Au cours des leçons précédentes, nous avons souligné l’importance à la fois de l’exemple donné par les parents mais aussi de l’empathie dont ils doivent faire preuve pour comprendre leur enfant afin de ne pas plaquer sur ce petit être des pensées et des calculs d’adultes qui lui sont étrangers.
En réalité, le rôle des parents consiste en grande partie à préparer leurs enfants à savoir réagir face aux différentes situations qu’ils rencontreront durant leur vie. Bien sûr, il serait illusoire de penser pouvoir anticiper tous les défis qui se présenteront à eux durant leur vie. En revanche, il est possible de donner aux enfants une sorte de « caisse à outils » dont ils pourront se servir au cas par cas, en y puisant les grands principes susceptibles de guider leurs actions et de faire les bons choix.
Le Rav A. Twerski compare cette démarche à celle de l’immunisation dans le domaine médical. L’immunisation consiste à préparer l’organisme à savoir comment réagir et lutter face à la présence d’un élément nocif (pathogène) dans le corps, en stimulant le système immunitaire afin qu’il produise des anticorps.
En matière d’éducation, le rôle des parents consiste également à préparer leur enfant à savoir comment réagir face aux différentes situations dangereuses auxquelles il est susceptible d’être confronté plus tard. Évidemment, il convient de proportionner la difficulté de l’épreuve à son âge et à sa maturité. Il serait inutile et contreproductif de le laisser seul faire face à une épreuve trop difficile pour lui, qu’il n’a pas les capacités de surmonter, conformément à ce que nous dit notre tradition « Devant l’aveugle, ne mets pas d’embûche ».
En réalité, la tâche des parents n’est pas aisée, ils doivent éviter deux types d’écueils. La première tentation consisterait à épargner à l’enfant toutes les situations difficiles, les frustrations, les déceptions au nom de l’amour qu’on lui porte. Cette attitude serait aussi insensée que de refuser de vacciner son enfant contre les maladies infantiles afin de lui épargner les 48 heures potentiellement douloureuses qui suivent un vaccin.
À l’inverse, l’autre écueil que les parents doivent contourner serait de faire preuve d’une rigueur excessive au motif que « la vie n’est pas un jeu », et qu’« il faut que l’enfant s’endurcisse ».
En réalité, ce travail d’immunisation des parents s’opère au premier chef à travers l’exemple qu’ils offrent à leurs enfants.
Ainsi, les parents n’encourageront jamais mieux leurs enfants…
- à étudier qu’en se mettant eux-mêmes devant un livre régulièrement à la maison,
- à se détacher des écrans qu’en coupant eux-mêmes leurs smartphones durant les repas, ou les moments de convivialité à la maison,
- à maîtriser leur colère qu’en évitant eux-mêmes les cris, les portes qui claquent ou toute autre expression de perte de contrôle de soi.
Par ailleurs, l’enfance est un âge particulier où l’esprit aspire à la vertu, au bien, au bon, au beau, au vrai. Un vecteur privilégié pour donner aux enfants des ressources qui les accompagneront toute leur vie est d’avoir recours à de belles histoires porteuses d’une morale édifiante susceptibles de marquer l’esprit des enfants, et de pénétrer dans leur âme. C’est le cas notamment des histoires de Tsadikim, des paraboles du Maguid De Douvno, des Haggadot du Talmud, qui offrent une alternative précieuse aux contes populaires pour enfants porteurs parfois de valeurs éloignées à celles de la Torah.
Le Rav Twerski rapporte ainsi de très belles paraboles.
La première narre l’histoire d’un coupeur de pierres qui travaille dans des montagnes escarpées. Un jour, épuisé par son travail, il fut pris d’un élan de tristesse et se demanda : « Pourquoi suis-je condamné à couper des pierres pour amener du pain sur ma table ? Pourquoi les autres sont-ils si riches et gagnent-ils de l’argent si facilement ? »
Pris par ses pensées, il entendit soudain des acclamations et un brouhaha s’élever au loin. Il se posa sur le sommet de la montagne et aperçut le carrosse royal traverser la ville au milieu d’une foule émerveillée. Le coupeur de pierres leva les yeux aux ciel, et se mit à rêver « Ah ! Si seulement, je pouvais être aussi puissant que le Roi ! »
Notre homme ne savait pas que c’était son jour de chance, il se trouva transformé immédiatement en roi, au milieu du carrosse. Il n’en revenait pas, et se mit à saluer la foule en liesse. Puis, le temps passant, il se mit à souffrir du soleil particulièrement chaud ce jour-là. Mais que faire ? Il était le roi et devait continuer sa tournée sans rien laisser paraître. Il fixa alors le soleil et se dit en lui-même : « Ah ! Si seulement, je pouvais être aussi puissant que le soleil ! »
Et le voilà transformé en soleil ! Quel sentiment de puissance ressentit-il ! Il brillait de tous ses feux inondant le monde de lumière. Mais, quelques instants plus tard, il se sentit frustré car son rayonnement était entravé par un nuage qui passa devant lui. « Comment ? Un nuage est plus fort que le soleil ?! Je veux être un nuage ! » Et le voilà transformé en nuage voguant dans le ciel à sa guise, porté par un sentiment de liberté et de puissance… jusqu’à ce qu’un vent violent le chasse et le dissipe au loin ! « Je n’avais jamais imaginé que le vent était si fort ! Je veux être le vent ! »
Et le voilà transformé en un vent puissant qui souffle et que rien ne peut arrêter... Enfin presque rien, puisqu’il fut soudainement bloqué par une montagne majestueuse ! Il avait beau souffler, rien n’y faisait, la montagne se dressait devant lui et était infranchissable ! « Ah, si seulement j’étais une montagne, je serais encore plus puissant ! »
Le voilà transformé en montagne, trônant fièrement dans le paysage, interceptant les vents, et offrant une végétation luxuriante. Au sommet de son bonheur, notre homme ressentit une première douleur, puis une deuxième… « Comment ?! Une montagne peut-être blessée ?! Mais qui peut avoir une telle force ?! Qui est plus fort qu’une montagne ? » Il cherche autour de lui, et aperçoit… un coupeur de pierres affairé à briser la roche de la montagne. « Ah, je veux être cet homme ! » Et voici notre homme redevenu un coupeur de pierres au terme de sa quête de puissance...
Bien souvent, l’enfance est un âge où l’on cherche à se comparer, où l’on est attentif à ce que les autres possèdent et à ce qui nous fait défaut. On rêve d'être un cow-boy, un policier, un pompier, on imagine que les autres familles ont la chance de disposer de ce qui nous fait défaut. Ce faisant, l’enfant ferme les yeux sur ce qu’il possède et toutes les sources de bonheur qui émaillent son quotidien.
Ce type de parabole permet d’interpeller l’esprit de l’enfant, et de lui transmettre des messages fondateurs pour sa future vie d’adulte. Il gardera en tête que le bonheur est avant tout une conquête intérieure qui dépend de notre capacité à apprécier ce que nous possédons et à exprimer un sentiment de gratitude pour cela ! Nous autres, adultes, savons combien ces sentiments sont précieux tout au long de la vie, et qu’ils sont probablement le plus beau cadeau que l’on puisse donner à un enfant.