Lorsqu’un couple se marie, un de ses premiers objectifs est d’« avoir » un enfant. Et, de fait, la Torah a assigné cette Mitsva aux hommes depuis le premier couple formé par Avraham et Sarah « Perou Ourvou » « Fructifiez et multipliez-vous ! ».
Toutefois, il est rare que les parents s’interrogent au préalable pour réfléchir à leur objectif en donnant la vie à un enfant. Ceci est particulièrement étonnant dans la mesure où généralement, toute entreprise humaine est guidée par un objectif. Et c’est à la lumière de cet objectif que nous réfléchissons au « plan » pour l’atteindre et aux « actions » à entreprendre, étape par étape, pour y parvenir. Mais, il semble que le fait de « donner la vie » échappe à ce paradigme.
En effet, le désir d’enfants est bien souvent vécu comme un objectif en soi, sans qu’il soit nécessaire d’aller au-delà. Le langage courant traduit cette aspiration fondamentale des parents lorsqu’ils évoquent leur envie « d’avoir un enfant ». Et, de fait, la société reproduit ce champ lexical : « as-tu des enfants ? », « Combien d’enfants avez-vous ? ».
Chacun comprend ce que l’on veut dire, mais le langage, même s’il ne détermine pas totalement notre pensée, contribue en partie à notre manière de voir le monde. Or, le fait d’évoquer l’enfant comme une « possession » des parents à travers le verbe « avoir » peut mener les parents à une perception erronée de la relation qu’ils doivent bâtir avec leur enfant.
Dans la Paracha que nous avons lue Chabbath dernier, Vayétsé, la Torah relatait un échange surprenant entre Ya'akov et Ra'hel. Notre matriarche, souffrant de ne pas pouvoir donner naissance à un enfant, s’exclame devant son mari « Si je ne peux pas donner naissance à un enfant, je suis comme morte » (Béréchit 30, 1-2). Cette déclaration va contrarier profondément Ya'akov qui lui réplique : « Suis-je à la place d’Hachem ? » Ce passage a donné lieu à de nombreux commentaires. Une des manière de le comprendre consisterait à constater que Ra'hel Iménou a été débordée, ne fut-ce qu’un instant, par le désir personnel de donner naissance à un enfant. Toutefois, Rachi note que c’est précisément sa capacité d’abnégation et à mettre son « ego » entre parenthèse qui va lui ouvrir les portes de l’enfantement. C’est précisément cette qualité exceptionnelle d’abnégation qui lui a permis d’accepter de céder sa place à sa sœur Léa pour se marier avec Ya'akov, et de lui transmettre les signes secrets de reconnaissance que Ya'akov et elle avaient établis, afin de la sauver d’une humiliation publique. C’est cette même capacité à faire fi de son « honneur » personnel qui lui a permis de rester silencieuse lorsque sa sœur lui reproche « de lui avoir pris son mari ». Et, de suite après ce passage, ce mérite éminent lui vaudra de donner naissance à Yossef Hatsadik. De même qu’elle a passé outre son « honneur » et qu’elle est parvenue à ne pas répliquer à sa sœur, elle qui avait pourtant une nature « volubile » (selon Rachi), de même Hachem changera le cours de la nature en sa faveur et ouvrira sa matrice (R. M. Ceylon).
L’écueil principal, vous l’avez compris, consiste à appréhender, de manière consciente ou inconsciente, la naissance d’un enfant exclusivement comme la satisfaction d’un besoin personnel des parents. Il est évident que ce « ressenti » fait partie de la psychologie humaine, il serait vain de le nier, il n’est d’ailleurs pas négatif en soi car il est à la source du désir puissant des parents de donner la vie à un enfant. Toutefois, il ne peut pas être le moteur exclusif de la parentalité, il doit être nuancé par une approche complémentaire. Le Rav Avraham Twerski résume ce défi à travers ces mots : on doit passer de l’« ego-investment » au « self-investment », c’est-à-dire s’investir de tout son être dans l’éducation des enfants, sans placer son « ego » au centre.
L’enfant n’est pas une possession des parents, il est un cadeau confié par Hachem aux parents et il leur incombe de prendre soin de ce trésor, de le chérir et de le guider dans la bonne direction. L’enfant est porteur notamment d’une Néchama (une âme), d’une aspiration spirituelle fondamentale et d’un lien intime avec le Créateur du monde. Une des ardentes obligations des parents est précisément de permettre à l’enfant de prendre soin de son « âme », de préserver, autant que faire se peut dans ce monde, la « pureté » de cette âme et de lui permettre de savoir durant toute sa vie, comment s’orienter et comment faire les bons choix.
L’enseignement éclairé de la Torah aux enfants permet précisément de leur donner un plan général, un GPS, pour savoir comment orienter leurs décisions et guider leur orientation tout au long de leur vie. Jamais aucun modèle éducatif ne pourra épuiser et anticiper toutes les situations et les défis auxquels un enfant sera confronté durant sa vie. En revanche, les parents peuvent aspirer à donner à leurs enfants un cadre de référence qui leur permettra de faire les bons choix, notamment à travers les enseignements de la Torah, ses Mitsvot, et les éclairages de nos Maîtres. Ainsi, ils pourront reconnaître, parfois même de manière intuitive, s’ils sont sur la bonne direction ou non, et leur donner, le cas échéant, la force et la sagesse de se remettre d’eux-mêmes sur les bons rails.
Comme chacun sait, les enfants ont une aspiration naturelle pour la spiritualité, ils rêvent à de grandes choses, et ils ont une admiration et une fascination pour les comportements vertueux qu’ils savent reconnaître. Voilà pourquoi, ils aiment tant qu’on leur raconte de belles histoires mettant en lumière des comportements admirables. Prenons l’exemple des histoires 'Hassidiques autour du grand maître Rabbi Zousha d’Anapoli. Ce Tsadik était réputé pour la très grande pauvreté dans laquelle il vivait, et pourtant, sa très grande foi lui permettait de vivre une vie pleinement heureuse, n'étant affecté en rien par les difficultés matérielles. De telles histoires, plus que de grandes démonstrations, contribuent à faire comprendre aux enfants que le véritable bonheur ne réside pas dans l’accumulation des richesses matérielles mais plutôt dans la construction intérieure, et leur permettront d’adopter un regard juste sur la place qu’ils doivent donner aux biens matériels dans leur vie.
Ainsi, les enfants que l’Éternel nous confie nous appellent finalement à aligner nos objectifs personnels de parents sur ceux de l’enfant, en lui donnant les moyens de mener une vie heureuse et épanouie, respectueuse de sa nature. Les maîtres du Talmud enseignent que le comportement moral « le Dérekh Érets » est un prérequis pour l’étude de la Torah ; ils nous rappellent également combien nous devons être soucieux de notre intégrité vis-à-vis de D.ieu, mais aussi vis-à-vis des hommes.
Les enfants qui évoluent dans de tels foyers, où ils ressentent la quête de sincérité de leurs parents, leurs efforts pour se comporter de manière vertueuse, et pour essayer d’être cohérents, en s’appliquant à eux-mêmes les conseils qu’ils donnent à leurs enfants, sont armés d’un bagage solide pour aborder leur future vie d’adultes.
Ils vivront dans ce monde ce bonheur promis par le prophète Elie pour les temps futurs, où « le cœur des parents retourneront vers leurs enfants, et le cœur des enfants vers leurs parents » (Malachie, 3-24).
Inspiré de Positive parenting, Rabbi Abraham J. Twerski, et Ursula Shwartz (Artscoll Séries)