Rabbi Bérakhia dit : « Moché est plus chéri que Noa’h : Noa’h qui fut appelé Ich Tsadik fut [par la suite] nommé Ich Adama, mais Moché qui fut [d’abord] appelé Ich Mitsri fut [ensuite] appelé Ich Élokim. » (Béréchit Raba, 36:3)

La Torah raconte qu’à son retour sur la terre ferme, après le déluge, Noa’h planta une vigne. Elle l’appelle alors Ich Adama – un homme de la terre. Le Midrach affirme que Moché est plus vertueux que Noa’h, parce ce dernier fut précédemment appelé Ich Tsadik (un homme pieux) par la Torah et que le deuxième descriptif indique un certain déclin. En revanche, Moché fut initialement décrit comme Ich Mitsri (un homme égyptien), puis comme Ich Élokim (un homme de D.ieu). Le Midrach ne précise pas pourquoi le niveau de Noa’h se dégrada, ni pourquoi celui de Moché progressa.

Le Méchekh ’Hokhma explique ce Midrach de manière intéressante, en soulignant une différence fondamentale entre Noa’h et Moché. Il existe deux manières de servir D.ieu ; soit en se focalisant sur soi-même, sur sa Avoda personnelle et son lien avec Hachem, soit s’impliquant dans la communauté et les besoins de ses membres, en mettant de côté ses propres besoins spirituels en faveur de ceux des autres. On pourrait croire que celui qui se concentre sur sa propre Avoda s’élèvera davantage que celui qui cherche à aider les autres – qui agit au détriment de son propre niveau spirituel. Néanmoins, le Méchekh ’Hokhma indique que Noa’h se focalisa sur sa propre spiritualité et ne réprimanda pas les fauteurs. À cause de cette faille, et en dépit de sa grandeur, Noa’h méritait d’être anéanti avec le reste de l’humanité, mais il fut gracié par Hachem Qui l’épargna du fait de ses sacrifices[1].

Par contre, Moché Rabbénou démarra à un niveau relativement bas, d’où la qualification de Ich Mitsri, mais il s’éleva de manière exponentielle, parce qu’il fut prêt à se sacrifier pour son peuple quand il tua l’égyptien qui frappait le Juif. Par conséquent, on lui attribua plus tard le noble titre de Ich Élokim.

Il nous reste à comprendre pourquoi celui qui travaille sur sa propre spiritualité baisse de niveau tandis que celui qui œuvre pour la communauté s’élève. Métaphysiquement parlant, le peuple juif est une entité spirituelle et il est impossible de s’isoler dans son service personnel en ignorant les autres. Celui qui agit de la sorte ne remplit pas son rôle au sein du peuple et son niveau spirituel baisse. En  revanche, celui qui agit en faveur des autres accomplit sa mission et s’élève.

On peut également expliquer ce phénomène de manière plus simple. L’homme est de nature sociable, il a besoin d’une certaine interaction. La Torah le dirige pour y arriver de la manière idéale, à savoir en aidant les autres, tant sur le plan physique que spirituel. Quand un individu se focalise sur lui-même, il risque de devenir égoïste. De plus, étant donné que la nature humaine se veut grégaire, ce manque de relations risque de le rendre las, ce qui détériorera son étude et sa Avodat Hachem en général.

Par ailleurs, le fait d’œuvrer pour autrui peut aider la personne à s’élever dans son propre service divin. Cette idée se retrouve concernant l’étude de la Torah ; la Guémara[2] raconte que Rebbi dit : « J’ai appris beaucoup de Torah de mes maîtres, davantage de mes amis, et c’est de mes disciples que je me suis instruit le plus. » Quand on doit enseigner quelque chose, on ressent le besoin de clarifier son étude, pour pouvoir la transmettre au mieux à ses élèves. Ces derniers forcent le maître à mieux comprendre le passage étudié et celui-ci est motivé à connaître le sujet de manière plus précise.

Le Steipler mettait souvent l’accent sur ce point. Un Avrekh qui ne réussissait pas à étudier correctement lui demanda s’il devait rester au Kollel ou se mettre à enseigner. Le Rav lui répondit qu’auparavant, tout le monde voulait enseigner et seul celui qui ne parvenait pas à trouver un emploi dans l’enseignement continuait d’étudier au Kollel. « Chaque Gadol Hador des générations passées grandit énormément des cours qu’il dispensait. »[3] Le Steipler conseilla à un autre Avrekh de donner un cours en Yéchiva Kétana et affirma que lorsqu’on enseigne un certain passage, c’est comme si on l’avait étudié vingt fois. Il déclara : « Je sais, par expérience, que ce que j’ai étudié seul, je l’ai oublié, mais ce que j’ai enseigné à d’autres, je m’en souviens encore aujourd’hui. »[4]

Rav Its’hak Berkovits ajoute qu’en plus d’améliorer sa propre étude, le fait d’apporter aux autres motive l’individu et le stimule au niveau spirituel. C’est peut-être parce que, comme nous l’avons précisé plus haut, l’homme a un besoin naturel de partager et de se lier aux autres. L’explication du Méchekh ’Hokhma ne limite pas les éloges à ceux qui enseignent la Torah, mais loue ceux qui sont impliqués dans les besoins communautaires. Ceci empêche l’individu de perdre son enthousiasme, et lui donne plus de forces dans sa Avodat Hachem.

Inutile de préciser que les manières de mettre en pratique cette leçon, varient selon les personnes, et chacun doit discerner la voie qui lui est propre, en se faisant guider par un Rav. De manière générale, ce principe se vérifie – celui qui agit plus pour les autres que pour lui-même s’élève davantage.

 

[1] Béréchit Raba, 29:5.

[2] Makot 10a, Taanit 7a.

[3] Rapporté dans Michel Avot, Kinyané Torah, « Halomed Al Ménat Lélamed ».

[4] Ibid.