Au cœur de l’esclavage égyptien, dans un monde de violence et d’oppression, une des clefs de la délivrance réside dans la Midda de « Ahavat Israël » qui va se manifester dans notre Sidra à différents niveaux.
Tout d’abord, nos Maîtres nous enseignent que c’est cette qualité qui va être déterminante dans la désignation de Moché Rabbénou comme leader du peuple Juif, et intermédiaire de l’Éternel pour affranchir les enfants d’Israël du joug égyptien.
En effet, lorsque Moché sort de son palais royal, la Torah nous dit qu’il est touché par la souffrance de ses frères. Le verset appelle ainsi le commentaire : « Moché grandit, sortit vers ses frères et observa leurs fardeaux » (Chémot, 2; 11). Et Rachi de préciser qu’il est sorti précisément dans l’intention non seulement « d’observer » leurs souffrances mais en outre de « les partager ». Alors qu’il a « grandi » dans le palais de Pharaon, au sens propre et au sens figuré (il a grandi dans les honneurs du protocole égyptien, il est devenu une personnalité de l’establishment égyptien), il ressent toujours une fraternité vis-à-vis du peuple hébreu. Il ne détourne pas les yeux de leurs souffrances, mais il ressent une empathie naturelle à leur égard ; il s’intéresse à eux, et souffre avec eux.
Nos Maîtres nous enseignent que cette capacité à fuir l’indifférence, à ressentir une communauté de destin avec ses frères, à compatir avec eux, a été déterminante aux yeux de l’Éternel pour désigner Moché Rabbénou comme le dirigeant du peuple d’Israël.
Les Sages du Midrach nous disent ainsi que le Maître du monde se serait exclamé ainsi : « de même que toi, Moché, tu es capable de quitter les honneurs dus à ton rang, à la fois en tant que dignitaire égyptien, mais aussi en tant que Lévi, alors Moi, Je vais laisser les mondes supérieurs et inférieurs, pour venir M’adresser directement à toi. » (Chémot Rabbah 1; 27)
Cette qualité de sensibilité à la souffrance de l’autre est déterminante, dans notre tradition, pour élever un homme à la qualité de guide du peuple d’Israël. C’est ainsi que bien souvent, avant de diriger le peuple, les grands hommes de notre peuple ont occupé la fonction de berger. Cette fonction impose de veiller à chacune des bêtes du troupeau, de veiller à leurs besoins, d’être attentif à leurs souffrances, et si l'une d'entre elles s’échappe, de veiller à la ramener au sein du troupeau.
Par ailleurs, l’importance de la « Ahavat Israël » (« amour du prochain ») se retrouve lorsque l’Éternel demande à Moché Rabbénou de prendre la direction du peuple. Ce dernier refuse à quatre reprises, pour des motifs différents. Trois de ces arguments relèvent de l’infinie modestie de Moché : « Je n’en suis pas digne » « Je ne suis pas un homme de mots » « Prends quelqu’un d’autre ».
Mais il est un autre argument avancé par Moché Rabbénou, étonnant et porteur de profonds enseignements : Moché craint que le peuple ne le croie pas. Échaudé par les premiers contacts qu’il a eus avec le peuple quelque temps auparavant, Moché redoute de devoir affronter le scepticisme du peuple, et son refus de l’écouter. Aussi dit-il à Hachem : « Mais ils ne me croiront pas. Ils ne m'écouteront pas. Ils diront :"D.ieu ne t’est pas apparu." » (4;1)
Suite à cet épisode, D.ieu va donner des signes miraculeux à Moché qui lui permettront d’entraîner l’adhésion du peuple : son bâton qui se transforme en serpent, le Nil qui se transforme en sang, mais aussi un autre signe plus étonnant, sa main qui devient subitement lépreuse. Ce dernier signe ne sera pas utilisé plus tard par Moché. Il réapparaîtra toutefois lors de la punition infligée à Myriam pour avoir critiqué son frère ; elle deviendra elle-même lépreuse.
Et, de fait, Moché Rabbénou reçoit ici un avertissement pour avoir « médit » du peuple en doutant de sa foi - Ils ne me croiront pas -, et pour en avoir fait part à Hachem. L’Éternel lui rappelle que pour devenir un authentique leader, il ne doit jamais se départir de certaines qualités, au premier rang desquelles : la bienveillance et l’amour du peuple.
La méfiance envers le peuple est contraire non seulement à l’amour et la considération que l’Éternel souhaite que nous nous portions mutuellement, mais elle vient aussi fragiliser la capacité de leadership de Moché. En effet, cette dernière repose sur la capacité du dirigeant à « croire dans son peuple ». Plus il est convaincu que le peuple le suivra, qu’il est capable de se dépasser et d’atteindre des objectifs ambitieux, plus il sera en mesure de le mener vers le succès.
Enfin, l’importance de la Ahavat Israël se remarque dans notre Sidra à travers l’abnégation des sages-femmes. En effet, ces dernières n’hésitent pas à se mettre en danger pour sauver les enfants hébreux. Non seulement, elles leur permettent de survivre en désobéissant aux funestes décrets de Pharaon, mais en outre, elles prennent soin d’eux, elles leur parlent avec douceur… Elles puissent leur courage précisément dans l’amour du prochain qu’elles ressentent intuitivement. À cet égard, les versets de la Torah nous précisent comment elles ont pu trouver cette force : non pas dans leur sensibilité, dans la pitié qu’elles ressentaient vis-à-vis de ces enfants, mais en raison de leur « crainte de D.ieu ». « Mais les sages-femmes craignaient D.ieu : elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte, elles laissèrent vivre les garçons. (Chémot 1; 17) »
Cet enseignement est fondamental car la Torah, bien qu’elle exhorte les hommes à agir avec leur cœur, se méfie aussi des actes qui sont uniquement motivés par la sensibilité. En effet, tant que l’homme ressent spontanément la bonne manière d’agir, il agira avec vertu, en revanche, s’il ne le ressent pas pour différentes raisons (fatigue, angoisse, tristesse, rancune…), il ne trouvera pas la force d’agir avec bonté. Voilà pourquoi, une forme supérieure d’amour du prochain est l’amour qui est motivé non pas uniquement par les sentiments mais aussi et surtout par la crainte de D.ieu. Elles recevront ainsi une récompense éminente : bâtir des « maisons », c’est-à-dire des lignées de descendants prestigieux, empreints de la crainte du Ciel.
Au début de ce livre de Chémot, à l’heure où les premiers jalons de la délivrance se mettent en place, nous voyons que la qualité déterminante qui est l’œuvre est celle de l’amour du prochain, la « Ahavat Israël ». Puissions-nous, avec l’aide d’Hachem, nous renforcer dans cette qualité afin de mériter à notre époque également une délivrance complète avec la venue prochaine du Machia’h !