À son retour en Erets Israël, Ya'akov Avinou envoie un message à 'Essav, son frère hostile.
Il leur ordonna en disant : « Vous direz ainsi à mon maître, à 'Essav : "Ainsi parle ton serviteur Ya'akov : ‘Avec Lavan j’ai séjourné [Garti] et je me suis attardé jusqu’à présent’." » (Béréchit 32,5)
Rachi explique le mot Garti – J’ai séjourné : « J’ai vécu avec le méchant Lavan, mais j’ai gardé les 613 (Taryag) Mitsvot et je n’ai pas appris de ses mauvaises actions. »
Le mot « Garti » (j’ai séjourné) se compose des mêmes lettres que le mot « Taryag », qui équivaut à 613 et qui fait allusion aux 613 Mitsvot. Ainsi, Ya'akov semble avertir 'Essav qu’il a observé toute la Torah alors qu’il vivait avec Lavan, le Racha'. On sait pourtant que Ya'akov n’a pas observé toutes les Mitsvot pendant son séjour chez Lavan. Outre le fait que Ya'akov ne pouvait pas observer certaines Mitsvot telles que Kiboud Av puisqu’il était loin de ses parents, on le voit même transgresser une interdiction explicite ; celle d’épouser deux sœurs.
Le Rav David Zucker explique que nous devons redéfinir le mot « Chamar » dans ce contexte. Cela ne signifie pas que Ya'akov a réellement observé toutes les Mitsvot, mais la Torah l’utilise pour faire passer un message tout à fait différent. Dans la Parachat Vayéchev, après que Yossef a raconté ses rêves, le verset affirme : « Véaviv Chamar Eth Hadavar ».[1] Cela nous apprend que Ya'akov a attendu l’accomplissement des rêves de Yossef. Dans le même ordre d’idées, Ya'akov disait à 'Essav que durant tout son séjour chez Lavan, il attendait le moment où il serait capable d’observer toute la Torah, et en particulier le jour où il pourrait retourner étudier la Torah au Beth Hamidrach. Pourquoi ce message était-il si important à transmettre à 'Essav ?
Le Rav Zucker suggère une réponse basée sur un commentaire du Kli Yakar.[2] À la fin de la Parachat Toledot, la Torah raconte qu’'Essav se dit que l’heure du décès de son père allait bientôt arriver et qu’il allait bientôt pouvoir tuer son frère. Le Kli Yakar explique qu’'Essav savait que Ya'akov était protégé par son étude constante de la Torah, et qu’il attendait donc le moment où Ya'akov n’étudierait pas la Torah. Dès lors, il perdrait la protection de la Torah, et 'Essav serait enfin capable de le tuer. Comme une personne en deuil n’est pas autorisée à étudier la Torah, 'Essav pensa que ce serait le moment le plus propice pour tuer Ya'akov. De même, explique le Rav Zucker, 'Essav savait que Ya'akov venait de passer de nombreuses années à travailler très dur pour Lavan et que Ya'akov n’était pas en mesure de consacrer autant de temps à l’étude de la Torah que dans les années précédentes. 'Essav se dit : « Certes, mon frère a étudié chez Chem et Ever et certes, il a étudié dans la maison de mon père, mais depuis 22 ans, il travaille. Il s’est occupé du bétail et les affaires lui ont réussi. Mon heure de chance est enfin arrivée. »
En réponse à cette pensée d’'Essav, Ya'akov avertit son frère que bien qu’à l’époque où il était chez Lavan, il ne put pas consacrer tout son temps à l’étude, mais il a constamment attendu et désiré le moment où il allait pouvoir retourner au Beth Hamidrach. Rav Issakhar Frand explique que si une personne attend avec impatience le moment de retourner étudier, même quand elle se trouve sur son lieu de travail, elle est protégée par le mérite de la Torah.
Sur la base de cette idée, le Rav Zucker cite la remarquable introduction au Séfer 'Hokhmat Adam (également auteur du ’Hayé Adam). Dans cette introduction, le Rav Danzig explique qu’il se permet d’écrire son livre de Halakha, en dépit du fait qu’il travailla dans les affaires pendant quinze ans. En effet, pendant toutes ces années, il ne chercha pas à travailler pour se dispenser de l’étude ou pour s’éloigner de la Torah, car dans un tel cas, la Torah aussi s’éloigne de l’individu. Au contraire, il était contraint d’aller travailler pour subvenir aux besoins de sa famille, mais espérait toujours revenir à ses moments d’étude. En outre, il prenait toujours avec lui ses livres d’étude, même les jours de grandes ventes, etc. ses amis pouvaient témoigner du fait qu’il resta constamment attaché à l’étude de la Torah et souhaitait uniquement pouvoir retrouver les bancs d’étude. C’est dans cet état d’esprit qu’il vécut pendant quinze ans de commerce et c’est grâce à cela qu’il se permit d’écrire un livre de Torah et de Halakha, en dépit de son absence d’étude si longue. « C’est ainsi que je peux écrire ces recueils halakhiques – parce que "Taryag Mitzvot Chamarti", parce que j’aspirais à retourner au Beth Hamidrach. »
Le ’Hayé Adam insiste donc sur le fait que même si une personne a besoin de travailler, dès lors qu’elle utilise tout son temps libre pour étudier et attend avec impatience le moment où elle pourra consacrer son temps à la Torah, alors c’est comme si elle était toujours restée profondément liée à la Torah et protégée par Son mérite.
Puissions-nous tous mériter d’imiter Ya'akov Avinou et le ’Hayé Adam dans notre attitude, même dans les périodes où nous devons nous occuper de gagner notre vie.
[1] Béréchit 37,11.
[2] Béréchit 27,41.