La paracha de cette semaine nous permet à nouveau d’explorer la constitution des premières familles de l’humanité, et notamment du peuple juif. Avec le patriarche Jacob nous voyons se dessiner l’esquisse ce qui deviendra plus tard le peuple Juif.
Jacob est à présent marié avec deux femmes, Léa et Rachel. La première parvient à donner naissance régulièrement à des enfants, alors que la seconde semble stérile. Et cette dernière en conçoit une grande souffrance au point qu’elle s’exclamera « Donne moi des enfants, sinon j’en mourrai » (Genèse 30.1). Cette exclamation lui vaudra une colère de Jacob, nous dit-on, qui lui objecte « Suis-je à la place de D.ieu qui t’a refusé la fécondité ». Toutefois quelques versets plus tard, nous apprenons que Rachel parvient enfin à enfanter, et Rashi de nous préciser le mérite qui lui valut cette naissance « [Hashem] s’est souvenu d’elle, car elle avait transmis ses signes de reconnaissance – convenus avec Ya’aqov – à sa sœur ».
Ce commentaire du grand Maître de Troyes nous met sur la piste d’une réflexion importante en matière d’éducation et de la relation que nous pouvons entretenir avec nos enfants. Lorsque Rachel laisse éclater sa peine de ne pas parvenir à donner naissance à un enfant, elle s’exprime en termes d’intérêt personnel, de possessivité pourrait-on dire « Donne-moi des enfants » comme si les enfants étaient une acquisition personnelle. Et d’ailleurs, observe Rav A. Twerski, (Positive Parenting avec U. Shwartz), c’est cette idée que trahit les expressions de la vie courante « Avoir des enfants », ou encore « Combien d’enfants veux-tu ? », « Quand comptez-vous avoir des enfants ? »…
En contre-point, Rashi nous indique que ce qui a permis à Rachel d’enfanter c’est précisément le souvenir d’un geste de sa part où elle a accepté d’effacer son intérêt personnel de se marier avec Jacob (et d’avoir des enfants) pour épargner à sa sœur une humiliation publique. Cette mise en retrait volontaire, cette générosité qui témoigne d’un niveau spirituel particulièrement élevé lui ont valu le mérite de mettre fin à sa stérilité.
Il est évidemment très difficile pour notre génération de concevoir un tel niveau d’abnégation et d’être capable et ne percevoir aucun intérêt personnel dans la mise au monde d’un enfant (R. Twerksi), toutefois l’exemple des Avot, des patriarches et des matriarches nous est donné pour nous faire toucher des grands principes qui méritent d’être médités, chacun à son niveau.
Les maîtres du Talmud nous indiquent ainsi qu’il y a trois associés dans la création d’un enfant : Hakadosh Baroukh Hou, le père, et la mère (Traité Kidoushin 30b). Aussi la relation à l’enfant ne doit pas être envisagée ni sur le mode de la possession ni sur le mode de la relation exclusive entre parents et enfants, mais elle doit laisser place à la présence d ivine.
La relation à l’enfant est ainsi avant tout un don que l’Eternel accorde à certains couples, et qui doit s’accompagner d’un grand sentiment de responsabilité. Les parents sont responsables non seulement de l’éducation de leurs enfants, mais aussi de leur donner une faculté à s’orienter dans la vie.
L’éducation tout d’abord suppose que les parents apprennent aux enfants les bonnes manières, comment se comporter de manière « civilisé » dans le monde qui nous entoure. Ils doivent s’efforcer de faire naître en eux des qualités de cœur, de générosité, leur enseigner les bonnes « midot », des traits de caractère raffiné : s’éloigner de la colère, développer la modestie, avoir un langage raffiné…Cette dimension est généralement bien comprise par les parents qui s’efforcent, chacun à son niveau, et avec plus ou moins de succès, d’éduquer leurs enfants dans ce sens. Et c’est là un travail essentiel, fondamental qui va déterminer le regard sur la vie que portera l’enfant.
Toutefois cette dimension, aussi nécessaire soit-elle, n’est pas suffisante, elle doit s’accompagner d’un apprentissage à aborder le monde et la vie selon le prisme de la Torah. C’est ainsi que les maximes des Pères nous enseignent « S’il n’y a pas de Torah, il n’y a pas de bonnes manières, mais s’il n’y a pas de bonnes manières, il n’y a pas de Torah » (Pirkei Avot, 3.17).
Les deux éducations, celle au « derekh eretz » « le savoir-vivre » d’une part et celle à l’approche spirituelle de l’existence conformément aux enseignements de la Torah, sont nécessaires et se complètent mutuellement.
A cet égard, nos Sages nous enseignent que le monde est parfois comme un labyrinthe pour l’homme où plusieurs possibilités se présentent à lui, sans qu’il puisse déterminer par son entendement propre lequel est préférable. La Torah et les enseignements de notre tradition sont là précisément pour le guider et lui permettre de faire les bons choix. Evidemment, la Torah ne saurait être réductible, D. nous en préserve, à un manuel de vie, sa puissance est beaucoup plus grande, mais elle porte en elle cette dimension qui ne saurait être sous-estimée et dont la transmission aux enfants est une composante essentielle de l’éducation.
Cette première distinction permet également de découler sur une seconde : ne pas confondre en matière d’éducation la satisfaction de ses bonnes intentions de parents (définies a priori) et la quête de l’épanouissement de son enfant.
La nuance est fine, et elle est d’autant plus délicate à observer. C’est probablement un combat de tous les jours pour l’ensemble des parents.
En tant que parents, nous avons bien souvent des principes ou des objectifs pour nos enfants inhérents à nos convictions, notre parcours, notre histoire, notre sensibilité. Ces principes ne nous apparaissent pas comme des « caprices », ils nous semblent tout à fait légitimes, et ils le sont probablement. Ils sont le chemin que nous nous proposons d’emprunter pour arriver au bonheur de notre enfant. Il arrive que cela fonctionne bien, il convient alors de louer le Créateur pour cette bonté qu’Il nous accorde et se pénétrer de beaucoup d’humilité pour ne pas penser que c’est là notre mérite exclusif. Les parents ont bien sûr beaucoup de mérite, mais ils n’arriveraient à rien sans l’aide du premier Associé : l’Eternel.
Cependant, il arrive aussi que la confrontation avec l’enfant nous montre que le plan que nous pensions « bon » ne fonctionne pas, qu’il ne colle pas à la nature de l’enfant. Il faut alors avoir la sagesse de prendre le recul nécessaire pour ne pas essayer coute que coute d’appliquer la méthode que nous avions définie a priori, mais redoubler d’investissement pour réfléchir aux moyens d’atteindre notre objectif : le bonheur de l’enfant, mais en lui proposant un chemin adapté à sa nature.
Aussi, pour y parvenir, les trois associés mentionnés par le Talmud doivent être à l’œuvre et il appartient aux parents de faire une place dans leur processus éducatif à la présence divine, à travers la prière, ô combien indispensable en matière d’éducation, l’étude de la Torah, et la fréquentation de Rabbanim, grands maîtres dont l’expérience et la sagesse apportent des éclairages précieux.
La Torah ne prône pas un retrait des parents dans le processus éducatif au motif qu’il conviendrait de « laisser l’enfant suivre sa nature », en revanche elle se méfie d’un investissement excessif de l’égo qui perturbe la perception de l’intérêt de l’enfant. Elle recommande « d’éduquer l’enfant selon sa nature » c'est-à-dire d’accorder une attention particulière aux besoins de l’enfant, à son évolution, à sa sensibilité, afin de déterminer les moyens à mettre œuvre pour lui permettre d’atteindre son épanouissement, de préserver la pureté de son âme, et de trouver un équilibre dans son existence en cheminant près d’Hashem.
Puisse l’Eternel aider le peuple d’Israël dans cette voie exigente mais essentielle !