérêts ? Etc. A ce stade, les deux candidats au mariage doivent s’assurer qu’à part leurs personnes, deux éléments sont bien au rendez-vous : compatibilité et attirance. Attention, il va s’agir d’être capable de faire abstraction de ses sentiments pour l’instant et de faire marcher davantage sa tête sur la base de critères objectifs. Evidemment, pour favoriser cette démarche basée sur la raison, on ne se touche pas d’une quelconque manière, et ce jusqu’au mariage, ce qui aurait pour effet de troubler notre jugement. On évite également d’aborder des questions trop personnelles – on aura tout le temps de le faire par la suite, si suite il y a.
Une fois cette première rencontre achevée, on prend le temps de se la remémorer pour voir si on souhaite poursuivre. Nous fut-il agréable de passer du temps en la compagnie de l’autre ? Avons-nous envie de le/la connaitre davantage ? Sommes-nous compatibles en termes de niveau religieux et intellectuel, de projets de vie, de caractère ? Quelle que soit la réponse, il convient de contacter la personne qui joue l’intermédiaire entre nous, afin de lui faire part de nos impressions et de nos intentions. On ne le fait jamais de manière directe : on ne souhaite ni faire de peine à autrui, ni se retrouver soi-même dans une situation délicate…
Si les deux parties le souhaitent, un second rendez-vous est fixé. Cette fois, la conversation peut être plus informelle et détendue. D’une manière générale, on peut aborder un éventail plus large de sujets (dans les limites de la pudeur, bien sûr) ; on garde l’œil ouvert sur la manière de notre interlocuteur de se comporter, de réagir aux différentes situations. On se pose la question de savoir si sa compagnie nous est agréable, si nous apprécions de nous retrouver en sa présence.
Si la réponse à ces questions est oui, que l’attirance est mutuelle, et que les points vérifiés au cours des rencontres nous satisfont, on peut continuer à se rencontrer plusieurs fois, jusqu’au jour où, puisque c’est bien pour cela que nous sommes là, il va s’agir de prendre la décision fatale : se marier ! Mais avant d’évoquer ce sujet, il va nous falloir tout d’abord aborder un point essentiel du Chiddoukh…
Droit au but !
L’une des critiques que l’on entend le plus souvent sur la méthode du Chiddoukh concerne la rapidité relative avec laquelle une décision aussi cruciale que celle de se marier est prise. Comment connaître réellement une personne en seulement quelques rencontres, soit quelques heures ?!
En fait, comme nous l’avons vu, le Chiddoukh fonctionne de manière radicalement différente des rencontres qui ont lieu dans le monde non-religieux. Dans un Chiddoukh, des gens bien intentionnés nous renseignent à la base de manière objective sur le candidat au mariage. Il nous est donné, avant même de le/la rencontrer, de savoir si nos parcours et nos aspirations correspondent. Les deux protagonistes partagent l’objectif commun de se marier et n’aspirent pas à des rencontres sans lendemain. Tout le jeu de séduction consistant à flatter, à faire semblant, à jouer au désinvolte, à la femme fatale etc. est économisé. On est peut-être appelé à passer le restant de nos jours ensemble, alors à quoi bon jouer la comédie ?
On comprend bien que tous ces éléments changent radicalement la donne et ont pour conséquence d’épargner dans une large mesure aux postulants déconvenues, déceptions, espoirs infondés, illusions quant aux intentions de l’autre etc. Les rencontres sont suffisamment franches pour permettre aux deux personnes de se découvrir sincèrement. C’est autant de temps gagné sur le chemin menant à la ‘Houppa !
Quand, enfin, la décision de partager leur vie ensemble est arrêtée, la confiance, l’enthousiasme et la pureté sont préservés. Preuve en est que la plupart de ces unions sont des mariages heureux, et même si certains points demandent à être améliorés par la suite, c’est sur une base saine et non émoussée par des années de souffrances.
En conclusion
Nos Sages affirment dans le Zohar (Parachat Terouma) que la Torah est antérieure au monde. Au point que pour créer le monde, D.ieu consulta d’abord la Torah ! Cela signifie que les enseignements de la Torah correspondent de manière parfaite au monde et à l’homme puisque c’est sur cette base que ces deux derniers furent créés. Comme dans de nombreux autres domaines, en matière de mariage aussi, il nous est donné de contempler à quel point la sagesse Divine est profonde en cela qu’elle apporte à l’homme les réponses parfaitement adaptées. Ce que nos contemporains, avec tous les outils modernes dont ils disposent, n’arrivent désespérément pas à atteindre – le bonheur dans le mariage –, la Torah est capable de le réaliser avec une précision déconcertante. « Goûtez, et voyez comme D.ieu est bon ! », s’exclamait le roi David dans ses psaumes. Le Chiddoukh est l’une des innombrables façons de s’en apercevoir…