« Faites preuve de prudence avec les gouvernants (Réchout), car ils se lient d'amitié avec un homme uniquement dans leur propre intérêt ; ils font semblant d'être amis lorsque c'est à leur avantage, et ne sont pas présents aux côtés d'un homme au moment où il traverse des difficultés. »

Cette Michna, au niveau littéral, fait une assertion simple, mais très importante : la Michna précédente s'est achevée en soulignant les vertus d'une personne impliquée dans les activités communautaires pour de bonnes raisons. Nous nous sommes focalisés sur des exemples tels que l'enseignement ou l'implication dans une synagogue locale ou un organisme de 'Hessed, de bienfaisance. Or, un autre moyen important d'aider la communauté, tout au long de l'histoire juive, a consisté à travailler avec les dirigeants non-juifs de nos lieux de résidence. Ce concept se nomme Chtadlanout (il est dérivé du terme Hichtadlout, effort), une part essentielle de la Hichtadlout du peuple juif pour survivre et prospérer tout en vivant en exil. De nombreux dirigeants communautaires illustres ont réussi à défendre brillamment leur peuple dans de multiples domaines.

Cette Michna évoque ces hommes qui travaillent aux côtés des hommes politiques et dirigeants pour le bien de la communauté. Elle émet une mise en garde : il faut veiller à ne pas être utilisés par ces dirigeants pour leurs propres besoins, puis rejetés lorsqu'ils ne sont plus utiles, au détriment de la communauté. Une partie de cette méfiance consiste à ne pas leur révéler d'informations inutiles qui pourraient se retourner contre eux.

Nous apprenons ce principe de l'incident entre Ya'acov Avinou et ses fils.[1] Ses fils s'étaient rendus une première fois en Égypte pour demander de la nourriture aux dirigeants égyptiens, et rencontrèrent à leur insu leur propre frère Yossef qui occupait le poste de vice-roi d'Égypte. Au cours de leur discussion, ils révélèrent qu'ils avaient un autre frère à la maison, Binyamin. Cette information finit par se retourner contre eux, alors que Yossef mettait en doute leur honnêteté, et exigeait de faire venir Binyamin pour prouver la véracité de leurs dires. Lorsque Ya'acov l'apprit, il les critiqua pour avoir donné trop d'informations par rapport aux questions posées. Le Netsiv[2] explique qu'étant donné que le vice-roi ne leur avait pas demandé s'ils avaient des frères à la maison, ils auraient dû éviter de le mentionner. Le Nétsiv relève que Ya'acov est désigné ici par son autre nom, Israël. Ceci est une allusion au rôle de Ya'acov comme l'un des Patriarches du peuple juif, alors que le nom Ya'acov est davantage lié à son rôle de père de douze fils. D'après le Netsiv, ceci nous enseigne que Ya'acov ne se contenta pas de donner une leçon à ses fils, il enseigna une leçon capitale pour les futures générations : lorsque vous êtes contraints de comparaître devant des dirigeants hostiles, il ne faut jamais divulguer plus d'informations que nécessaire.

La Michna emploie le terme Réchout : l'interprétation standard de ce terme désigne des gouvernants, mais certains commentateurs affirment qu'il fait allusion au Yétser Hara, le mauvais penchant, et ils expliquent de ce fait la Michna de manière totalement différente, comme une leçon pour savoir comment traiter le Yétser Hara.[3] Comment perçoivent-ils une allusion au Yétser Hara dans le terme Réchout ? Le Ben Ich 'Haï[4] explique qu'il se nomme Réchout, du fait que Réchout signifie permission, et ceci est une allusion au fait que Hachem a donné la « Réchout » au Yétser Hara de tenter d'inciter l'homme à fauter. Ceci nous rappelle que le Yétser Hara n'est pas, que D.ieu préserve, une entité indépendante qui lutte contre D.ieu[5], mais il s'agit plutôt d'un agent de Hachem envoyé pour nous mettre à l'épreuve, dans l'espoir que nous relèverons les épreuves, pour nous rapprocher ensuite de Hachem. Mais si le Yétser Hara réussit, alors l'homme s'éloigne de Hachem.

Autre raison pour laquelle le terme Réchout ferait allusion au Yétser Hara : le Yétser Hara œuvre en affirmant à un homme que des actions interdites sont en réalité permises. Le Yétser Hara dit rarement à un homme que telle action est totalement interdite, mais qu'il faut néanmoins l'effectuer, car cette approche directe serait trop évidente. Elle dira plutôt à la personne que ce n'est pas du Lachon Hara (médisance) de dire du mal d'untel, mais qu'il s'agit plutôt d'une Mitsva, s'agissant d'une personne corrompue.[6]

En s'appuyant sur cette interprétation, la Michna nous avertit que le Yétser Hara se présente comme un ami qui s'intéresse à notre bien-être, alors qu'en réalité, en suivant son conseil, on s'attire uniquement des malheurs. Par exemple, il convaincra un homme de rester au lit le matin au réveil, compte tenu de sa grande fatigue, qu'il a besoin de plus de repos afin d'être plus en forme en se levant. Or, son but réel est d'entraîner l'homme à manquer l'heure de la prière. Après-coup, si l'homme en question procède à un 'Hechbon Néfech (examen de conscience), il réalisera qu'en réalité, le Yétser Hara ne l'aidait pas du tout, mais l'a entraîné à être perdant.

 

[1] Béréchit, chapitre 43.

[2] Netsiv Al Hatorah, Béréchit 43:6.

[3] Voir 'Hasdé Avot, Avot 3:3

[4] Cité par 'Hasdé Avot, Ibid

[5] Certaines religions adoptent ce point de vue selon lequel le Satan lutte contre D.ieu.

[6] Dans certaines occurrences, parler négativement sera permis, mais l'individu ne peut jamais savoir dans quel cas, à moins de maîtriser parfaitement les lois du langage.