« Rabbane Gamliel, fils de Rabbi Yéhouda Hanassi dit : "Il est bon de concilier l’étude de la Torah avec le Dérekh Erets, car leurs efforts associés occultent [la tentation de] la faute ; et toute étude de la Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail est vouée à la perte et entraîne la faute." »
Dans les deux articles précédents, nous avons abordé pourquoi il était nécessaire d'être impliqué dans la Torah en plus du Dérekh Erets[1] afin d'éviter la faute, et en particulier d'avoir de bons traits de caractère (Midot). Il est tout aussi important d'expliquer la nécessité de s'impliquer dans l'étude du Dérekh Erets afin d'éviter de fauter. Pourquoi n'est-il pas suffisant d'étudier simplement la Torah afin de devenir un Adam Hachalem (un homme complet), compte tenu de l'importance capitale de l'étude de la Torah ? Afin de traiter ce sujet, il sera instructif d'exposer un contexte historique de l'attitude du monde de la Torah face à des ouvrages d'étude qui se focalisent sur la crainte divine et les bonnes Midot, outre l'étude de la Guémara qui était jusque-là le point central de l'étude de la Torah.
La Guémara elle-même contient des sections de Agada qui traitent de sujets comme la Yirat Chamayim (crainte du Ciel) et les bons traits de caractère, mais la majorité de son étude est orientée sur la Halakha. En conséquence, les commentateurs ont jugé nécessaire d'écrire des œuvres distinctes sur ces thèmes, plusieurs centaines d'années avant le début du mouvement du Moussar. Des ouvrages tels que le 'Hovot Halévavot, le Or'hot Tsadikim et le Méssilat Yécharim étaient populaires parmi ceux qui étudiaient la Torah. Mais la majorité du temps était consacrée à l'étude de la Guémara et de la Halakha. De nombreux érudits en Torah soutenaient qu'en étudiant la Guémara en profondeur, on s'imprègne de toutes les leçons nécessaires en crainte divine et en développement de caractère qui étaient nécessaires. En effet, cela suit une interprétation de la Guémara selon laquelle Hachem déclare que tant que le peuple juif étudie la Torah, Il a confiance qu'ils reviendront vers Lui, peu importe leurs fautes. On entendait ainsi que la pure étude de la Torah était suffisante pour entraîner un homme à développer suffisamment de crainte divine pour éviter la faute.
Mais il devint de plus en plus évident pour de nombreux érudits qu'au fil des générations, le niveau spirituel de chaque génération se dégradait (on nomme ce phénomène Yéridat Hadorot), et se concentrer uniquement sur une étude ordinaire devenait insuffisant pour imprégner l'homme de suffisamment de crainte divine et de Dérekh Erets pour l'éviter de fauter. Face à ce constat, le mouvement du Moussar vit le jour, dirigé par le Rav Israël Salanter : il se concentrait sur un travail direct sur la Yirat Chamaïm et les Midot, en partie par l'étude profonde d'ouvrages de Moussar, mais également en se répétant à plusieurs reprises des sentences de nos Sages dans ce domaine. De tels exercices ne constituaient pas nécessairement la Mitsva d'étude de la Torah, car ils ne se concentraient pas sur l'apprentissage de nouveaux concepts et idées, mais se focalisaient sur l'intériorisation profonde de vérités fondamentales.
Les premiers partisans de cette méthode la poussèrent très loin, en consacrant des heures au Moussar. Ce mouvement a rencontré une violente opposition dans certains cercles, même parmi de grands érudits en Torah, qui avaient le sentiment que ce mouvement détournait l'homme de l'étude pure de la Torah, et constituait même du Bitoul Torah (une perte de temps qui pourrait être utilisé pour l'étude de la Torah). Ils soutenaient qu'il n'était pas nécessaire de pratiquer de tels exercices, et qu'une étude de la Torah effectuée correctement, suffisait pour inculquer à l'homme la crainte divine et le Dérekh Erets dont il avait besoin.
Au fil du temps, les aspects extrêmes du mouvement du Moussar (comme passer des heures à répéter des mantras) ont été modérés, mais le message général stipulant qu'il était nécessaire de passer du temps chaque jour à étudier des ouvrages de Moussar a été accepté par la quasi-totalité du monde de la Torah. Autre contribution importante du mouvement du Moussar : le concept de Va'ad : un groupe d'hommes décide de travailler sur un certain trait de caractère, et chaque membre du groupe décrit son expérience dans ce domaine, chacun s'encourageant et se guidant mutuellement. Cet outil s'est avéré très efficace pour le travail sur soi.
En conséquence, il a été généralement accepté qu'il ne suffit pas d'étudier uniquement la Torah sans déployer aucun effort pour s'améliorer, car la majorité des hommes ne sont pas au niveau où la pure étude de la Torah peut les prémunir contre la faute. Quant à la Guémara selon laquelle la lumière de la Torah entraîne l'homme à retourner vers Hachem, Rav Yérou'ham Lévovits argumentait qu'à son époque, cela ne s'appliquait qu'à de rares individus, mais pour la vaste majorité, ils avaient besoin de l'ajout d'une étude active de Moussar pour leur permettre d'atteindre le niveau nécessaire pour éviter de fauter.
Dans cette génération, tout le monde n'est pas capable de saisir dans son intégralité les premiers ouvrages de Moussar, mais de nombreux ouvrages contemporains, dans de nombreuses langues, couvrent la gamme complète de la 'Avodat Hachem (service divbin). Il est impératif de mettre ces ressources à profit pour aider l'individu à exceller dans le Dérekh Erets et à appliquer ainsi l'adage de cette Michna de Pirké Avot.
[1] Dans ce contexte, le Dérekh Erets se réfère à des traits de caractère positifs, et spécifiquement, l'étude d'ouvrages de Hachkafa et de Moussar afin de développer ces traits, en plus de la crainte divine.