Les livres des prophètes se suivent mais ne se ressemblent pas tous. La semaine dernière, le livre du prophète Hochéa constituait l’une des prophéties les plus longues du livre des « Douze prophètes ». Cette semaine, la Haftara correspond à la totalité du livre d’Ovadia qui est le plus petit livre de tout le corpus biblique, avec un seul chapitre et seulement 21 versets.
Cette concision ne doit pas masquer l’importance de ce livre dans le paysage biblique et la grandeur de son auteur. Comme nous le verrons, ce livre constitue une sévère mise en garde contre les persécuteurs d’Israël, et notamment contre la civilisation d’Essav ou Edom, généralement identifiée par l’Empire romain et l’Occident, dont la suprématie est toujours à l’œuvre de nos jours.
La tradition nous enseigne qu’il n’est pas innocent que ce se soit Ovadia qui ait porté cette prophétie annonçant la destruction finale inéluctable du royaume d’Edom, dans la mesure où lui-même était un Guer (converti) originaire du peuple édomite. Dans ce contexte, ses paroles prennent un relief tout particulier.
La Guémara (traité Sanhédrin p.39b) nous donne des renseignements précieux sur la personnalité d’Ovadia. Nos Sages nous rappellent qu’il vécut à une époque particulièrement difficile où régnaient le roi A’hav et son épouse Izével qui avaient décidé d’éliminer tous les prophètes d’Israël. Or, Ovadia, tout en travaillant au palais royal, avait pris sur lui de soutenir ces prophètes pourchassés, de les cacher et de les nourrir. Il dépensa toute sa fortune à cette tâche, si bien qu’à la fin de sa vie, il ne lui restait plus rien si ce n’est une petite fiole d’huile. Nous nous souvenons que c’est sur le dénument de sa veuve venue demander de l’aide au prophète Elicha que commençait la Haftara de Vayéra que nous avons commentée précédemment.
Nos Sages soulignent ainsi le contraste saisissant entre Essav qui vécut avec deux Tsadikim (Justes), ses parents Its’hak et Rivka, et qui pourtant se détourna du bon chemin, et Ovadia qui vécut parmi deux mécréants, A’hav et Izével, et qui poursuivit la vertu sans faillir.
Enfin, mentionnons cet éloge que nos Maîtres adressent à Ovadia en soulignant un verset qui décrit le prophète comme « craignant beaucoup D.ieu », et nos Maîtres de nous dire qu’il s’agit d’un éloge plus important encore que celui fait à Avraham qualifié « simplement » de « craignant D.ieu ».
Liens entre la Haftara et la Paracha
La Paracha nous rappelle la crainte de Yaakov à l’idée de rencontrer son frère Essav et de devoir peut-être mener un combat contre lui. De même, l’énumération des chefs de famille issus d’Essav à la fin de la Paracha sont impressionnants et témoignent de la grandeur apparente de cette lignée. Toutefois, les Sages du Midrach nous enseignent que D.ieu a toujours assuré à Yaakov qu’il finirait par les vaincre comme le feu consume la paille, et c’est précisément cette même image qui est utilisée à la fin de notre Haftara.
En outre, lors de la rencontre entre Yaakov et Essav, ce dernier propose à son frère de cheminer ensemble, mais Yaakov décline cette proposition, prétextant être ralenti par sa famille, et suggère à son frère de se revoir sur la montagne de Séir. Cette rencontre n’aura pas lieu… Tout au moins, elle n’aura pas lieu dans notre Paracha, mais elle se produira lors de la délivrance finale, nous dit le prophète Ovadia dans un verset célèbre, lorsque les descendants d’Essav seront jugés sur le mont Séir.
Enfin, rappelons-nous ce scrupule de Yaakov au début de la Paracha lorsqu’il craignait d’être « trop petit », et de ne pas avoir suffisamment de mérites pour justifier la Protection divine. Cette exigence de Yaakov peut être analysée en contrepoint de la suffisance du royaume d’Essav que nous décrit notre Haftara, ivre de sa supposée grandeur, de sa force et de son pouvoir. C’est précisément lui, et non Yaakov, qui sera rendu « petit » par Hachem, nous dit Ovadia. Au-delà d’Essav, c’est là le lot de tous les orgueilleux qui sont trop sûrs de leur fait pour pouvoir s’amender et cheminer modestement auprès d’Hachem, pour se livrer à un examen de conscience permanent à l’image de Yaakov.
L’écho de la Haftara
Cette Haftara a des accents modernes à de nombreux égards.
Tout d’abord, elle rappelle de manière éloquente la vanité de l’orgueil des hommes et à quel point la grandeur à laquelle ils prétendent est précaire, lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’un comportement moral et d’une proximité avec Hachem.
« L'infatuation de ton cœur t'a égaré, ô toi qui habites les pentes des rochers, qui as établi ta demeure sur les hauteurs et qui dis en toi-même : "Qui pourrait me faire descendre à terre ?" Quand même tu fixerais ton aire aussi haut que l'aigle et la placerais dans la région des étoiles, Je t'en précipiterais, dit l'Eternel ». (Ovadia, 1, 3)
L’actualité ne manque pas d’exemples susceptibles d’illustrer à quel point les hiérarchies, les rapports de force, les sondages sont fragiles et peuvent se déplacer très rapidement. Les plus puissants chancellent, cèdent la place à d’autres que personnes n’attendaient, et ces derniers connaîtront le même sort à n’en point douter. Rappelons-nous ces propos intemporels d’un Sage du Talmud qui rappelait à son fils que dans un monde où l’ordre paraît inversé, seul celui qui étudie la Torah et pratique les Mitsvot ne chavire pas.
Ensuite, relevons que l’essence même du livre d’Ovadia est de se projeter à la fin des temps, d’annoncer la chute finale des ennemis d’Israël et la libération de l’exil du peuple juif. Dès lors, à chaque époque, elle prend une solennité particulière et elle relaie l’espérance messianique d’Israël qui ne s’est jamais démentie à travers son histoire.
Les mots d’Ovadia ont également une résonance toute particulière dans la mesure où ils énoncent de manière explicite la Justice divine et son caractère inéluctable pour les ennemis d’Israël.
Il était opportun bien sûr que le prophète rappelle cette responsabilité des oppresseurs, dans la mesure où ils auraient pu avoir la tentation de s’en exonérer en s’abritant derrière une supposée prédestination. En effet, nous savons d’une part que l’antagonisme entre Essav et Yaakov a été une constante à travers l’histoire, comme le disent nos Sages : « C’est un règle, Essav hait Yaakov ». D’autre part, les Maîtres de la tradition juive enseignent que lorsque la Torah a été donnée au peuple juif sur le mont Sinaï, une haine est également née au sein des autres peuples contre les enfants d’Israël.
Dès lors, les persécuteurs d’Israël auraient pu prétexter qu’ils ne sont pas responsables des souffrances qu’ils infligent à Israël mais que cela relève, D.ieu préserve, des lois naturelles du monde. Bien entendu, il n’en est rien. Chacun est responsable de ses actes, à plus forte raison des souffrances et des violences qu’il impose aux autres. L’antagonisme existe certes, mais cela ne signifie pas que la violence est le seul mode de relation possible. Nos Maîtres donnent de multiples exemples de « sages » parmi les nations qui auront une part dans le monde futur, et qui font le pari de l’entente et de la coopération avec Israël à l’instar de l’empereur Antonin, très proche de Rabbi Yehouda Hanassi.
Quant à ceux qui font un choix différent, celui de la violence et de la force, qu’ils méditent les versets de notre texte. Ils seront édifiés.
« A cause de ta cruauté à l'égard de ton frère Yaakov, tu seras couvert de honte, et ta ruine sera éternelle. Le jour où tu te postas comme spectateur, alors que les barbares emmenaient son armée captive, que l'étranger envahissait ses portes et partageait Jérusalem au sort, toi aussi tu fus comme l'un d'eux. Ah ! Cesse donc d'être un témoin complaisant du jour de ton frère, du jour de son malheur, de triompher des fils de Yéhouda au jour de leur ruine et d'ouvrir aussi grande ta bouche au jour de la détresse ! Cesse de franchir la porte de mon peuple au jour du revers ; au jour du revers, ne te repais point, toi aussi, du spectacle de ses maux ; au jour du revers ne fais pas main basse sur ses richesses ! Ne monte pas la garde à l'angle des routes pour achever ses fuyards, pour livrer ses débris au jour de l'angoisse ! Quand approchera le jour du Seigneur pour toutes les nations, comme tu as fait il te sera fait, tes œuvres retomberont sur ta tête. » (Ovadia, 1, 10-15)
Enfin, comment ne pas penser à l’actualité douloureuse qu’Israël vient de vivre en lisant ce verset :
« La maison de Yaakov sera un feu, la maison de Yossef une flamme, la maison d'Essav un amas de chaume : ils le brûleront, ils le consumeront, et rien ne survivra de la maison d'Essav : c'est l'Eternel qui le dit. » (Ovadia, 1, 18)
A la lumière de ce que nous venons d’étudier, il ne fait aucun doute que les flammes qui ont ravagé Israël ces dernières semaines se retourneront contre les ennemis d’Israël, le jour très proche où Hachem viendra délivrer son peuple. En ce jour, l’Éternel sera Un, et Son nom sera Un.