La Paracha de cette semaine fait vivre au lecteur une série d’émotions intenses : l’annonce inespérée de la naissance d’un fils à Avraham et Sarah, la naissance de cet enfant, puis l’épreuve de la 'Akédat Its'hak (la ligature d'Its'hak).

Alors que démarre l’histoire millénaire du peuple juif, la Torah attire notre attention sur l’origine miraculeuse du peuple Juif. Aussi bien chez Avraham, que chez son fils Its'hak, leur descendance fait l’objet d’un miracle, et elle n’apparaît que bien tard dans la vie des patriarches ; elle est le fruit d’une longue attente et de prières intenses. Toute se passe comme si on voulait nous dire : « Regarde, depuis l’origine, le peuple Juif ne répond pas aux règles de la nature et de la biologie, mais il tient son origine du miracle. Et c’est ainsi qu’il traversera l’histoire. »

Pourtant, comme le note le Rav J. Sacks, cette attente est d’autant plus éprouvante qu’elle semble contradictoire avec les promesses répétées à quatre reprises à Avraham qu’il aurait une descendance très nombreuse. Ainsi, le texte biblique précise :

  • « Quitte ton pays, ta patrie et la maison de ton père... et Je ferai de toi une grande nation. » (Genèse, 12, 1-2)
  • Puis, « Je rendrai ta descendance aussi nombreuse que la poussière de la terre. Si quelqu'un peut compter la poussière de la terre, alors ta descendance pourra aussi être comptée. » (Genèse 13-16)
  • Encore, « D.ieu le fit sortir et dit : “Regarde les cieux et compte les étoiles, si tu peux les compter. Ainsi sera ta descendance.” (Genèse 15-5)
  • Et, enfin, une quatrième promesse : « Ton nom sera Avraham, car Je t'ai fait père d'une multitude de nations. » (Genèse 17-5)

Nous pouvons ainsi mieux comprendre l’épreuve que traversait Avraham Avinou : d’un côté, il entendait la Promesse divine que sa descendance serait très nombreuse, et d’un autre côté, il était presque centenaire et toujours sans enfant.

Ce paradoxe qui trouve son dénouement dans notre Paracha avec la naissance d’Its'hak, est porteur de nombreux enseignements.

Premièrement, la Torah nous rappelle ainsi le miracle que constitue la naissance d’un enfant. Là où les hommes pourraient en venir à penser que la procréation est un acte biologique, naturel, automatique pour la plupart des couples, la Torah attire notre attention sur la dimension miraculeuse dans le don de la vie, et la naissance d’un enfant. La vie ne relève pas du déterminisme biologique, elle est, avant tout, un don de l’Éternel, renouvelé à chaque instant.

De la même manière, le peuple hébreu, né dans l’esclavage égyptien, ne peut oublier que la liberté a un prix et qu’il faut en être digne, et que la force ne réside pas dans la puissance militaire et le nombre, mais dans le courage et l’espoir que fait naître la foi.

Ensuite, cette situation paradoxale avait vocation, nous dit Rav J. Sacks, à enseigner une règle de vie fondamentale à Avraham : il existe un chemin long et sinueux entre la promesse et son accomplissement, entre une aspiration et sa réalisation, entre un objectif et son résultat. Et cette attente ne tient naturellement pas à la capacité de l’Éternel à réaliser rapidement Ses promesses, mais plutôt car rien de grand et de transformateur ne se produit rapidement dans le monde humain, sans effort, sans attente, sans un combat intérieur pour faire prévaloir l’espoir sur toutes les forces contraires qui aimeraient raboter les ambitions des hommes, leur aspiration à la grandeur, à l’infini.

Avraham, pour sa part, a foi en ces promesses, comme le souligne un verset a priori anodin, mais pourtant fondamental : « Avram crut en l’Éternel, et Il le lui compta comme justice. » (Génèse 15:6). La foi d’Avraham ne chancelle pas, il peut vivre avec des questions sans réponse, il accepte que son esprit ne lui offre pas une lecture cohérente et complète de l’histoire.

C’est là aussi que l’épreuve de la « Akéda » prend tout son sens et toute sa force. En effet, elle aurait pu relancer le questionnement, la possibilité du doute, de l’incompréhension face à un ordre contradictoire avec les promesses maintes fois répétées. Comment Avraham va réagir ? Comment va-t-il vivre avec une nouvelle contradiction apparente ?

Rav J. Sacks souligne ainsi la force de la précision que lance Avraham à ses serviteurs au moment où il s’apprête à partir avec son fils, « Vénachouva » « Nous reviendrons. » De même, lorsque Its'hak demande : « Où est l’agneau pour l’holocauste ? », Avraham répond : « D.ieu pourvoira. » On aurait tort d’y voir des « esquives », pour « botter en touche » et ne pas répondre, il s’agit bien davantage d’une expression forte de sa foi profonde.

À l’incertitude, aux contradictions et aux apories face auxquelles l’esprit humain menace d’achopper, Avraham nous a enseigné que la foi n’est pas affaire de certitude, mais le courage de faire face à l’incertitude, en étant convaincus que les Promesses divines se réaliseront, même si notre esprit ne nous permet pas de comprendre immédiatement comment.