La Parachat Bo représente une étape majeure dans l’histoire des enfants d’Israël dans la mesure où elle narre la sortie d’Egypte et donc la fin de l’esclavage. Par ailleurs, elle contient la première législation donnée au peuple Juif en tant que tel : la loi relative à la sanctification du nouveau mois, « Roch 'Hodech ». En même temps que le peuple Juif accède à la liberté, il redevient « maître » de son temps et il doit donc apprendre à en faire le meilleur usage.
Face à une parasha aussi riche, il est très difficile de faire des choix, nous vous proposons de relire certains passages de notre texte à la lumière des enseignements glanés dans l’étude du Talmud de cette semaine selon le programme du Daf Hayomi.
Le premier éclairage porte sur une notion cardinale dans la Torah : le cœur.
Réputé être le siège des émotions, le cœur est, dans la tradition juive, le canal privilégié qui permet de se relier au Créateur. Un cœur pur rapproche de l’Eternel, un cœur dur, D.ieu nous en préserve, éloigne.
C’est précisément le sens des premiers versets de notre Paracha où nous voyons se répéter « l’endurcissement » du cœur du Pharaon. En dépit des plaies plus terribles les unes que les autres, le Pharaon se mure dans un aveuglement et une surdité incompréhensibles. Il refuse de laisser partir les Hébreux, et endurcit volontairement son cœur durant les cinq premières plaies afin de ne pas se laisser impressionner par la Puissance de l’Eternel.
Or, cette insensibilité va finir par se retourner contre lui. A force de vouloir endurcir son cœur, il va perdre tout contrôle sur ce dernier au cours des 5 dernières plaies durant lesquelles c’est l’Eternel Lui-même Qui endurcit son cœur, lui donnant la force de supporter les dix plaies.
La Torah nous livre ici un enseignement précieux : le cœur est un organe qui s’éduque, qui apprend, qui peut s’élargir comme s’atrophier selon la volonté de l’homme. On peut apprendre à aimer, comme on peut apprendre à haïr. On peut apprendre à ressentir les émotions des hommes, comme on peut apprendre à y être insensible. Il s’agit précisément de la responsabilité fondamentale de l’homme que d’apprendre à orienter son cœur dans les bonnes directions, d’éveiller sa sensibilité aux besoins d’autrui, à ses émotions.
Nos Sages nous disent précisément que « l’Eternel désire le cœur » « Ra’hamana liba baei ». Il désire que l’homme Le serve avec son cœur, c’est-à-dire avec authenticité, avec un désir sincère.
Le cœur révèle l’intériorité la plus intime de l’homme, elle témoigne de ce qui anime l’homme au plus profond de son être, ce qui le fait vibrer, ce qui compte le plus pour lui. Aussi, le Maître du monde désire que l’homme porte en lui le désir de la Torah, le désir des Mitsvot et une aspiration profonde et sincère à se relier à Lui.
Il s’agit en fait de faire échec à un écueil bien connu qui menace la pratique religieuse : s’en tenir à la lettre de la loi et non à son esprit, se contenter d’une pratique formelle des Mitsvot dénuée sans rechercher le fond.
Afin d’éviter un tel écueil, Rabban Gamliel avait décrété que seuls les étudiants qui étaient cohérents dans leurs aspirations intérieures et leur pratique extérieure « Tokho Kebaro » seraient autorisés à venir étudier dans son Beth Hamidrach (Brakhot 28a). Il témoignait ainsi que la Torah n’est pas uniquement affaire de pratique formelle, elle ne se contente pas d’évaluer la performance d’actes extérieurs prescrits dans le corpus de la Halakha, ou bien le respect des interdits qui y sont consignés. La pratique est certes nécessaire mais elle n’est pas suffisante. Elle doit être accompagnée par une quête du cœur, une volonté profonde de servir l’Eternel, d’accomplir Sa volonté en transformant nos êtres. Il s’agit de former des êtres bons, intègres, généreux, cléments avec leur prochain.
Cette place centrale accordée au cœur dans notre tradition a même des incidences halakhiques. En effet, le traité Brakhot (30a) nous indique que si un homme ne peut pas s’orienter vers la direction de Jerusalem lorsqu’il prie sa 'Amida, il devra à tout le moins « orienter son cœur vers Jérusalem, ou vers le Beth Hamikdach ».
Cette disposition ne signifie pas simplement, au sens propre, que le fidèle doit imaginer se trouver face à Jérusalem ou au Beth Hamikdach, il s’agit également d’une métaphore afin d’inviter l’homme qui s’apprête à prier à faire de son cœur un « Temple », un sanctuaire, et même le « Saint des saints » (Rabbi 'Haïm de Volozhin). Le fidèle doit ainsi travailler son cœur afin de le purifier, en faire un lieu de sainteté qui aspire ardemment accomplir la volonté de Son Créateur.
Par ailleurs, en demandant symboliquement à l’homme « d’orienter son cœur vers Jérusalem ou le Beth Hamikdach », la Torah demande symboliquement au fidèle d’orienter les intentions de son cœur vers des sujets de sainteté, de s’assurer que toutes les aspirations de son cœur soient spirituelles, saintes, à l’image du Beth Hamikdach (Mei Hachiloah, rapporté par Rav Rozenberg).
Le deuxième éclairage que nous aimerions apporter sur la Paracha de la semaine à partir des enseignements du Daf Hayomi concerne la législation sur le temps donné aux enfants d’Israël qui leur impose donc, à partir de leur sortie d’Egypte, de compter les mois et les années, et de sanctifier les débuts de mois, lorsque la lune se renouvelle.
Les règles relatives au nouveau mois, et de manière plus générale au calendrier juif, ont ceci de spécifique que, contrairement au Chabbath qui est fixé de manière précise dans le temps par l’Eternel, elles demandent l’intervention de l’homme pour apprécier quel jour doit être consacré au titre du nouveau mois, à partir du témoignage de deux témoins.
Cette fixation des mois par l’intermédiaire de l’homme a pour conséquence que les fêtes juives vont également dépendre du calendrier fixé par les hommes. Or les fêtes sont présumées porter en elles un flux de sainteté, une intensité spirituelle, elles entraînent également de nombreuses lois impératives pour les hommes. Aussi, en demandant à l’homme dans notre Paracha de fixer le calendrier, l’Eternel lui a également signifié que l’apparition de la sainteté dans ce monde dépendait en partie de lui. C’est l’homme qui déclenche les flux de sainteté dans ce monde à travers son respect de la loi donnée par l’Eternel concernant la sanctification des nouveaux mois.
Cette vision du temps est profondément humaniste et révolutionnaire car elle invite l’homme à ne pas se considérer comme passif face au temps qui s’égrène devant lui et qui s’impose à lui, mais, au contraire, à se percevoir comme acteur de son temps, ou plutôt, pour reprendre la belle expression d’Abraham Heshel, comme « bâtisseur du temps ».
Le temps de la Torah est le fruit d’une sage coopération entre D.ieu et les hommes. D.ieu a fixé le cycle naturel du temps, l’alternance de la nuit et du jour, la célébration du Chabbath le septième jour de la semaine ; l’homme détermine les nouveaux mois, et donc les jours dans lesquelles tomberont les fêtes. La sainteté du temps procède précisément de cette dialectique entre le temps fixé par l’Eternel et le temps fixé par l’homme.
Le traité Brakhot étudié ces derniers jours dans le cadre du Daf Hayomi souligne précisément cette articulation entre le temps divin et le temps humain. En effet, l’Eternel a ordonné aux hommes certaines obligations comme réciter le Chéma’ chaque jour, mais c’est l’homme qui décide du temps propice pour accomplir cette Mitsva.
A travers cette première législation relative au calendrier, la Torah pose donc d’emblée l’enjeu essentiel de la foi juive : la double fidélité demandée aux enfants d’Israël envers la Torah écrite donnée directement par D.ieu d’une part et la Torah orale fixée par les Sages d’autres part. La sainteté à laquelle les hommes peuvent aspirer sur terre procède de cette double allégeance : à la parole de D.ieu et à la parole des Sages.
Puisse l’Eternel nous permettre de nous servir de notre cœur pour Le servir de la plus belle manière, en approfondissant les merveilleuses capacités dont Il nous a dotés. Un cœur pur, raffiné au contact de la Torah et des paroles des Sages, soucieux d’accomplir la volonté du Maître du monde, sera notre meilleure boussole pour comprendre comment nous diriger dans la vie, et comment faire du temps qui s’écoule le lieu d’une sanctification de l’Eternel.