« Hachem lui apparut [à Avraham] à Eloné Mamré… » (Béréchit 18,1)
Rachi explique que Mamré avait donné à Avraham un conseil concernant la circoncision et de ce fait, Hachem apparut à Avraham dans son territoire.
Le Daat Zékénim précise que lorsque Hachem lui ordonna de circoncire toute sa maisonnée, Avraham alla chez Aner et Echkol pour leur demander comment se comporter avec sa maisonnée, mais ils ne surent quoi lui répondre. Il alla ensuite chez Mamré qui lui conseilla de se circoncire et de circoncire son fils aîné, Ichmaël. En voyant cela, les autres membres de sa famille accepteraient certainement la circoncision. Le verset raconte d’ailleurs qu’Avraham et Ichmaël furent circoncis et (le même jour), « Toute sa maisonnée après lui… »
Le Midrach[1] raconte que lorsque Hachem enjoignit à Avraham Avinou d’effectuer la Brit-Mila, ce dernier demanda conseil à trois de ses amis – Aner, Echkol et Mamré – pour savoir comment s’y prendre. Une simple lecture de ce Midrach nous laisse comprendre qu’Avraham leur demandait s’il devait effectuer la Brit-Mila ou non. Mais les commentateurs estiment que cette hypothèse est impossible ; il serait impensable qu’un Tsadik du calibre d’Avraham Avinou, qui n’a jamais contesté l’ordre de D.ieu, puisse demander à ses amis s’il doit exécuter l’ordre de la circoncision. Ils expliquent donc différemment l’approche d’Avraham Avinou[2].
Le Daat Zékénim propose une interprétation intéressante. Avraham ne demanda pas à ses amis s’il devait effectuer la Brit-Mila ou non – c’était évident. Il leur demandait s’il devait inciter toute sa maisonnée à en faire de même. Il semblerait qu’Avraham se demandait si sa famille allait accepter de se circoncire, étant donné la douleur impliquée. C’est la raison pour laquelle Mamré lui conseilla de se circoncire et de circoncire son fils aîné, de façon à pouvoir persuader son entourage d’en faire de même.
N’aurait-il pas été mieux de conseiller à Avraham d’être le dernier à effectuer la Brit-Mila, de façon à garder ses forces pour pouvoir convaincre les autres de se laisser circoncire ? En effectuant la circoncision en premier, il prenait le risque de se retrouver trop faible pour encourager et convaincre son entourage d’effectuer la Brit-Mila.
Le ’Hidouché Lev[3] en déduit que l’exemple donné par Avraham fut certainement plus convaincant que ses paroles de morale et de persuasion. Cela nous apprend que le fait de voir un illustre personnage agir d’une certaine façon nous influence davantage que de l’entendre nous enjoindre d’accomplir cette même action.
Ce principe est particulièrement pertinent dans le domaine de l’éducation des enfants. Rav Moché Feinstein[4] évoque un autre épisode où Avraham nous livre le même enseignement (également dans la Parachat Vayéra). Quand Avraham servit le repas aux anges qui étaient venus lui rendre visite, il leur apporta lui-même leur nourriture. Ensuite, il enjoignit à son fils Ichmaël de leur apporter de l’eau, parce qu’il voulait éduquer son fils à la Mitsva de Hakhnassat Or’him (hospitalité)[5]. La Guémara[6] enseigne qu’Hachem récompensa Avraham « mesure pour mesure » et accorda à ses descendants les mêmes cadeaux quand ils furent dans le désert. Avraham leur donna lui-même du lait et du beurre et de ce fait les Bné Israël reçurent la Manne directement d’Hachem. En revanche, l’eau ne fut donnée aux anges que par un intermédiaire (Ichmaël) et c’est la raison pour laquelle les Bné Israël ne reçurent l’eau dans le désert que par l’intermédiaire de Moché et non directement d’Hachem. Il aurait certainement été préférable de recevoir l’eau directement d’Hachem et il semblerait qu’Avraham aurait mieux fait de ne pas demander à son fils d’apporter de l’eau, mais de l’apporter lui-même. Comment comprendre cette « punition », alors qu’Avraham n’agit de la sorte que par volonté d’éduquer son fils à l’hospitalité, ce désir étant certainement digne de louanges ?
Rav Moché Feinstein en déduit que l’éducation par l’exemple est bien plus efficace que l’éducation par l’instruction ou les paroles de morale, et il aurait mieux valu qu’Avraham apporte l’eau lui-même et qu’il serve d’exemple à Ichmaël grâce à son comportement.
On raconte, à ce propos l’histoire d’un grand donateur (à des institutions de Torah) qui vint se plaindre chez un Rav du fait que son fils n’étudiait pas la Torah, malgré l’insistance du père. Le Rav lui demanda s’il étudiait lui-même, ce à quoi le père répondit qu’il était trop occupé par son travail pour étudier la Torah et que c’était d’ailleurs la principale raison de son soutien aux institutions de Torah. Le Rav lui expliqua que la seule façon d’influencer son fils et de l’inciter à étudier la Torah était de lui montrer le bon exemple et non de lui enjoindre de faire quelque chose que lui-même ne faisait pas.
La fameuse phrase « Fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais » est une attitude courante dans le monde laïque et elle s’est malheureusement infiltrée également dans le monde de la Torah. Nous apprenons ici que ces paroles n’aideront aucunement à influer sur les autres. La meilleure (et la seule) façon d’influencer notre entourage est de montrer l’exemple !
[1] Béréchit Raba 42,8.
[2] On explique qu’Avraham demandait s’il devait effectuer la Brit-Mila en public ou bien le faire discrètement pour éviter que les gens le prennent pour un barbare et refusent de suivre l’enseignement d’Avraham. Une autre explication est proposée ici.
[3] Béréchit 18,1.
[4] Rapporté dans Talmi Yé’hiel, Parachat Vaét’hanane, Maamar 11. La même idée est avancée par Rav Issakhar Frand.
[5] Les commentateurs expliquent pourquoi il demanda précisément à Ichmaël d’apporter l’eau en particulier.
[6] Baba Metsia 86b