La paracha Toledot (Béréchit, 25:22) écrit : « Les enfants s’entre-poussaient en son sein… »

Rachi explique qu’ils se battaient à propos de l’héritage des deux mondes (ce monde-ci et le monde futur).

La Torah nous informe qu’Essav et Yaacov étaient déjà en désaccord dans le ventre de Rivka. Rachi, dans sa deuxième interprétation sur ce verset précise qu’ils débattaient quant à l’héritage du Olam Hazé (de ce monde-ci) et du Olam Haba (le monde futur). Rav Moché Feinstein zatsal[1] affirme que les deux frères estimaient avoir un droit exclusif sur les deux mondes.

Il soulève ensuite un problème. Concernant Yaacov, on peut comprendre qu’en dépit de son penchant pour la spiritualité, il pensait gagner aussi le Olam Hazé, en plus du Olam Haba – d’après la conception de la Torah, la Rou’haniout (la spiritualité) n’est pas contradictoire avec la prospérité dans le Olam Hazé. En revanche, on comprend difficilement comment Essav, symbole du matérialisme, ait pu penser avoir droit au Olam Haba, qui est entièrement spirituel.

Pour répondre à cette question, Rav Feinstein analyse tout d’abord la raison pour laquelle Its’hak Avinou voulut accorder les bénédictions à Essav, plutôt qu’à Yaacov. Its’hak avait certainement réalisé que Yaacov était d’un niveau spirituel plus élevé qu’Essav, mais il pensait que la mission de ce dernier était de soutenir matériellement Yaacov, pour que celui-ci puisse de consacrer à la spiritualité. C’est, par la suite, la relation – couronnée de succès – qu’entretinrent Issakhar et Zévouloun, les fils de Yaacov ; Zévouloun subvenait aux besoins d’Issakhar pour que ce dernier puisse de concentrer sur son élévation spirituelle. C’est la raison pour laquelle Its’hak pensait qu’Essav était la personne appropriée à recevoir les bénédictions (qui étaient plutôt axées sur l’abondance matérielle). L’erreur d’Its’hak était de croire qu’Essav allait devenir une personne vertueuse et ennoblir le monde matériel en soutenant Yaacov. En réalité, Essav fut tellement englouti par la Gachmiout (la matérialité) qu’il n’eut plus aucun lien avec la spiritualité ; il était imbibé de toutes sortes d’attitudes immorales.

Ceci explique le raisonnement d’Its’hak, mais, comme nous l’avons demandé précédemment, que pensait Essav ? Rav Feinstein propose une réponse intéressante — il écrit qu’Essav comprit le désir d’Its’hak et souhait l’exaucer ! Mais il fit l’erreur de penser que s’il accomplissait cette part de la mission, il serait dispensé de mener une vie dictée par la morale. Il estimait qu’en échange du soutien financier à Yaacov, il pouvait s’adonner à tous les plaisirs interdits du Olam Hazé, et qu’Hachem le lui pardonnerait étant donné qu’il accomplissait Sa volonté en permettant à Yaacov de vivre une vie spirituelle. C’est ainsi qu’il crut hériter du Olam Hazé en plus du Olam Haba.

Rav Feinstein ajoute qu’Hachem ne se laisse pas corrompre par une personne qui accomplit certaines Mitsvot et ne la dispense pas, « en récompense », d’en respecter d’autres, qui lui sont moins agréables ou aisées. Hachem nous demande de nous améliorer dans tous les domaines du Service Divin, même ceux qui nous sont difficiles. Essav laissa passer sa chance et c’est Yaacov qui dut, à sa place, se charger des deux rôles, celui porté sur la spiritualité et l’autre, d’ordre matériel.

Le principe de Rav Feinstein a plusieurs implications. Assez souvent, les généreux donateurs pour de nobles causes ne sont pas très pratiquants. Entre autres raisons à ce paradoxe, il peut y avoir le sentiment d’être exempté des autres Mitsvot, du fait de leur générosité. Rav Feinstein nous enseigne que cette façon de penser est erronée – bien que le fait de pratiquer la charité soit une grande Mitsva, ce n’est qu’une obligation parmi plusieurs autres que l’individu est tenu de respecter.

Rav Noa’h Weinberg zatsal se souvint d’un rendez-vous qu’il eut avec un homme très riche, ce qui était pour lui l’opportunité de recevoir un don conséquent. Au cours de leur discussion, il découvrit que cet homme était marié avec une non-juive. Rav Noa’h réprimanda sévèrement son interlocuteur, en lui disant que les mariages mixtes étaient absolument inacceptables, et négligeant les dommages que cela causerait à tous ses efforts pour récolter de l’argent. La richesse et la prodigalité de cet homme ne lui autorisaient pas un mariage mixte ! Finalement, le millionnaire fut agréablement impressionné par l’honnêteté du Rav Weinberg ; il avait été le premier collecteur de fonds à lui dire la vérité, sans le flatter. Il lui fit un don substantiel !

Cette leçon peut aussi s’appliquer à ceux d’entre nous qui ne sont pas de grands donateurs et à ceux d’entre nous qui s’efforcent de respecter la Torah. Chacun a son point fort dans la Avodat Hachem – il n’y a rien de mal à cela, mais il est essentiel de savoir que ce n’est pas une raison pour ne pas travailler et s’améliorer dans les autres domaines, pour lesquels on est naturellement moins porté. Par exemple, celui qui s’investit beaucoup dans les besoins de sa communauté n’est pas dispensé d’étudier la Torah chaque jour. Celui qui excelle dans la prière doit aussi s’assurer de passer du temps avec sa famille. Les exemples sont innombrables et le défi de chacun est unique, en fonction de la situation dans laquelle il se trouve et de ses capacités.

Puissions-nous tous mériter de nous améliorer dans tous les domaines de la Avodat Hachem.



[1] Darach Moché, Toldot, 25:22, p. 13.