« Il avait l'usage de dire : réalise Sa volonté comme si c'était la tienne, afin qu'Il fasse de la tienne la Sienne. »
La Michna nous enseigne que chaque personne doit s'efforcer de réaliser la volonté de Hachem comme si c'était la sienne, et en conséquence, Hachem fera de sa volonté la Sienne. Qu'est-ce que cela signifie exactement ? Une possibilité : un homme doit façonner ses désirs afin qu'ils soient identiques à ceux de Hachem. Le problème de cette interprétation est que la promesse de Hachem de faire la volonté de l'homme la Sienne semble évident – si les désirs d'un individu sont identiques à ceux de Hachem, alors bien entendu, Hachem accédera aux désirs de l'homme, car ce sont les Siens.
Autre explication possible : la Michna nous demande d'agir dans des domaines qui relèvent clairement du Ratsone Hachem (volonté divine) avec la même attitude et le même enthousiasme que lorsque nous réalisons nos propres désirs, comme notre espoir d'avoir une stabilité financière ou de réussir dans notre domaine de spécialité.
L'idée que l'on doit s'efforcer d'agir avec autant d'ardeur dans notre 'Avodat Hachem (service divin) que dans d'autres domaines, se retrouve d'une manière différente dans plusieurs endroits de la Torah : dans la Paracha de Vayichla'h, lors de son retour en Erets Israël, Ya'acov Avinou envoie un message de paix à son frère hostile 'Essav. Son message débute ainsi : « J'ai séjourné chez Lavan et prolongé mon séjour jusqu'à présent. »[1] Rachi, en s'appuyant sur nos Sages, commente les termes de Ya'acov : «Tout en séjournant chez Lavan l’impie, j’ai continué d’observer les six cent-treize commandements et je n’ai pas suivi ses mauvais exemples.»[2] Les commentateurs s'interrogent : le message adressé par Ya'acov à 'Essav est très apaisant, mais ce passage semble antagoniste : comment peut-on le concilier avec le reste des propos de Ya'acov ? Le 'Hafets 'Haïm répond en interprétant les termes de nos Sages de façon novatrice. Lorsque Ya'acov affirme avoir respecté les Mitsvot, sans avoir suivi le mauvais exemple de Lavan, il se critiquait lui-même. Il argumentait qu'Essav n'avait rien à craindre de lui, car bien qu'il respectât les Mitsvot, il ne le faisait pas avec la même Zrizout (célérité) avec laquelle Lavan commettait ses méfaits. Lorsqu'il affirme n'avoir pas suivi le mauvais exemple de Lavan, il voulait signifier qu'il ne s'était pas poussé dans ses bonnes actions au même niveau que Lavan dans ses Maassim Ra'im, ses délits.[3]
Agir avec zèle dans les Mitsvot offrait une défense spirituelle contre Lavan, de manière à contrer le propre zèle de Lavan à faire le mal. Ce concept peut nous aider à résoudre un autre passage difficile. Lorsque le pervers Bila'am[4] se mit en route pour maudire le peuple juif, la Torah nous dit qu'il se leva (Vayakam) tôt le matin. Le Midrach Tan'houma affirme qu'en voyant cela, Hachem s'exclama : « Racha ! Avraham, leur père, t'a déjà dépassé, comme il est dit (dans le récit de la Akéda, le sacrifice d'Its'hak) : Vayachkem Baboker.[5] Les termes Vayakam et Vayachkem signifient tous deux « se réveiller », mais Vayachkem signifie se lever plus tôt que Vayakam. De ce fait, Hachem disait à Bil'am qu'Avraham s'était levé plus tôt le matin lorsqu'il se rendit à la Akéda, que Bil'am en chemin pour maudire le peuple juif. Quel est le sens de ce Midrach ? Rav 'Hanokh Harris chlita explique que Bil'am tentait de dresser un portrait sombre du peuple juif en montrant qu'il agirait avec plus d'ardeur dans le mal qu'eux dans leur Avodat Hachem. Or, Hachem lui rétorqua que le patriarche du Klal Israël, Avraham Avinou, avait déjà fait preuve d'un plus grand empressement en réalisant le Ratson Hachem que Bilam en le contredisant. En conséquence, les descendants d'Avraham ont hérité sa vertu de Zrizout et ont eu suffisamment de mérite pour contrer l'accusation de Bilam.
Nous avons vu comment la Michna nous demande de nous évertuer à mettre sur un pied d'égalité notre niveau dans les affaires non-spirituelles et le domaine spirituel. C'est un point très important, mais cette explication donne lieu à une nouvelle question, liée à la seconde clause, où Hachem promet de réaliser la volonté d'un individu de la même manière que si c'était Sa propre volonté : qu'en est-il si les désirs d'un individu ne sont pas conformes à ceux de Hachem ? Inutile de préciser que cela s'appliquerait si la personne veut commettre des actions interdites par la Torah, mais même dans des domaines de Réchout (action permise, mais qui n'est pas une Mitsva) comme gagner sa vie, les motifs de l'homme peuvent ne pas concorder avec ceux de Hachem. Par exemple, si un homme veut gagner de l'argent afin de pouvoir profiter d'articles de luxe pour lui-même, ou pour être honoré, cela ne peut être conforme au Ratson Hachem. Dans ce cas, Hachem pourrait-Il lui permette d'accomplir ses désirs faussés ? Nous traiterons ce sujet dans le prochain article.
[1] Vayichla'h, 32:5.
[2] Rachi, ibid.
[3] Cité par le Rav El'hanan Wasserman, et rapporté dans Talélé Orot, Béréchit, 2ème partie, p. 63.
[4] Qui est de manière intéressante, lié à Lavan : le Targoum Yonathan (Bamidbar 22:5) affirme qu'ils sont en réalité une seule et une même personne !
[5] Balak, 22:21 avec Rachi.