« Rabbane Gamliel, fils de Rabbi Yehoudah Hanassi dit : "Il est bon de concilier l’étude de la Torah avec le Dérekh Erets, car leurs efforts associés occultent [la tentation de] la faute ; et toute étude de la Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail est vouée à la perte et entraîne la faute." »

Première partie

La Michna nous apprend qu'il est bon (Yafé) de concilier la Torah au Dérekh Erets, car leurs efforts associés occultent la faute. Ce passage soulève de nombreuses questions, mais il est d'abord nécessaire de donner une définition du Dérekh Erets. Les commentateurs nous en proposent plusieurs définitions, mais dans ce texte, nous nous focaliserons sur l'explication la plus courante, selon laquelle le Dérek Erets se réfère au fait de travailler pour gagner sa vie. D'après cette définition, la Michna explique que l'homme doit conjuguer son étude de la Torah à un travail afin d'éviter de fauter. La question se pose : pourquoi est-il nécessaire de se consacrer à la fois à l'étude et au travail, n'est-il pas suffisant de se consacrer à l'un des deux domaines ? Ils offrent bien entendu divers bénéfices qui s'associent pour écarter la faute et les commentateurs débattent de la nature de ceux-ci :

Le Barténoura explique qu'ils servent tous deux à affaiblir l'homme au point que son Yétser Hara (mauvais penchant) s'annule en raison de son épuisement. L'étude de la Torah affaiblit l'homme au niveau intellectuel et affectif, tandis que le travail affaiblit le corps de l'homme. [1] En conséquence, au terme d'une journée d'étude et de travail, le Yétser Hara de l'homme est trop affaibli pour tenter de le faire fauter. Lorsque la Michna poursuit en affirmant que la Torah sans métier conduit à la faute, elle anticipe une question : pourquoi n'est-il pas suffisant d'étudier, de sorte que l'homme n'ait pas la force de fauter ? La Michna répond que dans ce cas, la personne risque de souffrir de pauvreté et la pauvreté incite souvent l'homme à tenter de gagner de l'argent par des moyens interdits, d'où la nécessité de travailler afin de gagner suffisamment pour vivre afin d'éviter la faute.[2]

Le Méiri explique la Michna de manière légèrement différente : il est d'accord sur le fait que le travail est nécessaire pour éviter la pauvreté et le risque corrélatif de gagner de l'argent de manière malhonnête, mais il affirme que l'étude de la Torah est nécessaire afin que l'homme connaisse les lois et puisse respecter la Torah correctement. En l'absence d'étude de la Torah, on en vient immanquablement à fauter, par manque de connaissances des myriades de détails de la Loi juive.

Rav 'Haïm de Volozyne, dans son commentaire sur Avot, Roua'h 'Haïm, offre une interprétation novatrice de la première clause, selon laquelle l'étude de la Torah est positive lorsqu'elle est associée au Dérekh Erets. Il explique que même lorsqu'un individu travaille, il doit penser à des sujets de Torah, et qu'associé à un travail physique, la faute sera oubliée.[3] Il relève que malheureusement, il n'est pas peu rare que les hommes pensent à leur travail durant le temps dédié à la Torah ou à la prière, et au minimum, pour contrer cet effet, il faudra penser à des sujets de Torah pendant leur temps de travail !

Il poursuit en expliquant que la seconde clause, selon laquelle la Torah sans métier conduit à la faute, vient enseigner un mode de vie souhaitable pour la majorité des hommes, qui doivent travailler le temps nécessaire afin de gagner leur vie. Un homme ne doit pas seulement étudier toute la journée, et faire confiance à Hachem pour subvenir à ses besoins, sans faire aucune Hichtadlout (effort physique). Il nous renvoie à une célèbre Guémara[4] qui décrit deux approches différentes de l'étude et du travail. Rabbi Chimon bar Yo'haï comprit que l'homme devait étudier toute la journée et avoir confiance en Hachem pour son gagne-pain, car il ne pouvait envisager qu'un homme passe une bonne partie de sa journée plongé dans des activités du quotidien. En revanche, Rabbi Ichmaël soutenait qu'un homme doit travailler suffisamment pour gagner sa vie et ne pas s'appuyer sur Hachem, et étudier le reste du temps. La Guémara conclut que de nombreux hommes tentèrent de vivre selon l'approche de Rabbi Chimon sans réussir, tandis que de nombreuses personnes ont tenté la méthode de Rabbi Ichmaël et ont réussi. Cela s'explique par le fait que l'approche de Rabbi Chimon nécessite un niveau élevé de Bita'hon (confiance en Hachem), qui est au-dessus du niveau de la majorité. En conséquence, pour la majorité des gens, il conclut qu'il est nécessaire de travailler suffisamment afin de gagner sa vie.

Dans le texte suivant, nous analyserons plus en profondeur le désaccord entre Rabbi Chimon et Rabbi Ichmaël et son impact concret sur notre vie aujourd'hui.

 

[1] Le message est que Barténoura évoque un travail impliquant un effort physique important, ce qui correspondait aux emplois les plus fréquents à son époque, alors que de nos jours, de nombreux métiers n'exigent aucun effort physique, mais beaucoup d'efforts intellectuels, et donc son raisonnement serait également valable aujourd'hui.

[2] Nous évoquerons dans les prochains articles des enseignements de nos Sages selon lesquels il existe des exceptions au principe de travailler et d'étudier à la fois.

[3] Soulignons que Rav 'Haïm décrivait clairement un travail impliquant un gros effort physique, comme le travail dans les champs – dans de tels cas, avoir des pensées de Torah ne distrait pas l'homme de son travail. Mais si un homme a pour métier un travail qui nécessite de la concentration, dans ce cas, il sera interdit d'avoir des pensées de Torah si cela risque de le distraire de son travail, s'il est employé par quelqu'un d'autre pour travailler au mieux de ses capacités.

[4]Brakhot 35b.