« Il fit un rêve, et voici, une échelle (Soulam) était posée sur le sol et son sommet atteignait les cieux… » (Béréchit 28,12)
La Paracha commence par le célèbre rêve de Ya'acov Avinou, qui vit une échelle partant du sol et arrivant jusqu’aux cieux, ainsi que des anges célestes qui montaient et descendaient sur cette échelle. Le Ba'al Hatourim fait une remarque intéressante : le mot « Soulam » (échelle) a une valeur numérique de 136, tout comme le mot « Mamon », terme couramment utilisé pour évoquer l’argent. Quel lien peut-on trouver entre les deux ?
Plusieurs commentateurs[1] expliquent que l’argent peut être utilisé pour élever une personne à un niveau très élevé (lui faire monter les échelons sur le plan spirituel et financier), mais peut aussi mener l’individu à un niveau très bas.
Dans le sens positif, si une personne utilise son argent pour donner de la Tsédaka et prodiguer du ’Hessed, alors elle peut atteindre de grands sommets spirituels. En particulier, si elle utilise son argent pour soutenir l’étude de la Torah ; sa récompense au 'Olam Haba est alors immense. C’est ce que montre Ya'acov Avinou quand il décrit la relation entre ses deux fils, Issakhar et Zévouloun. Zévouloun était commerçant et soutenait Issakhar dans son étude de la Torah. Lorsque Ya'acov bénit ses fils, il évoqua Zévouloun en premier, bien qu’il fût plus jeune que Issakhar. En effet, sans Zévouloun, Issakhar n’aurait pas pu atteindre le même niveau d’étude.[2]
Un commentateur explique le Maamar ’Hazal affirmant que les possessions des Tsadikim leur sont particulièrement chères.[3] Il précise que l’argent peut être utilisé à des fins positives et permettre à l’homme d’accomplir beaucoup de ’Hessed, chose qu’il n’aurait pas pu faire sans fonds.[4]
Toutefois, l’acquisition d’argent présente de nombreux pièges et risques qui peuvent entraver spirituellement la personne. Nous n’en évoquerons ici que quelques-uns. L’auteur du Ménorat Hamaor rapporte de nombreuses preuves scripturaires et enseigne que la richesse rend l’individu arrogant. Il note que le roi Chlomo demanda à Hachem de ne lui envoyer ni pauvreté ni richesse – le problème de la richesse étant qu’elle l’inciterait à penser qu’il n’a pas besoin d’Hachem. Rav Yé'hezkel Abramov développe : « Inconsciemment, un homme riche se dit : "J’ai gagné de l’argent grâce à cette affaire ou à cet investissement. C’est mon travail acharné et mes bonnes décisions qui m’ont aidé à gagner cet argent !" Il oublie qu’Hachem est Celui qui mène la barque et c’est grâce à Lui que tout arrive. »
La richesse peut entraver la croissance spirituelle d’une personne (ainsi que sa satisfaction générale de la vie) d’une autre façon. Lorsque quelqu’un a de l’argent, il vit dans la peur constante des voleurs. Rav Abramov raconte qu’un homme riche fut cambriolé dans sa maison. Pire encore que la grande perte d’argent et d’objets de valeur, cet homme éprouva dès lors un sentiment constant de vulnérabilité et de peur. C’est l’explication du Barténoura sur la Michna de Pirké Avot[5] : « Marbé Nekhassim Marbé Déaga » – plus l’homme acquiert de biens, plus grands sont ces soucis. Le Barténoura précise qu’il s’agit de la peur de se faire voler ses biens. Qui plus est, lorsque quelqu’un possède beaucoup d’argent et de biens, il doit consacrer beaucoup plus de temps et d’énergie à tout gérer, ce qui réduit considérablement sa Ménou’hat Hanéfech. Ces sentiments constants d’inquiétude entraveront inévitablement sa capacité à se concentrer dans sa 'Avodat Hachem. L’histoire suivante, racontée par Rav 'Haïm Kanievsky, illustre bien cette idée.
Dans la plupart des communautés, on a l’habitude de ne pas faire monter un homme à la Torah pour le passage des malédictions de la Parachat Ki Tavo, mais plutôt de laisser l’officiant réciter la bénédiction de cette montée, puisqu’il lit de toutes les façons toute la Paracha. Il arriva qu’un fidèle se dise qu’il ne valait pas la peine de perdre une occasion de monter à la Torah – même pour le paragraphe des malédictions – et il accepta donc de monter pour ce passage. Quelque temps plus tard, il apprit qu’un parent, vivant à l’étranger, était décédé et lui avait laissé un grand héritage dont il devait s’occuper. Finalement, il devint très riche et dut consacrer la plupart de son temps à gérer sa fortune. Lorsque le Steipeler entendit cette histoire, il dit : « Je ne sais pas si cet homme sera puni pour avoir agi à l’encontre du Minhag, mais il ne s’imaginait pas que sa punition serait si grande ! » Aux yeux de Steipeler, la richesse accumulée ne valait rien puisqu’elle l’empêchait de continuer à étudier et c’était en soi, la pire des punitions !
Notre réaction différera certainement de celle du Steipeler – on peut penser qu’il est certes dommage que cet homme ait cessé d’étudier comme avant, mais qu’il est tout de même bien qu’il soit devenu riche, et qu’il puisse faire de bonnes actions grâce à cet argent. Mais pour le Steipeler et son fils, il était clair comme de l’eau de roche qu’il s’agissait d’un événement terrible – l’argent est insignifiant par rapport à l’étude de la Torah.
Notons un autre préjudice potentiel de la richesse. Une personne riche devient souvent très populaire et respectée. Or, en réalité, les gens ne sont vraiment attirés que par l’argent, et non par la personne elle-même. Par conséquent, les riches vivent généralement dans le doute et se demandent si les gens recherchent vraiment leur amitié ou ne s’intéressent qu’à leur fortune (ce qui est malheureusement souvent le cas). Dans le même ordre d’idées, le Rav Abramov raconte qu’il rendit un jour visite à un ancien donateur de son Kollel. Cet homme avait été très riche, mais il venait de passer une phase difficile et avait perdu une grande partie de ses richesses. Le Rav Abramov alla lui rendre visite pour lui remonter le moral et lui demanda s’il pouvait l’aider à collecter des fonds en contactant ses nombreux amis. « Il n’y a plus personne à qui je puisse parler, répondit tristement le dépourvu. Vous savez, quand on a de l’argent, tout le monde est votre ami, mais dès la minute où vous le perdez, personne ne veut avoir affaire à vous. » Ce phénomène peut également porter atteinte à la 'Avodat Hachem de l’individu, car il ne peut jamais faire entièrement confiance à qui que ce soit, et cela affecte inévitablement ses relations interpersonnelles.
Pour conclure, l’argent est une arme à double tranchant et il faut une grande vigilance pour l’utiliser à bon escient, à savoir pour élever l’homme vers le haut de l’échelle spirituelle et non pour le faire tomber.
[1] Voir Pri Tsédaka, Béréchit, p. 130-133. Cette idée est également rapportée par Rav Issakhar Frand.
[2] Béréchit Raba, Paracha 99.
[3] ’Houlin, 91a.
[4] Pri Tzédaka, p.132, Mipi Hachmou’a.
[5] Pirké Avot 2,7.